Chapitre I

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            Dans quelle merde est-ce que je m'étais fourré... Quelle idée d'avoir accepté un truc pareil, je te jure. En même temps, comment résister à ses grands yeux innocents qui vous fixent d'un air suppliant ? La fatigue m'avait ramolli. Pourtant, il n'était pas plus d'une heure du matin. Il nous manquait sérieusement une case à tous les deux. Le duo de choc. Une folle-dingue désespérée et un escroc profiteur. Pour ma défense, mes parents ne m'envoyaient pas d'argent et ma réserve n'était pas illimitée. J'avais travaillé tous les étés afin de mettre assez de côté en cas de coup dur seulement... Une petite rentrée d'argent supplémentaire ne ferait pas de mal. Rien de bien difficile. Elle voulait de la compagnie, quelqu'un pour l'amuser lors de ses soirées sextoys. Elle se sentait seule, c'est tout. Il fallait juste ne pas trop s'impliquer, ne pas s'attacher à elle. Je l'aiderai, la conseillerai jusqu'à ce qu'elle soit rassurée, ensuite nous reprendrons nos vies, chacun de notre côté, comme si rien ne s'était passé.

Première erreur, elle savait où j'habitais. Si Rose retrouvait la raison et portait plainte contre moi, il ne leur faudrait pas longtemps pour me choper. Bon. Au moins, cela nous éviterait de payer l'hôtel... On se rassure comme on peut, hein.

Seul dans ma voiture, je réfléchissais à sa proposition. Était-elle sérieuse ? Si oui, je devrai planifier nos futures leçons. Qu'allais-je lui apprendre ? L'expérience n'était pas un problème, je connaissais mon sujet. Sauf que... Ma dernière histoire hétéro datait de plusieurs années déjà. Certes, il y avait des similarités, l'acte en lui-même n'était pas si différent mais la préparation, les préliminaires... Disons que ce n'était pas tout à fait la même chose. Quelques idées germaient au fur et à mesure. La fellation en fit partie. Une seconde. Une minuscule seconde. Rien que de m'imaginer lui montrer, la regarder... Je réprimai une furieuse envie de vomir. J'y penserai tranquillement chez moi, avec l'aide précieuse d'Internet.

J'allumai la radio afin d'effacer ces pensées répugnantes. M'allonger était impossible dans cette caisse à savon, j'ouvris la fenêtre du côté passager et y calai mes pieds. Autour de moi, le campus se remplissait petit à petit. Les gens arrivaient de tous les côtés, seuls ou en groupe. La plupart se réunissait sous les nombreux arbres du campus. Les saules pleureurs, parfaits pour une petite sieste à l'abri des rayons, croyez-moi, avaient le plus de succès. Les gourmands s'infiltraient discrètement dans le verger des biologistes, grignoter quelques fruits. L'après-midi, les pommes rouges brillaient sous le soleil. Elles avaient beau être succulentes, la seule raison qui me faisait escalader la clôture, celles qui accaparaient toute mon attention, c'était les framboises. Je serais prêt à tuer pour en manger.

À l'autre bout, derrière les bâtiments des futurs médecins, un cours d'eau venait parfaire le tableau. S'y baigner ? Plus jamais. J'avais tenté l'expérience l'année dernière, les traces d'algues sur mes jambes avaient mis des jours à partir, sans parler de l'odeur qui m'avait collé à la peau. Il y a quelques temps, j'avais découvert près de cette petite rivière, une arche faite de glycines bleues conduisant à un kiosque en pierre taillée. Parfait pour un rendez-vous en amoureux. Encore fallait-il avoir un amoureux.

Le bâtiment des langues se trouvait à l'opposé de celui de Rose. Grâce à elle, je pouvais passer devant les STAPS, les étudiants en sport, une bonne excuse en poche. Quel spectacle ! Lors de leurs entrainements en extérieur, mes amis et moi nous rejoignions souvent au bord de leur terrain, les admirer en plein effort, les mater un peu avant de partir en cours, histoire de se motiver. Tiens, quand on parle du loup...

— Gabi !

— Je t'ai déjà dit de ne pas m'appeler comme ça !

— M'en fous, j'aime bien dire Gabi ! Et ça te va bien.

— Elle est particulièrement en forme ce matin. Pense à respirer Gabriel.

— La journée va être longue...

— Hey ! Je suis là ! M'ignorez-pas, bande de méchants !

— On va être en retard. Julie arrête de baver ! Gabriel, tu viens toujours samedi prochain ?

— Celui de cette semaine ou de la semaine prochaine ?

— Cette semaine... On en a parlé hier.

— Mmmh ouais, peut-être... Normalement, c'est bon.

Et si...

— Je peux amener quelqu'un ?

— Oooooh ! T'as un nouveau copain ? Et tu ne me l'as pas dit avant !

— Dis pas de conneries. C'est juste une... Nouvelle amie, on va dire et elle a besoin de se décoincer. Ça lui ferait du bien.

— Je préfère. Si elle est cool, OK.

— Euh... Ça passe.

— Au fait, pourquoi t'es pas venu au premier cours ?

— Trop longue histoire.

— Ouais, t'as fait la fête comme un malade hier, c'est tout. Ça va te tuer, un jour.

— Si tu le dis.

Comme d'habitude, les profs défilaient, aussi soporifiques les uns que les autres. La fac, ce n'était vraiment pas mon truc mais il me fallait absolument un diplôme de langues, alors je me faisais violence. Mes notes tournaient autour de dix, tout à fait suffisant pour valider mes UE. C'était dire mon investissement.

En fin d'après-midi, j'invitai Rose à la soirée prévue samedi. Habitué aux réponses éclairs, l'attente de son message me fit bouillonner. La patience n'était pas l'une de mes qualités. Trente minutes plus tard, mon téléphone sonna une première fois, suivie d'une seconde. Vu le nombre de points d'exclamation, elle semblait pressée d'y être. Elle ne devait pas sortir souvent, la pauvre. Que pouvait-elle bien faire pendant son temps libre ?

Mon dîner englouti, je mis un film sur mon ordinateur. Une daube monumentale. Merci Netflix de me faire économiser autant de places de ciné. L'esprit ailleurs, je pensai à Rose. Une fille innocente obligée de vivre dans un monde aussi cruel que le nôtre. Elle était venue vers moi dans une dernière tentative désespérée. Jamais une idée pareille ne m'aurait traversé l'esprit. Faire confiance aussi vite à un inconnu dans l'espoir qu'il résolve ses problèmes... Quoique, c'était plutôt courant en fait. Médecins, psychologues, assistantes sociales, j'en passe et des meilleurs. Des gens à qui nous confions nos vies. Non, des professionnels à qui nous confions nos vies. Inconnus mais diplômés. Moins de risques de tomber sur un psychopathe. Dans la rue, il en pousse de partout, comme des pâquerettes. Heureusement qu'elle était tombée sur moi. D'accord, je lui avais menti, comptais lui prendre de l'argent, profitais de sa détresse. Rien de méchant, un autre aurait pu faire pire. Enfin, je crois... Plus j'y réfléchissais, plus je me disais que j'étais fou. Et qu'elle ne l'était pas tant que ça...

Je préfère les poils - Et si je me laissais pousser la moustache ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant