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Vous n'imaginez comme la montagne était belle. Encore dans son hivernage, elle était recouverte d'un épais duvet blanc. C'était magnifique. Le village dans lequel le chalet des grands-parents d'Alexander se trouvait était ravissant. Il se hissait dans la vallée et de loin nous pouvions voir les douces couleurs jaunes et rosées des habitations qui le formaient. La maison que nous avait décrite Alexander était effectivement très ancienne. De l'extérieur, on pouvait facilement se laisser prendre dans l'idée qu'elle fut abandonnée : la végétation du grand jardin sans barrière semblait se faire plaisir à s'étendre de toute part, rongeant la façade et grimpant le long des murs de bois. Tous les volets étaient clos. Et lorsque Alexander poussa la lourde porte en bois dépeinte, une odeur de renfermé et un nuage de poussières nous assaillirent. Il faisait un froid glacial.

- Le courant est coupé, grogna Alex lorsqu'il tenta de relever l'interrupteur. Il faut aller le rallumer. Augustin tu veux bien t'en charger ? C'est au fond du jardin, dans le cagibi. Le gros boîtier.

- Tout de suite, chef !

- Rencard avec les araignées assuré. Si tu ne te gèles pas les couilles entre temps.

- Super, chef !

- Je viens avec toi, dit alors Gabin en passant derrière moi pour me suivre entre la poudreuse de neige qui recouvrait de jardin. J'adore les araignées.

- Pas moi, grognai-je le cœur serré.

Après une longue traversée qui nous glaça jusqu'à la moelle, nous arrivâmes à l'autre bout du jardin. Le cagibi en question était complètement englouti par la végétation et sa liberté. Et après quelques coups dans la vieille porte rouillée, nous réussîmes à y pénétrer, non sans un frisson. Une vieille odeur de moisie s'échappait de l'obscurité de la pièce.

- Toi d'abord, GusGus, me taquina Gabin.

Traître, avais-je pensé. J'allais me ridiculiser.

- T'as une lampe ?

- Non.

Il faisait noir dans la minuscule pièce et je n'arrivais qu'à discerner de maigres formes. Mais j'entrai tout de même, je ne voulais pas que Gabin voit en moi un lâche et un peureux. Les bras tendus devant moi, je tâtonnai à la recherche du générateur, et le cœur lourd, je tentai de réguler ma respiration qui me semblait beaucoup trop rapide. Peut-être à cause de la peur ou du froid. Derrière moi, Gabin semblait beaucoup plus rassuré.

- Je crois que c'est au fond, derrière ce vieux matelas, finit-il par me dire alors que je tâtonnais en vain. Aide-moi à le tirer, GusGus.

Je me glissai de l'autre côté du matelas et alors que je voulus le soulever, ma cheville percuta quelque chose de tranchant et la douleur m'assomma d'un coup. Je hurlai de mon cri le moins viril.

- Aïe, ça va ? s'exclama Gabin.

Avant même que la honte ne vienne effleurer mon esprit, je vis les formes de son corps me rejoindre à travers les ombres du cagibi.

- Je crois que je me suis coupé, grognai-je.

Et effectivement, je pus ressentir une flotte sanguine couler le long de ma cheville lorsque je portai ma main à celle-ci. Une envie de vomir me prit aux tripes, je détestais le sang, son odeur, sa vue, sa présence. Sans attendre, je pris mes jambes à mon cou et je sortis sans prendre garde aux objets que je percutai dans ma course. Lorsque je sentis l'air glacial extérieur m'envahir, je régurgitai mon estomac sur la neige encore jeune. Quelques secondes plus tard, j'entendis Gabin accourir.

- Hé, GusGus, respire, ça va aller.

Il posa sa main sur mon dos penché vers le sol.

- T'es super sensible ma parole. Fais-moi voir.

Alors il s'accroupit et observa la blessure que je n'osai regarder. Je sentis sa main arpenter ma jambe douloureuse. Puis il appuya fort sur ma plaie. Un petit gémissement s'échappa de mes lèvres, mais je collai instantanément ma main contre ma bouche pour éviter de hurler de douleur.

- Désolé, mais il faut arrêter le saignement. C'est pas bien grave mon Gus, on te mettra un bandage.

La mention d'un pronom possessif donna à mon cerveau une raison d'oublier la douleur pendant un instant. Mais je fus vite ramené à la réalité lorsque que Gabin lâcha ma cheville. À la place, il attrapa ma main et m'aida à marcher. Encore un coup de Newton.

- Et le courant ? demandai-je en lançant en regard au cagibi que je redoutais à présent tout autant que le lieu d'un crime.

- C'est fait ! me répondit-il avec un clin d'œil à tomber dans une mer étoilée.

Lorsque nous revinrent dans la vieille maison, tous les volets étaient grand-ouverts, et illuminée pas le soleil elle paraissait beaucoup plus vivante et chaude. Le rez-de-chaussé était composé d'un petit salon dans lequel reposaient sur les lapes de parquet grinçant un sofa vert kaki, deux gros fauteuils, une cheminée et un table à souper surplombée d'une vieille horloge à balancier. Une petit porte donnait ensuite aux escaliers et à une cuisine rustique des vieilles années.

- Assis-toi là, je reviens, me dit Gabin en m'indiquant le vieux sofa.

Aussitôt il s'envola vers les escaliers. J'attendis de longues minutes durant lesquelles je me sentis de plus en plus frigorifié. Alexander avait allumé un feu crépitant dans la cheminée mais cela ne suffisait pas à réchauffer l'ensemble de la maison. J'entendais les voix de mes amis chahuter au premier-étage qui m'était encore inconnu.

- Arrêtez de vous disputer tous les deux ! s'emporta une voix que je reconnus comme celle de Laurelyne. Pas de chambres mixtes un point c'est tout. Alexander tu dors avec Gus, Marcus avec Gabin et Antoine, et nous, les filles on dort toutes les cinq ensemble.

Je souris en m'imaginant la scène : Laurelyne, les mains sur les hanches, dominant même avec sa petite taille un Alexander et une Julie déchaînés.

Lorsque Gabin revint enfin, il portait dans ses bras des tissus à la propreté douteuse.

- Je n'ai trouvé que ça, s'excusa-t-il en s'accroupissant devant ma cheville. Je pense que ça fera l'affaire.

J'acquiesçai. Sans que je ne lui demande quoi que ce soit il défit mes lacets et retira de mes pieds mes converses plus très blanches et trempées par la neige. Puis après avoir relevé les ourlets de mon jean un peu plus haut, il commença à enrouler ma jambe dans le tissus bleu.

- On dirait que tu as fait ça toute ta vie, lui dis-je en souriant.

Il releva son visage vers moi et je pus voir à quel point il se sentait flatté.

- Enrouler des chevilles dans du vieux tissus ? Oui, ça m'arrive souvent.

- Tu sais, je peux le faire moi-même. Je suis grand.

- Hors de question, tu vas encore tourner de l'œil, GusGus.

- Je n'ai pas tourné de l'œil ! m'indignai-je.

- Disons que tu n'étais plus qu'à deux doigts, alors.

Gabin finis de bander ma jambe. J'avais beau me répéter que la sieste qui nous était tombée dessus dans le bus n'était qu'un hasard et que nos têtes se reposants l'une contre l'autre n'était que le fruit de mon imagination parfois tordue, je ne pus mentir sur les faits qui se déroulèrent sous mes yeux à ce moment-là. Au lieu de s'arrêter à un simple bandage, Gabin commença à effleurer les formes de mon mollet, puis de mon pied. Je n'osais plus bouger et je l'observais du haut de mon sofa princier. C'était tout Gabin. Tenter de me déstabiliser toujours plus fort. Je pense qu'il savait l'effet qu'il me faisait dans ces moments-là, et qu'il y prenait un malin plaisir. Parce que moi je n'osais plus rien faire à part restreindre ma respiration pour qu'elle ne s'accélère pas. Et souvent, il relevait son regard lorsque mes joues étaient plus rouges que mes converses tâchées, puis il souriait des yeux. Et ce jour-là, il en profita pour dérober un baiser sur mon bandage improvisé.

- Allons voir les chambres ! hurla-t-il alors en se relevant.

Puis il s'enfuit par l'escalier en colimaçon en me laissant grimper les marches, seul.

L'invitation au VoyageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant