quarante-huit

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Je les voyais s'écraser sur le sol, juste sous mes yeux, dévalant mes tempes, puis mes joues et s'échapper de la pointe de mon menton. Je souriais, elles étaient là pour me confirmer que je fournissais de grands efforts dans ce que je faisais. Même si mes bras faiblissaient petit à petit au fil du temps, je ne pouvais pas me résoudre à abandonner si facilement au bout de trente-sept pompes. Je commençais à m'essouffler et Jeno, face à moi était bien évidemment plus rapide, concentré, respirait normalement et n'avait pas le moins du monde l'air de fatiguer. Il devait au moins en avoir achevé plus d'une quarantaine. Je ne devais pas me faire d'illusions, il avait grandi dans l'effort physique, la difficulté, et s'est développé dans la violence, la brutalité.

Moi... C'était tout le contraire, je m'en voulais presque de lui raconter mon histoire après avoir entendu la sienne à chaque fois qu'il me parlait de nouvelles choses que je ne soupçonnais pas. Je lisais des livres, faisais mes devoirs, j'obéissais à ma mère, j'allais à l'école, au collège, au lycée tous les jours comme quelqu'un de banal, commun, sans intérêt et je n'avais commencé à m'intéresser à l'activité physique qu'assez tard.

Quarante-quatre.

Quarante-cinq.

Mes bras commençaient sérieusement à trembler. Est-ce que je devrais abandonner?

Quarante-sept.

Le laisser gagner en m'arrêtant à cinquante et en sachant qu'il pourrait continuer encore bien plus longtemps?

Quarante-neuf.

Hors de question, il fallait que je continue au moins jusqu'à ce que je m'effondre. Il fallait que je dépasse mes limites.

Cinquante-deux.

Cinquante-trois.

Cinquante-quatre.

Que je prouve autant à lui qu'à moi ce dont je pouvais être capable lorsque j'allais au delà de mes capacités. Que je brise moi-même les frontières de ma volonté.

Cinquante-sept.

Cinquante-huit.

Mon faciès se peignait de douleur, de rage, et d'épuisement et des halètements hargneux s'échappaient de ma gorge. Jeno leva les yeux vers moi, avec un léger sourire. lui aussi respirait fort et, aussi surprenant que ça puisse paraître, nous avions décidé de faire ça pour faire une trêve dans nos révisions.

Soixante-deux.

Soixante-trois.

Soixante-quatre.

Et on comptait reprendre le travail après avoir pris une bonne douche. Avant de se préparer à se rendre au commissariat avec Mark, afin qu'il puisse obtenir les explications qu'il désirait de son grand frère.

Soixante-sept.

Soixante-huit.

Je fis un faux mouvement, et dans un tremblement muet incontrôlable, mon coude droit s'écrasa au sol, suivi de mes genoux. Essoufflé, je m'assieds en tailleur et Jeno, après m'avoir jeté un léger coup d'œil, fit quelques pompes de plus.

-Soixante-dix-huit, soixante-dix-neuf, quatre-vingt. compta-t-il avant de s'asseoir à son tour dans la même position que moi.

Je lui fis passer la bouteille d'eau se trouvant sur la table basse du salon, avant de la reprendre pour boire également. Lui aussi souriait, laissant ruisseler quelques perles luisantes sur son front et dans son cou; il respirait fort, tout comme moi, sans pour autant haleter et ça ne me laissait juste voir à quel point il était maître de son corps. Les quelques mèches collant à son front, il les ramena en arrière dans un geste souple dans ses cheveux. Je pouvais voir sa peau briller de l'effort, du soleil et des anciennes plaies oubliées.

Last Row || nominOù les histoires vivent. Découvrez maintenant