Le lendemain.
Mes joues habituellement rosées prirent une couleur rougeâtre. Il souffla la fumée de sa cigarette et posta ses yeux bruns au fond des miens.
Nous devions travailler. La date des examens était proche et nous n'avions que très peu avancé dans notre chorégraphie. Mais comment reprendre le cours des choses après ce qu'il nous était arrivé à la rivière ?
Il écrasa son mégot contre le bord de la fenêtre d'une des salles de danse désertes à cette heure matinale. Mon cœur battait de plus en plus fort, de plus en plus vite. J'attendais qu'il brise le silence.
- Donc tu préfères danser sur la Sonate au Clair de Lune de Beethoven, c'est ça ?
- Oui, murmurai-je.
- Je suis d'accord, elle est belle.
- Mais elle est longue.
- On va y arriver. Tu l'as ?
Je lui tendis une vieille cassette que j'avais réussi à emprunter à Laurelyne. Il s'accroupit et l'inséra dans le poste radio. Je m'approchai de lui et le parquet grinça.
- Gabin ?
Il ferma le boîtier et lança la musique. La sombre mélodie du piano résonna dans la salle. J'adorais ce morceau, il était si profond.
- Gabin ? répétai-je une seconde fois.
Il m'entendit enfin et releva sa tête vers moi.
- Qu'est-ce qu'il y a, GusGus ?
Mes lèvres frémirent sans que les mots ne sortent de ma bouche. Il se releva et me fixa de sa haute taille. Je pris une grande inspiration.
- J'ai rêvé ?
Ma question lui fit comme l'effet d'une grosse claque en pleine joue, je le vis à l'expression qui se reflétait dans ses yeux. Il ouvrit la bouche et la referma. Je n'avais jamais vu Gabin aussi déstabilisé. Peut-être se sentait-il perdu, lui aussi ?
- Tu préférerais avoir rêvé ?
Je baissai les yeux.
- Non. Et toi ?
- Non.
Je m'autorisai à relever mon regard pour observer son expression. Il semblait plus souriant, presque heureux. La musique déversait ses notes autour de nous. Un baiser sous la pluie, j'en avais toujours rêvé.
- Recommence, murmurai-je. Je veux rêver encore.
- Tu penses que s'est permis ?
Il se gratta la tête. Et je fis un pas vers lui pour qu'il ne reste aucune distance entre nos deux corps tremblants.
- J'en ai parlé à Dieu, il semble assez d'accord.
Gabin sourit à l'idiotie que je venais de dire. Je sentais sa cage thoracique s'élever et s'affaiblir de plus en plus vite. Puis il posa ses lèvres dans le creux de mon cou. Doux frisson qui se propage autour de moi. Et la musique berçant chacun de ses baisers, il remonta ma mâchoire, chatouilla mon menton. Et effleura mes lèvres avant de les quitter.
Lorsqu'il revint enfin je laissai une fente pour qu'il puisse s'y glisser. Laissant enfin nos bouches s'enlacer tendrement.
Les yeux clos je sentais tout mon corps bouillonner de passion, comme si je venais de retrouver enfin la dernière pièce de mon puzzle. Celle que j'avais cherchée durant tant de nuits, tant de jours. Alors que j'étais prêt à continuer éternellement il s'éloigna de moi.- Augustin, tu es un ange.
J'aimais ses yeux si désireux.
- Les anges vont au Paradis, lui dis-je.
- Pourquoi tu n'irais pas ? Tu es un ange !
- Je suis amoureux. Et je ne pense pas que Dieu soit tout à fait d'accord.
Gabin rit et attrapa ma tête entre ses deux mains.
- Laisse donc Dieu tranquille, il ne te fera rien.
Beethoven joua sa dernière note.
- Il m'a déjà tout fait.
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L'invitation au Voyage
Teen Fiction1975. Augustin a 13 ans, Il voudrait être libre. Augustin rêve, Il voudrait embrasser. Augustin est amoureux, Il voudrait danser. Augustin a 17 ans, Il voudrait être une fille. Augustin sourit, mais vers les enfers. Augustin voudrait être danseur. ...