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J'avais fini par m'endormir. La visite que m'avait faite Gabin m'avait chamboulé de toute part. Le lendemain, nous avions fait comme si rien ne s'était passé, et le soir, j'avais espéré secrètement qu'il revienne. Mais il ne revient pas. Et nous restions donc les deux amis que nous devions être. Pourtant, je savais qu'il n'avait pas oublié. Parfois, lorsque nous nous retrouvions tous les deux il était différent. Ou peut-être tout simplement lui-même. Le vrai. Gabin Rainbow.

Mais comme pour nous faire oublier ce malaise incessant, le Printemps arriva et balaya d'un souffle nos tourments de l'Hiver.

Mars était jolie dans sa robe encore blanche mais parsemée de points verts. Avril l'était encore plus dans sa chemise arc-en-ciel. J'adorais le Printemps. Ses couleurs, sa douceur et ses senteurs naturelles. C'était aussi la saison des jupes, des petites robes tombant au-dessus des genoux. Celles qui laissent les épaules nues et dévoilent des omoplates encore blancs de l'Hiver. Petit pli qui dérape. Tissu qui s'envole. Peau qui se dévoile.

Avril 1978.

Le printemps était aussi la saison des fêtes, des piques-niques dans les parcs et des promenades près du port. Celles qui nous rapprochaient peu à peu des baignades estivales. Des maillots de bain. Des huiles solaires. Des dos nus bronzant sur la berge.

La simple pensée de ses petites choses du bonheur me mettait dans une excitation euphorique. Et j'inspirais à fond pour profiter de tout, pour ne rater une miette.

Nous étions donc au mois d'Avril 1978, de loin nous agitions nos mains pour dire adieux au froid, et de près nous tendions nos bras pour accueillir les fleurs. Laurelyne avait prévu que nous sortions ce soir, juste tous les deux. Elle me trouvait trop rêveur et voulait m'éloigner de Gabin comme on retire le joint d'un drogué dépendant.

- Tu es complètement obsédé, Gus ! m'avait-elle dis il y a deux jours de ça. Regarde-toi, tu ne penses à rien d'autre !

Elle n'avait pas eu tord, depuis sa simple visite, je ne pensais qu'à lui. Pourquoi était-il donc venu ? Avais-je bien entendu chacune de ses paroles ? Ou avais-je imaginé le tout dans un rêve saisissant ? Quoiqu'il en soit mon corps ne supportait plus ces mois d'attentes pénibles. Sur quels rochers bancals mon pied devait-il se poser ? Celui qui glisse ? Celui qui coupe ? Ou celui qui roule et vous tord une cheville ? Peut-être m'avait-il abandonné.

Tout ça pour vous dire qu'en cette soirée du mois d'Avril, Laurelyne s'était décidée à me sortir enfin comme une bonne infirmière traînant son toxicomane favori. Nous étions donc dans le dortoir qu'elle partageait avec Julie, et elle avait insisté pour prendre une douche avant notre sortie.

- Ne bouge pas, GusGus, je reviens dans cinq minutes, me dit-elle.

Elle courut jusqu'à la salle d'eau commune. Lorsque la porte claqua à son départ, un silence apaisant envahit la chambre. Je déposai ma tête contre le rebord du lit et me laissai bercer par les grondements des voitures dans la rue d'en dessous qui me parvinrent enfin.

Une minute.

Les cris de quelques enfants.

Deux minutes.

Un klaxon qui chante.

Trois minutes.

Le hurlement d'une sirène.

Quatre minutes.

Un frein qui crisse.

Cinq minutes.

Laurelyne n'était toujours pas là.

Elle n'avait pas respecté son contrat alors je m'autorisai à enfreindre le mien. « Ne bouge pas, GusGus ».

L'invitation au VoyageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant