Il était plus bavard que ce à quoi je m'attendais, et semblait être à l'aise, plus qu'avant au moins. Même s'il ne disait rien de personnel, il n'avait pas peur de me faire entendre sa voix. Et au lycée, il ne prononçait jamais un mot alors qu'aucune de ses prises de parole n'était futile ou inintéressante. J'avais donc ce sentiment là, de ne pas faire partie de la populace, d'être différent à ses yeux, peut-être spécial mais je savais que je ne devais pas m'y fier. Ce n'était pas parce qu'il l'était à mes yeux que je l'étais aux siens.
J'ai manqué de crier de surprise lors qu'après s'être mis à siffler innocemment, je me pris un coup d'épaule dans le but de me faire atterrir dans la terre. Sa tentative ayant échoué puisque je me suis rapidement rééquilibré.
-T'as cru faire quoi là! râlai-je, le poussant à mon tour avec mes deux mains, ce qui le fit à peine pencher même en gardant ses deux mains dans ses poches.
Il se retenait de rire, faisant comme s'il ne s'était rien passé et ne je pus faire semblant de m'énerver plus longtemps et souris en lâchant un soupir exaspéré sans vraiment l'être.
-J'aurai essayé. avoua-t-il, amusé.
Puis le silence s'installa pendant plusieurs minutes, il enveloppait la moindre parcelle de notre personne mais je me sentais bien, pouvant entendre une note de plus dans la mélodie des champs, celle de la respiration et de pas autres que les miens. Un rythme régulier, sur lequel je me calquais, sans même reconnaître l'endroit où nous nous étions aventurés. Mais ce qui nous entourait était beau; tout ce qui m'entourait était beau. Absolument tout.
-Dis, est-ce que ça te dérange ce que les gens pensent de toi? Enfin... est-ce que des fois tu as envie de changer la façon que les gens ont de te voir? me risquai-je à demander.
J'avais peur qu'il interprète mal ma question mais je savais que je n'avais pas à m'en faire; jusqu'ici, je n'avais pratiquement pas besoin de mots pour qu'il me comprenne, le regard suffisait la plupart du temps. Il haussa les épaules.
-Honnêtement, ça m'arrange parce que personne vient m'emmerder mais je pense que c'est toi qui est concerné par ces questions. Et que tu me les as posées parce que tu ne sais pas quoi en penser.
Je plissai le front et tournai la tête en sa direction, pas sûr d'avoir saisi ce qu'il voulait me faire comprendre même si j'en avais une idée. N'entendant pas de réponse de ma part, il pencha également la tête vers moi.
-Ça fait trois ans que tout le monde vient te demander "de l'aide" et tu t'es jamais plaint. Franchement, je sais pas comment t'as fait jusque là.
Je ris, parce que je savais pas quoi répondre à ça; il avait résumé mes trois années de lycée en une phrase. Je ne savais pas non plus comment j'avais tenu aussi longtemps sans craquer, et rien de ce qui se trouvait autour de moi ne me donnait de réponses. Peut-être que je m'y suis tellement fait que c'est devenu instinctif ;Je haussai les épaules en voyant sa mâchoire se serrer, son regard s'endurcir.
-Tu pensais ce que tu m'as dit après t'être battu? demandai-je sans être capable de cacher cette pointe de tristesse.
Il expira longuement, les yeux clos puis secoua la tête.
-Enfin, sur le moment, oui parce que j'avais encore le sang hargneux mais après y avoir repensé, t'avoir vu à moitié inconscient et le visage couvert de sang à l'infirmerie, je... Je m'en suis voulu de t'avoir dit ça parce qu'en réalité, t'as eu raison de faire tout ça et si je dois me battre de nouveau, je le ferai.
Mes mains qui ne savaient plus où se mettre rejoignirent les poches de mon jean et mes pupilles se concentraient sur le chemin s'étendant à l'infini devant nous, et le soleil fatigué qui entamait sa descente derrière les arbres.
-Mais je sais me défendre. répliquai-je.
Il me donna une bousculade avec son épaule et esquissa un sourire narquois.
-J'en doute pas.
Ça faisait plusieurs heures qu'on marchait, notre promenade rythmée par des intervalles de silence et de dialogue qui s'alternaient. Et c'était la première fois que je marchais aussi longtemps sans fatiguer, me sentant encore capable de continuer encore plusieurs heures.
On discutait encore, son visage se faisait de plus en plus expressif, démonstratif, ses intonations se diversifiaient, il illustrait ses dires par des gestes. Il disait de belles choses même si aucune d'entre elles ne le concernaient, de près ou de loin. Mais une question me parvint et je profitai de ces quelques minutes de silences pour pour en saisir l'opportunité.
-Tu veux pas fumer une cigarette?
D'après mes lointains souvenirs, mon père fumait dès l'instant où il avait posé un pied dehors mais ça faisait des heures que nous étions sortis et ça ne semblait même pas lui traversé l'esprit. je ne l'ai jamais vu fumer bien qu'il m'ait dit le contraire. Un nouveau soupir se fit entendre, son regard s'ancra au sol, et son pied cogna des cailloux qui partaient au loin.
-Je fume pas.
Je m'y attendais plus ou moins. Il n'avait jamais dans la poche ce qui aurait pu s'apparenter à un paquet de cigarettes ou un briquet; il n'a jamais porté sur lui une odeur de tabac et ses dents étaient dans un trop excellent état pour que je puisse y croire.
-Pourquoi tu m'as dit le contraire l'autre jour, alors?
Je ne dis plus rien, devenant muet. Je ressentais tout ce qu'il ressentait; sa réflexion, son débat intérieur, la reconsidération de ses obligations silencieuses; tout était palpable dans sa façon de regarder autour de lui, de serrer la mâchoire, d'inspirer de façon désordonnée. C'était indépendant de moi et de lui, et je dus m'armer de patience pour entendre ce qu'il ne me disait pas.
-Ma mère fumait. Beaucoup.
Il ne me regardait pas. Plus maintenant. Déglutissait mal, traînait des pieds; ça devait lui coûter beaucoup d'efforts de me révéler ce genre de choses mais je savais qu'au fond de lui, il savait qu'il avait le droit de me faire confiance et de se confier, parce que quelque part, il savait qu'il en avait besoin. Et je ne voulais pas tout gâcher en lui disant des choses faussement rassurantes., ses lourds soupirs me demandant de ne pas l'interrompre.
-Elle m'a fait promettre de ne jamais fumer, et j'ai accepté à la seule condition qu'elle me promette d'arrêter. Elle a accepté mais n'a jamais arrêté, bien au contraire...
Il levait beaucoup la tête vers le ciel, avalait bruyamment sa salive. Devrais-je lui dire qu'il n'était pas obligé de continuer? Non, ça n'allait pas l'aider de garder cette douleur en lui plus longtemps. Ne sachant pas quoi faire, je sortis une main hésitante de ma poche et attrapai entre mes doigts l'extrémité de sa manche, n'osant pas prendre son poignet, ou sa main. Il baissa la tête, et sourit.
-Elle est morte d'un cancer des poumons quand j'étais au collège. J'étais extrêmement en colère et je me suis dit que si elle avait trahi sa promesse, j'étais en droit de trahir la mienne. dit-il, avec une voix dure avant de s'adoucir. Mais j'ai jamais réussi, j'y arrive pas. Alors, je m'assois sur le seuil et je fixe ses mégots. Un jour, j'étais déterminé à le faire, j'étais sur le point de me lever et partir chercher son paquet, mais ce jour là, t'as débarqué... Avec ta foutue arrogance et ton sourire prétentieux à la con...
Il se mit à rire, pendant que je n'osais toujours pas prononcer le moindre mot. Venant de n'importe qui, ça m'aurait vexé mais venant de lui, je l'entendais comme un aveu difficile, sa première impression de moi. Alors je souris aussi.
-Encore une fois, j'ai pas réussi. Et puis...
Il me regarda, inspira et se concentra sur le chemin qui n'en finissait toujours pas.
-Puis j'ai arrêté de vouloir ... A cause d'un crétin qui se marre quand on lui éclate l'arcade... termina-t-il en soupirant les yeux au ciel, avant d'éclater de rire, en même temps que moi.
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Un peu trop long... Oups?
(PS: We go up is the song of the year you can't tell me otherwise)
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RandomNoMin L'un a choisi sa place mais la regrette. L'autre ne l'a pas choisie mais s'y complaît. ❛❛La prochaine fois tâche juste de leur filer tes devoirs, Jaemin.❛❛