quarante-et-un

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J'étais à présent dans une voiture de policier qui me conduisait au commissariat où se trouvait ma mère. Il m'avait montré une simple photo me demandant s'il s'agissait bien d'elle, le visage embrumé par quelque chose, je ne saurais dire quoi. Après ma réponse évidemment affirmative, il me demanda poliment de le suivre jusque dans son véhicule pour me retrouver dans ma situation actuelle; une incompréhension totale, complètement perdu et je dirais même une pointe d'inquiétude. Surtout, je n'osais pas faire entendre ma voix dans cette ambiance macabre, grave et anxiogène de voiture de police, pas même pour demander ce qu'il était arrivé à mère et pourquoi se trouvait-elle au commissariat.

Comme le prisonnier, je me trouvais sur la banquette arrière de la voiture, j'avais presque l'impression qu'il avait hésité à m'empoigner le bras et même à me pousser à l'intérieur de sa caisse. Peut-être avais-je exagéré; il avait même été plutôt courtois mais c'était plus fort que moi. En dépit de n'avoir rien à me reprocher, je n'étais jamais été réellement serein en compagnie des forces de l'ordre par peur de faire quelque chose de travers, d'incorrect en quelque sorte; ce n'étaient pas des gens avec qui l'on pouvait plaisanter et j'éprouvais un puissant respect pour le métier qu'ils exerçaient. La nuit tombait.

Il m'ouvrit la porte, m'accompagna jusque dans un étroit couloir désert; moi qui pensais tomber sur des gens pressés, convoqués à tel ou tel endroit pour régler une affaire importante. A travers les vitres, je voyais juste des individus d'une normalité déprimante, chacune assise bien confortablement à son bureau en train de taper lentement sur leur clavier d'ordinateur avec deux doigts. C'était l'erreur que j'avais faite de confondre officiers de police et gendarmes étant petit. Comme me l'avait dit ma mère, les uns étaient fonctionnaires et les autres, militaires. Cette dernière se trouvait juste là, de l'autre côté de cette vitre bleutée et n'avait pas l'air de me voir.

-Je vais te faire un bref résumé; ta mère se promenait dans les rues de la ville, complètement ivre et...

-Excusez-moi, quoi? Ma mère... A bu? demandai-je incrédule, sous le choc. Il doit y avoir erreur, monsieur.

Ses mains originalement dissimulées derrière son dos apparurent, tenant une machine grise, comprenant un écran. Un éthylomètre, et la valeur affichée sur ce dernier me fit froid dans le dos. Ma mère assise dans un siège de l'autre côté de cette vitre teintée laissait tomber sa tête en arrière, hilare. Elle qui n'avait supposément jamais touché à une goutte d'alcool et qui m'avait toujours inculqué les dangers de ce poison, qui m'avait fait grandir dans l'interdiction d'en boire une goutte. J'étais déchiré en deux, entre le dégoût et la colère.

-Je poursuis. Elle était complètement ivre, disais-je, car elle n'a pas su empêcher son enfant de devenir "misérable", soit disant parce que tu aurais arrêté de lui obéir au doigt et à l'œil et de te laisser manipuler par ses ordres, sans parler de ton attirance pour les hommes qui était la raison principale de ses agissements.

Elle riait toujours autant, à s'en écorcher les poumons mais tout ce que j'entendais était la voix monotone bien trop habituée de l'agent. Une sensation que je détestais apparut au creux de ma gorge et se volatilisant à la seconde où mes larmes immondes firent surface. Toujours tiraillé entre dégoût et colère.

-Elle ne t'en veux pas. Elle répétait sans cesse que tu n'y étais pour rien mais qu'elle n'a pas été capable de faire de toi ce qu'elle voulait. Je te passe les détails, elle se lamentait sans arrêt. Cependant, ce n'est pas la raison de sa venue ici: des cas similaires, il y en a des centaines.

-Je m'en doute bien... glapis-je d'une minuscule voix sanglotante.

J'étais détruit. Elle avait l'air de bien s'amuser elle, à chanter des paroles que je n'entendais pas, à siffloter de sa folie alcoolisée.

Last Row || nominOù les histoires vivent. Découvrez maintenant