trente-huit

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Il faisait bon pour le moment et nous étions sortis sans quoi que ce soit de plus que nos vêtements et les clés de la maison. Côte à côte, il avait l'air de savoir où est-ce qu'il allait et ma confiance en lui était, hélas, aveugle. Je ne disais donc rien et marchais là où il me menait, où que ce soit sans même m'inquiéter des conséquences de mon absence d'aujourd'hui. Je ne pensais à rien, je ne le pouvais pas, puisque le seul objet de mes préoccupations était juste à ma droite.

Puisque nous ne pouvions pas prendre le bus, nous nous dirigions visiblement vers la ville, mains dans les poches, sans dire un mot. Parfois, l'envie de briser le silence se manifestait mais pour dire quoi? Je préférais me taire plutôt que de parler pour ne rien dire. Alors, le seul bruit du vent léger et des quelques voitures sur le bitume presque inutile se faisait entendre. J'avais aussi peur qu'il me reproche de trop m'inquiéter pour lui si je lui demandais comment allait ses cicatrices, si elles l'avaient fait souffrir cette nuit; une fois de plus, ma bouche ne s'ouvrit pas.

Est-ce qu'il comptait m'adresser la parole ne serait-ce qu'une fois dans la journée? J'en doutais fort, mais j'ignorais toujours autant pourquoi. Nous étions maintenant sortis du village et marchions dans le calcaire qui bordait les routes, que j'affectionnais tellement plus que ce fichu béton.

-Tu as grandi en ville? demandais-je sur un coup de tête, n'en pouvant plus de ce vide. Là où tu habites aujourd'hui, il n'y a jamais eu d'école et je n'ai pas le souvenir de t'avoir vu dans la mienne en primaire.

C'était probablement la question la plus stupide que je pouvais lui poser, surtout au milieu d'un moment de silence embarrassant interminable. Mais j'étais réellement curieux à ce sujet, depuis que j'avais revisité mon village, je me posais la question.

-Oui, j'ai grandi au Nord de la ville, on venait ici chez mon oncle tous les week-ends; j'ai été à l'école là-bas jusqu'à la mort de ma mère. Puis j'ai emménagé chez mon oncle parce que tout me faisait penser à elle là-bas.

De haut en bas, ma tête décrivait de lents gestes, pleins de regrets. Je n'aurais pas dû lui poser la question, et j'aurais surtout dû me douter que son déménagement était lié au décès de sa mère d'une façon ou d'une autre. Je m'en voulais de lui avoir remis en tête ces souvenirs.

-Désolé de t'avoir rappelé ça. m'excusai-je, toujours concentré sur le chemin droit devant.

Rapidement, je jetai un coup d'œil par-dessus mon épaule afin de vérifier l'expression de son visage qui ne me donnait aucune réponse audible. Il souriait.

-T'en fais pas, j'y pense tout le temps, de toute façon. déclara-t-il, sans ciller au contraire de la première fois qu'il m'avait parlé du décès de sa mère. En tout cas, t'as vite deviné où je t'emmenais.

Mon crâne se remplit de douleur, soudainement, et mes yeux s'ouvrirent en grand. Alors que des centaines questions chaviraient ici et là, dans chaque recoin de mon crâne. Bien que curieux au sujet de son passé, de son enfance, de son histoire, je ne comprenais pas pourquoi il avait décidé de partager cet épisode si douloureux de sa vie, alors que le plus compréhensible étant qu'il souhaite tout oublier. Et surtout, je ne comprenais pas pourquoi il voulait partager tout ça avec moi.

-Tu es sûr? Ça ira pour toi? m'interrogeai-je, sans récupérer la moindre réponse intelligible en dehors d'un raclement de gorge. Jeno?

Toujours aucune réponse, mais je sentis ma main enveloppée d'une douce chaleur et en baissant le regard vers cette dernière, les doigts de Jeno l'avaient enserrée. Ils cherchaient à me rassurer, à me demander de cesser de m'inquiéter pour lui. Comme s'il voulait profiter de la marche sans pour autant que l'on ne discute de moment funestes passés. Sa main avait raison, le meilleur dans une vie était le présent.

Last Row || nominOù les histoires vivent. Découvrez maintenant