Chapitre Huit

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Nous passâmes tout l'après-midi à parler, manger, mater des films et surtout à rire. Je me rendis compte que mes connaissances sur lui étaient bien minces comparées aux siennes. Il savait presque tout de moi. J'avais donc rattrapé mon retard en lui posant des dizaines et des dizaines de questions, auxquelles il avait accepté de répondre sans rechigner. Qui aurait cru ? Tranquillement, tout en regardant la télévision, la bouche pleine de gâteaux, Gabriel combla le vide d'informations qui nous séparait.

Désormais, je connaissais son âge ! Il avait deux ans de plus que moi, pourtant je n'avais seulement qu'un an de retard sur lui à la fac. Ne sachant quoi faire après son Bac, il avait décidé de prendre une année sabbatique et réfléchir sérieusement à son avenir. Enfin, c'est ce qu'il m'avait raconté. Si enchainer les petits boulots s'appelait réfléchir sur son avenir, alors c'est vrai, il l'avait fait. Serveur, vendeur, réceptionniste, « hôtesse », coursier... Tout cela en si peu de temps. Soit il avait fini par s'ennuyer et démissionner, soit il s'était fait renvoyer pour copinage incessant avec les clients. « Les serveurs, c'est un fantasme récurrent chez les femmes, j'en ai juste profité un peu. Ça m'a permis de rafler pas mal de pourboires. Et un bon paquet de numéros. » Quel prétentieux. Gabriel avait avoué être resté parfois dix minutes à discuter avec des tables de jeunes filles ou de femmes plus mûres. « Il n'y a pas d'âge pour flirter » m'avait-il dit.

Pendant qu'il se livrait, Monsieur m'avait fait part d'un tout autre genre d'activité. Mannequin ! Ce sale gosse avait fait du mannequinat ! Le mec se baladait dans la rue et deux jours après, il était devant le flash d'un photographe. Je le savais ! Il avait une chance insolente, assez perturbante.

Durant presque six mois, il avait posé pour des petites marques de Jeans. Sous la pression, Gabriel m'avait permis de voir son book. Toutes ses photos étaient splendides. Ses yeux bruns... On ne voyait qu'eux. Retouches ou pas retouches, le résultat était remarquable, on avait envie de plonger dans les photos, se laisser emporter par ce dieu aux yeux luisants. Son regard semblait être composé de deux ambres. En réalité, aucun effet luisant ne rehaussait la couleur de ses iris. Merci projecteur, même si leur beauté restait incontestable. Tout comme ses cheveux noirs, contrastant avec le fond blanc de chaque photo. Sur certaines, on pouvait apercevoir des reflets bleus. Là encore, on était loin de la vérité. Sa crinière demeurait d'un noir profond quelque soit l'éclairage. Personnellement, je préférais cette noirceur, très élégante, parfaite pour lui.

« Putain » avait été le premier mot à sortir de ma bouche à l'ouverture de son livre des merveilles. La vue de son abdomen, photographié sous un spot sublimant ses courbes, ses épaules, ses biceps, ses pectoraux, ses abdominaux... Chaque parcelle de son corps mettait le feu aux hormones. De somptueuses ombres soulignaient ses muscles saillants. Dommage qu'il ne soit pas mannequin lingerie. Je... Nous aurions pu profiter du spectacle. J'étais persuadée qu'il avait des fesses à en donner des frissons. Évidemment, hors de question de lui dire, il se moquait déjà bien assez comme ça.

La bave au bord des lèvres vite essuyée, Gabriel m'avait expliqué pourquoi son choix s'était porté sur les études de langues. Ses photos, d'une grande banalité, avaient attiré l'attention d'une agence plus importante. Agence internationale. Seul point noir, le niveau d'anglais de notre mannequin préféré était « trop foireux », selon ses mots. C'est donc par obligation que ses fesses avaient pris le chemin de la fac de langues en Licence d'Anglais. L'agence lui avait signé un contrat précisant que dès la fin de ses études, même sans avoir obtenu son diplôme, les portes lui seraient grandes ouvertes. Dans ce cas, pourquoi aller jusqu'au bout, pourquoi s'investir complètement ? Et bien parce que Gabriel avait des principes. Oui, oui ! Il n'en avait pas l'air, pourtant il prenait cela très au sérieux étant donné les circonstances confortables de son contrat. D'accord... Ses soirées étaient plus souvent dansantes que studieuses, n'exagérons pas son engagement.

Si on résumait les choses. Gabriel était beau. Gabriel était très beau. Gabriel était populaire. Gabriel était un futur mannequin international. Gabriel était attentionné... Ce type était un pur cauchemar ! Pour n'importe qui, homme, femme, il était l'ennemi à abattre. Comment des gens pareils pouvaient exister, quand d'autres, comme moi, survivaient dans le même monde ? Juste à côté, en cohabitation. Bonne ou mauvaise, selon les egos. Miracle, mon demi-dieu à moi était vivable. La plupart du temps. Quand il ne faisait pas son sourire narquois. Ou qu'il ne se foutait pas de moi. Quand il m'emmenait chez le coiffeur. Ou qu'il jouait les chevaliers. Quand il m'offrait un câlin pour me consoler... Ouais, l'homme presque parfait était tout près de moi, m'aimait bien et veillait sur moi. Preuve que même les idées les plus stupides pouvaient être bénéfiques.

Lorsque le petit appart' s'assombrit, la fatigue pointa son nez. Il était temps de rentrer. Demain, je devrai affronter un lever à six heures et demie ainsi qu'un certain Marc. Je le sentais très mal. Si je commençais à stresser maintenant, qu'est-ce que ce serait devant lui...

— Gabriel, il est tard... Tu veux bien me ramener ?

— Si tu veux. Mais tu peux encore dormir ici, ça ne me dérange pas.

— Non c'est bon, t'inquiète. Surtout, je ne veux pas arriver en retard demain. Alors je dors chez moi, même si j'aime beaucoup passer la nuit avec toi.

— C'est ça, oui. Allez, lève-toi, sinon je pourrais te ramener nulle part.

C'est vrai, j'avais passé tout l'après-midi appuyée contre lui. Son contact m'était vraiment devenu indispensable. Au début, il avait laissé son bras sur le haut du canapé. Celui-ci avait vite fini par passer sous le mien et sa main était venue se poser sur ma hanche. Aaaaaaah... C'était si facile avec lui. À aucun moment, je ne m'étais sentie gênée par ses doigts sur moi ou par sa proximité. Rien à voir avec Marc, où rien que la perspective de passer l'après-midi chez lui me fichait la trouille. La seule différence entre eux y était peut-être pour quelque chose. Je savais que Gabriel ne s'intéressait pas à moi. Mon corps devait le sentir aussi, il restait détendu. J'imagine.

— Euh, avant de partir, il faut que j'aille aux toilettes. C'est où ?

— Ça dépend. Petite ou grosse envie ?

— Je ne vois pas vraiment le rapport... Les toilettes sont faites pour les deux, non ?

— Le rapport, il est que les toilettes sont sur le palier, donc dégueulasses. Alors si c'est une petite envie autant faire dans la douche. Moi, c'est ce que je fais.

— C'est dégoutant... Je ne vais pas pisser dans ta douche !

— Bah va aux toilettes sur le palier ! Mais t'as pas intérêt à te plaindre, je t'ai prévenue !

Je sortis de l'appartement de façon théâtrale pour montrer mon indignation. Uriner dans sa douche... N'importe qu... La vache ! À peine arrivée, l'odeur me montait déjà au nez. Je n'osai pas regarder à l'intérieur.

— Déjà fini ?

— Je n'ai pas pu... Comment ils peuvent être dans un tel état ? Et pourquoi ils sont à l'extérieur ? Moi, j'ai une chambre étudiante, c'est normal. Toi, t'as un vrai appartement !

— Un vrai appart'... J'ai posé pour des photographes, ça ne veut pas dire que je suis riche et je te signale que les toilettes sur le palier, c'est plutôt courant. Redescends sur Terre et va pisser dans la douche !

Voilà à quoi j'en étais réduite. Me soulager dans la douche de quelqu'un d'autre. Dans une position tout à fait sexy, façon toilettes turques. Satanée vessie. La prochaine fois, je ne boirai pas autant. J'avais cru vomir lorsque j'avais ouvert la porte. C'était répugnant, trop pour mon cœur fragile.

— C'est bon. Merci pour la douche et... Désolée pour la douche.

— Je t'ai dit que je le faisais aussi, je m'en fous. On y va !

Dès la porte refermée, je ne pus m'empêcher de m'affaler sur mon lit. J'appréhendais légèrement la journée de demain. Combien d'heures de cours avais-je ? Six heures. Tant mieux, nous aurons moins d'occasions de nous croiser, Marc et moi. À peine le dernier fini, je courrai attraper mon train. Pareil mardi. Puis mercredi. Jusqu'au jour de l'obtention de mon master. Ensuite, j'irai faire mon doctorat loin d'ici. Essayons d'abord de dormir cette nuit. Si j'arrivais à survivre à cette épreuve, plus rien ne pourrait me résister.

Je préfère les poils - Et si je me laissais pousser la moustache ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant