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Newton a dit un jour que tout corps possédant une masse s'attirent entre eux. La Terre et le Soleil, la pomme et le sol, le stylo et la table, le rocher et le gouffre. Je crois que cette règle marchait aussi pour nos mains, à Gabin et à moi. C'était devenu comme une sorte de réflexe, parfois, sans crier garde, je me retrouvais en possession de ses longs doigts. Et ça nous allait si bien. Nos doigts s'enlaçaient entre eux avec une simplicité presque effrayante. Un peu comme si Dieu avait laissé des trous dans nos paumes pour qu'ensemble nous puissions les combler.

Il n'y avait rien de plus, évidemment, seulement le contact de nos paumes l'une contre l'autre. Comme ce dimanche après midi pluvieux du mois de Décembre que nous avions passé enfermés dans sa chambre. Alexander et Marcus avaient fortement insisté pour se rendre à l'immense brocante qui avait lieu de l'autre côté de la ville. C'était un événement fabuleux durant lequel des touristes venus des quatre coins du pays s'excitaient avec envie. Mais l'idée ne m'avait pas tenté : une fine couche de neige commençait déjà à se faire voir sur le perron des immeubles et le temps s'annonçait glacial.

J'avais donc eu pour projet de travailler pour mon futur devoir de mathématique jusqu'à ce que Gabin se propose de rester à mes côtés. C'est ainsi que je me retrouvai, un dimanche après midi pluvieux, devant la porte de la chambre de Gabin. Mon ventre se tordit lorsque je toquai avant d'ouvrir cette porte sans précipitation. C'était la première fois que je pénétrais dans la chambre que partageaient Gabin et Marcus et elle était bien évidemment très similaire à la nôtre. Un grand lit superposé, deux bureaux, un placard enchâssé dans le mur et un petit évier. Le tout dans onze mètres carré. Gabin était avachi sur le lit inférieur et releva la tête lorsqu'il m'entendit :

- Hey Gus ! me dit-il gaiement en fermant le livre qu'il lisait. Viens, fait comme chez toi.

- Ça put le mort chez vous, ne pus-je m'empêcher de commenter. Vous n'ouvrez jamais les fenêtres ?

- Sérieux, t'as vu le temps qu'il fait ?

- Pas faux, mais c'est une petite excuse face à cette odeur de chaussette.

Je tirai un chaise de bureau et m'installai en face de lui.

- Tu lisais quoi ? lui demandai-je.

- Un recueil de poèmes que mon père m'a envoyé.

Il attrapa l'objet concerné et le déposa sur ses genoux avec beaucoup de sensibilité. Je remarquai qu'il en prenait soin et cela me fit sourire.

- Il y a retapé les cent poèmes qu'il trouve les plus beaux.

- Et tu es d'accord avec son choix ?

- Bien sûr ! Mais je m'étonne encore un peu, il y en a un qui manque à l'appel.

- Lequel ?

- Le Cimetière Marin, de Paul Valéry...

Voyant que je ne réagissais pas, le regard de Gabin s'éteignit un peu légèrement, je me sentis honteux.

- Gus... C'est un de ses plus beaux poèmes !

« Le vent se lève... ! Il faut tenter de vivre !
L'air immense ouvre et referme mon livre,
La vague en poudre ose jaillir des rocs !
Envolez-vous, pages tout éblouies !
Rompez, vagues ! Rompez d'eaux réjouies
Ce toit tranquille où picoraient des focs ! »

C'est si beau.

J'acquiesçai.

- Chacun de ces vers est une pure merveille. Mais il est très long, je pense que c'est pour ça que mon père ne l'a pas mis. Flemmardise.

L'invitation au VoyageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant