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La danse avait été pour moi l'essence même de ma vie, elle avait débarqué lorsque j'étais encore un petit garçon et m'avait agrippé pour ne jamais me lâcher.

La danse avait saisi mon cœur pour m'habiter de toute part. Car rien ne pouvait me ressembler plus qu'elle.

Il y avait de la rigueur dans la danse, il y avait un travail de perfection qui exigeait les larmes, le courage et la passion. Peut-être naissons-nous déjà danseurs, ou peut-être le devient-on. Mais jamais atteindre le sommet n'est simple.

Tout ce travail d'ensemble qui guide votre corps à monter toujours plus haut, à pousser toujours plus loin dans vos mouvements. La tête droite, le dos gainé, les abdos serrés et les fesses rentrées pour ne jamais cambrer. Et puis les pieds pointés, les pouces rentrés, les épaules baissées et ce sourire, ce sourire qu'il faut garder figé sur son visage à n'importe quel instant, quoiqu'il advienne.

Les bases de la danse ne sont qu'un mécanisme simple enroué de difficultés, mais le publique ne peut se satisfaire de danseurs grincheux. Alors la danse se détache du sport et s'envole vers l'art. L'art d'être belle jusqu'à son dernier souffle. De continuer de danser même lorsque vos pieds sont en sang, vos jambes sont tremblantes et votre souffle se fait rare.
Il faut sourire, encore et encore.

La danse m'a suivi toute ma vie, elle a fait de moi celui que j'étais. Peut-être pas le plus fort, peut-être pas le meilleur mais cela me suffisait. La danse avait permis à ma rivière de couler, elle lui avait permis de devenir libre et indépendante. De n'en faire qu'à sa tête.

Et à travers toute cette eau il y avait Gabin, qui a donné un sens à toutes ces cascades.

17 Août 1978.

La mère de Gabin avait été danseuse. La première danseuse d'une compagnie célèbre. Dans les couloirs de leur maison, il y avait des photos de sa carrière affichées de partout. Elles tapissaient les murs et attisaient ma curiosité à chacun de mes passages. Elle semblait avoir dansé dans chaque ballet : Casse Noisette, La Sylphide, Don Quichotte, La Belle au Bois Dormant... Et dans chacun d'eux elle souriait.

Devant ma curiosité débordante vis à vis de sa mère, Gabin avait décidé de me faire découvrir un lieu « secret » comme il aimait l'appeler. Alors il m'entraîna dans le garage de sa maison :

Il me poussa légèrement.

- Vas-y entre, me dit-il.

Il avait posé ses mains sur mon visage pour cacher de mes yeux le monde autour de nous. Je fis un pas en avant, puis deux, puis trois. La pièce sentait une odeur de renfermé.

- Tu es prêt ? me demanda-t-il.

Il aimait me faire languir.

- Oui, soufflai-je.

Je mourrais d'envie de découvrir ce fameux lieu.

Doucement il retira ses doigts et libéra ma vue. Nous nous trouvions dans une petite pièce mal éclairée dans laquelle reposaient des centaines de costumes de danse. Des tutus, des rubans, des diadèmes, des robes, des paillettes, des plumes. Il y avait des cintres et des étagères de partout, comme une version miniature de la caverne d'Ali Baba.
C'était incroyable, même l'école de danse ne possédait pas d'aussi beaux costumes.

- J'adore ce monde, murmura Gabin.

Sans me laisser le temps d'admirer l'ensemble, il prit ma main et m'entraîna déjà au fond de la pièce, vers un tutu émeraude. Je pouvais sentir son excitation débordante.

- Je crois que c'est mon préféré.

Des perles vertes courraient le long du décolleté et parcourraient l'ensemble du tutu, accompagnées de rubans et de froufrous.

L'invitation au VoyageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant