quarante-sept

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Nous étions enfin au point pour cet oral d'anglais qui allait avoir lieu dans les semaines suivantes. Comme nous voulions le faire à l'origine, on prit la route en direction de son village, déjà impatients d'envoyer valser cette chaleur qui nous collait à la peau depuis le début de cette après-midi ensoleillée. Comme toujours, lorsque nous nous promenions dans les champs inondant notre air pur de couleurs chatoyantes, la conversation se faisait sans efforts avec nos mains dans nos poches. Mais pas cette fois, et j'ignorais si c'était à cause de la chaleur écrasante ou bien à cause d'un quelconque autre embarras dû à nos aveux récents qui nous freinait.

Dans tous les cas, il prit soin de faire une escale chez lui; premièrement pour aérer un peu puis pour prendre des vêtements. Une fois debout devant le vaste étang, notre sang ne fit qu'un tour et on plongea sans attendre dans l'eau fraîche. Nous n'avions pas même pris la peine de retirer le moindre vêtement excepté nos chaussures, entre nos rires, nos exclamations et l'eau trouble que nous agitions de nos mains et de notre nage approximative. Il s'amusait à m'attraper une cheville parfois, pour me faire revenir en arrière et je râlais, on se taquinait énormément. Jusqu'à faire semblant d'être vexés par moments. Nous faisions des courses mais sans surprise, il était bien plus rapide et moi, j'étais intrigué par les quelques bêtes qui me frôlaient les jambes et regrettais de ne pas avoir pu prendre de quoi regarder ce qu'il se trouvait sous l'eau. Un mystère.

Lui, ça n'avait pas l'air de le déranger. J'étais là, flottant, au milieu de cet étang et caressé par les quelques plantes immergées, mais j'avais perdu toute trace de Jeno. Mes mèches brunes s'écoulaient sur mon visage alors je secouai la tête, éclaboussant les alentours et recréant ces ondes circulaires sur la surface redevenue lisse et calme quand subitement, je fus brutalement entraîné vers le fond et pris de panique, l'inspiration ne se fit pas et j'avalai de l'eau. Quelque chose tenait ma cheville et par réflexe, je tentai de me débarrasser de cette poigne en cognant à l'aveugle avec mon autre pied, le plus fort possible.

Je n'y voyais rien mais mon coeur battait à tout rompre et la seconde suivante, j'étais libéré et gagnai de nouveau la surface. J'entendais des rires. C'était bien sûr Jeno qui avait voulu me faire une frayeur et ça n'avait pas raté.

-Espèce d'imbécile, refais jamais ça! hurlai-je en cognant dans son torse.

Cela eut le don de le faire rire, de toute évidence. Il se jouait de mes frayeurs, et c'était normal. C'était mieux d'en rire avec lui plutôt que d'en faire toute une histoire alors je lâchai l'affaire et me mis aussi à rire aux éclats.

Et nous étions là à rôtir sous ce soleil qui nous avait déjà séché depuis longtemps sur la berge herbeuse. On se répétait notre script de notre oral d'anglais dans peu de temps. Peu après, Jeno se rhabilla et malgré la chaleur pesante, moi aussi. Il fallait que l'on s'entraîne encore pour les autres épreuves qui arrivaient dans quelques semaines également, ce n'était pas le moment pour les distractions.

Alors en dépit des regards évidents que l'on interceptait l'un d l'autre, on marchait côte à côte. Comme la première fois, c'était un retour en arrière vertigineusement identique. Les mêmes fleurs jaunes qui nous guidaient dans le sentier de calcaire blanc et sec. Le même soleil de milieu d'après-midi qui à la fois veillait sur nous et à la fois nous accablait. La même poussière qui salissait à chaque pas nos chaussures mouillées. Les mêmes oiseaux, les mêmes insectes et animaux, les mêmes fleurs valsant doucement embrassées par le vent à peine perceptible. La seule chose qui avait changé dans cette marche, c'était nous.

On ne se regardait pas de la même façon, notre complicité n'était plus la même ni nos paroles, notre vécu. Tout était plus fort qu'avant, plus évident, plus logique. Tout.
Et je me rappelais souvent de ce passé, aussi douloureux qu'amusant pour lui autant que pour moi.

Last Row || nominOù les histoires vivent. Découvrez maintenant