quarante-trois

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Je n'avais pas repris la parole depuis de nombreuses minutes mais il était là, à continuer de griffonner inlassablement son cahier de brouillons de calculs et de justifications répétitives. La seule chose que j'avais été en mesure de faire était hocher la tête, et le regarder éradiquer sa précieuse larme d'un revers de main enragé.

J'avais été bête, je ne m'en rendais compte seulement maintenant mais il avait raison. Sa réaction était plus que naturelle, et non seulement je ne pensais pas les bonnes choses par rapport à ma mère mais je lui en parlais comme si j'étais satisfait de sa détention provisoire.

Je n'avais pas réussi à me reconcentrer sur mon travail, tremblant de culpabilité, d'envie de lui parler, d'entendre sa voix de nouveau. Je partis me servir quelque chose à boire, toujours ce même sirop, et je versai ce même autre sirop dans un deuxième verre. Celui qu'il aimait depuis sa tendre enfance.
Il avait murmuré un remerciement discret que je n'attendais pas. Il but une gorgée, baissa de nouveau la tête.

-Jeno...

Il ne se laissa pas déconcentrer et continuait de faire basculer son regard de la calculatrice à son cahier sans cesse. Ma lèvre se coinça entre mes dents alors que les siennes embrassaient de nouveau le bord du verre, laissaient couler entre elles le liquide orangé.
Il ne voulait pas m'écouter, mais il était hors de question que je me décourage; il avait raison après tout. Je n'avais pas réfléchi et l'ai blessé.

Il fallait que je dise quelque chose parce qu'autrement, nous resterions dans un silence glacial jusqu'à ce qu'il doive repartir.

Alors je repensais à tour ce qu'il m'avait dit, me mis à sa place, me demandais ce qu'il aurait fait dans ma situation en prenant aussi en considération la perte de sa famille. Je pouvais déjà deviner ce qu'il aurait fait dans la même situation; il était important que j'agisse en conséquences même si cela risquait d'être difficile.

-Jeno... il ne leva pas la tête, mais marmonna. Je... Je vais essayer...

Enfin, son menton se redressa, et son bleu nuit retrouva mon brun dans un instant de questions, dont ses iris m'apportaient les réponses immédiates et réciproquement. Il était évident qu'il ne laissait que rarement s'écouler ses larmes, puisque ses yeux non accoutumés étaient encore rouges. Mais par dessus cette rougeur, apparut quelque chose de plus fort, un fin sourire plein d'espoir.

-Promets le moi.

Et c'est alors que je souris, sous un relâchement de tous mes muscles jusqu'alors serrés à cran et parvins enfin à déglutir assez convenablement pour boire une gorgée de ma boisson. Je hochai la tête, légère et rassurée qui replongea, concentrée, dans mes manuels.

-Ça risque d'être difficile. Le plus important c'est qu'elle sente que tu es prêt à passer outre toutes ces choses.

Malheureusement, j'étais conscient de ça et des choses que cette promesse allait impliquer, sans avoir ardemment réfléchi au sujet au préalable. Le voir blessé par ma faute m'était plus douloureux encore que ce que j'avais enduré à cause de ma génitrice.
Tout ce que j'avais fait était lui dire ce que que lui, il me semble, voulait entendre et à vrai dire, ça ne me surprenait même pas. J'aurais fait n'importe quoi et je le savais. Ce n'était plus chose extraordinaire dans mon esprit.

Je ferai n'importe quoi pour lui.

Il s'agissait seulement là de ma plus grosse erreur. Celle que j'avais enfin fini par admettre, que je ne désirais même pas corriger. Et je savais pertinemment être le seul de nous deux à la faire.

-Depuis combien de temps elle est détenue? me demanda-t-il, de nouveau attelé à un nouvel exercice, de maths cette fois.

Dépliant trois doigts de ma paume pour lui indiquer le nombre de semaines, il se mit à rire après avoir brièvement levé la tête de son énoncé.

Last Row || nominOù les histoires vivent. Découvrez maintenant