CHAPITRE 20 - Retour en forêt de Firone

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Le vent frais de la plaine le frappait de plein fouet, les gouttelettes de rosée nocturne des hautes herbes humidifiant son museau. Les odeurs se mélangeaient, aiguisant son odorat à chaque instant, réveillant en lui ses instincts. Comme Hyrule lui avait manqué. Quitter Midona et le palais avait été un déchirement, il en avait hurlé à la mort lorsque ses pattes s’étaient posées sur le sol d’Hyrule, alors qu’il s’était posté sur une butte en hurlant vers la lune. Un long cri plaintif et douloureux qu’il destinait à sa maitresse. Il courait à vive allure, slalomant entre les fleurs endormies, profitant de son retour sur sa terre natale. Cela faisait quoi, des années, des siècles ? Le temps s’était arrêté depuis qu’il avait fait le choix de quitter ce monde pour rejoindre le crépuscule. Des voix lui avaient murmuré qu’Iria avait été inconsolable, sans doute se serait-elle donné la mort, elle aussi, si leur fils ne lui avait pas donné la force de continuer à vivre. Il secoua la tête pour chasser ses souvenirs. Se concentrer sur la mission. C’était primordial. Il s’arrêta soudain, renifla le sol quelques instants, puis repris sa course folle. L’odeur des sous-bois et des champignons n’était plus très loin. Si Frambra avait dit vrai à Midona, c’est là-bas qu’il devrait trouver les personnes qu’il recherchait. Enfin surtout, la personne. Peut-être même son descendant.
Soudain, un craquement le mis en alerte, il stoppa net, la patte avant levée, les oreilles droites : droit devant lui, à quelques mètres, se dressait une volaille bien dodue, qui fouillait le sol avec son bec. Il se lécha les babines. S’aplatissant comme une crêpe, il rampa doucement jusqu’a sa proie, avant de bondir soudainement en un saut vertical sur la victime : raté ! Elle s’était envolée dans un bruissement d’ailes. Déçu, il croqua une pauvre sauterelle qui venait de lui passer sous le nez. C’était pas si mauvais. Il se sentit même légèrement... revigoré ! D’attaque, il se lança de plus belle dans sa course, porté par le vent et le regain d’énergie qui venait de le saisir. L’orée de la forêt était en vue, il approchait de son but.

C’est en courant que le loup pénétra dans les bois, retrouvant l’odeur d’humus, de fleurs et de champignons qu’il avait connue autrefois. Les lieux étaient toutefois bien différents de ce qui subsistait dans ses souvenirs. Il ne fallait pas qu’il se laisse distraire par la perspective de retrouver le chemin de Toal, si tant est que le village existait encore. Il devait trouver le nouveau Héros, celui qui allait brandir l’Epée de Légende à son tour.
Pendant tant et tant d’années, avec Midona, ils avaient craint que tout ne recommence. Puis, ne voyant rien venir, ils avaient espéré qu’il en était bel et bien fini de Ganon et de ses ténèbres. Mais finalement, le monstre avait patienté, loin de tous, pour mieux ressurgir. Il espérait que ce Link, ce jeune homme qui avait hérité à la fois de son nom et de sa mission, serait à la hauteur. Il espérait surtout qu’il serait suffisamment fort pour endurer les sacrifices à venir.
Un bruit de métal s’entrechoquant le tira de ses pensées. Il renifla l’air et rampa dans les fourrés dans la direction du combat. Tapis dans un tronc d’arbre mort, il observa la scène. Trois humains étaient aux prises avec un petit groupe de Bulblins armés de masses. Quoi que cela ressemblait aussi à des Bokoblins à cause de leur peau rosâtre. Même les monstres n’étaient pas tout à fait les mêmes que ceux qu’il avait autrefois combattus et il se demanda soudain ce qui restait exactement de son époque, de son histoire.
- Aaaaaaah ! Mais lâche ! Lâche donc !
L’humain qui s’était mis à crier se débattait contre un monstre qu’il avait tenté de repousser avec un énorme livre. Le coup avait raté la tête, mais la créature tenait désormais le livre entre ses dents, vociférant pour faire lâcher le jeune Hylien qui s’y cramponnait comme s’il en allait de sa vie. La scène hautement comique fut interrompue par le compagnon du jeune homme, un colosse à la coiffure improbable. Il attrapa le monstre comme s’il ne pesait rien pour le jeter au loin, contre un arbre où il s’assomma.
- Ah ah ah ! Le Grand Hergo à la rescousse ! se vanta le colosse en remettant sa crête de cheveux rouges en place.
Il tapa dans le dos de l’autre qui manqua de tomber, remettant ses lunettes en place.
- Oui… ah ah, merci, Hergo.
- Tu devrais rester à l’écart, Jehd. Un gringalet comme toi n’a jamais su se battre.
- Mais…
Jehd voulut lui répondre qu’il n’avait jamais voulu se battre, qu’il n’était pas là pour cela, mais l’autre était déjà reparti à l’assaut d’un bokoblin.
- C’est pas bientôt fini de faire la causette, les filles ? se moqua le 3e Hylien en tuant son 4e adversaire de ses sabres jumeaux.
Celui-ci piqua aussitôt la curiosité du loup. Son odeur était celle des bois, du vent, de la pluie. Il respirait le calme malgré la situation. Il était curieusement vêtu, avec un ensemble bleu sombre très près du corps, le visage et la tête dissimulés sous une étoffe blanche qui ne laissait échapper que quelques mèches blondes.
- Laisse-moi les autres, Sheik, fit Hergo en tapant son poing droit dans sa main gauche.
- Quels autres ? Pendant que vous discutiez, j’ai eu le temps de m’en débarrasser.
En effet, il n’y avait plus aucun adversaire debout. Hergo parut déçu ou gêné que le fameux Sheik ait résolu le problème quasiment à lui tout seul. Jehd, en revanche, était soulagé et s’effondra plus qu’il ne s’assit sur une vieille souche.
- Il y en a de plus en plus… soupira-t-il en remettant encore ses lunettes en place.
- Et ça ne va pas s’arranger avec ce qui s’est passé au château, répondit Sheik en essuyant les lames de ses sabres.
Il posa sa main sur l’épaule de l’autre dans un geste amical et réconfortant.
- C’est pour ça que tu n’aurais pas dû quitter Toal.
Toal ! Le loup releva les oreilles en entendant le nom de son village natal. C’était inespéré !
- Oh, je sais bien que ma place est à la bibliothèque, je ne sers pas à grand-chose hors de mon habitat naturel, essaya de plaisanter Jehd. Mais sans moi, vous n’auriez pas pu réactiver les statues.
- Tu m’aurais appris, lui fit Sheik avec un sourire dans la voix.
- Oui, on n’avait pas besoin de t’avoir dans les pattes, dit Hergo en se plantant devant lui, les bras croisés sur sa large poitrine.
- Hergo !
- Mais… Sheik… Tu viens de dire que…
Le colosse sembla se faire tout petit alors que Sheik le regardait avec désapprobation. Il soupira et capitula.
- Bon, d’accord, j’ai rien dit.
Sheik secoua la tête comme s’il avait l’habitude de ce genre de discussions.
- Remettons-nous en route. Nous n’en avons pas fini avec ces fichues statues si nous voulons protéger le village à temps.
Hergo s’éloigna le 1er, la tête haute et le dos droit. Son allure le faisait vraiment ressembler à un coq, ce qui amusait beaucoup le loup qui avait enregistré son odeur : sueur et parfum bon marché. Celle d’encre, de poussière et de parchemin de Jehd était bien plus agréable en comparaison.
Soudain, le loup se tapit le plus possible dans son tronc d’arbre. Sheik regardait dans sa direction, plissant les yeux. L’avait-il aperçu ? Il n’en était pas sûr. Sheik finit par tourner les talons, rejoignant Jehd qui se lamentait sur les dégâts que les crocs du bokoblin avaient occasionné à son livre.
Quand ils eurent disparu au cœur des arbres, le loup s’extirpa de sa cachette. Leur histoire de statues l’intriguait. Sans compter qu’ils avaient parlé de Toal. Devait-il les suivre ? Mais ces trois-là n’étaient pas ceux dont Frambra avait parlé, même s’il y avait un colosse roux et un petit peureux dans ce groupe-là aussi.

Le loup avait repris sa route, cherchant ceux dont Frambra avait parlé, mais force était de constater qu’ils n’étaient pas encore arrivés en Firone. Il avait interrogé les autres animaux de la forêt, non sans mal puisqu’il avait d’abord fallu les convaincre qu’il ne souhaitait pas les manger. Aucun n’avait aperçu d’étrangers dans la forêt en dehors des monstres. Finalement, il leur avait demandé de le prévenir s’ils voyaient les 3 hommes qu’il cherchait. Pour sa part, il était reparti sur la piste de Sheik, Hergo et Jehd, avant tout parce qu’ils pouvaient le mener jusqu’à Toal. Il voulait tant voir ce que son village natal était devenu et, peut-être, en apprendre un peu sur ce que son fils était devenu, voir ses descendants…
Grâce à son flair, il retrouva leurs traces assez rapidement et s’enfonça plus avant dans la forêt. Les arbres resserraient leurs rangs, les fourrés plus denses. Il s’engagea dans une grotte sombre, suivant toujours l’odeur de parfum bon marché d’Hergo et celle d’encre de Jehd. Les cadavres de deux skulltulas lui indiquèrent que Sheik et ses amis étaient bien passés par là et la torche abandonnée, encore fumante, que c’était tout récent. Le loup continua, humant l’air qui commençait à changer, se gorgeant d’ozone alors qu’il se rapprochait d’une zone où régnait des brumes épaisses. Tout son être lui criait qu’il y avait du danger par-là et il fut soulagé de sentir que les humains qu’il cherchait n’étaient pas partis dans cette direction. Un instant, alors qu’il s’était un peu trop approché des brumes, il crut entendre, dans le lointain, un ricanement assorti du son d’une petite trompette, mais il ne fut pas certain que ce ne soit pas son imagination. Ou ses souvenirs qui ressurgissaient.
- Il devrait y en avoir une par ici, entendit-il finalement au bout d’un long moment.
Le loup reconnut la voix de Jehd et s’approcha avec précaution. Le petit groupe s’était arrêté au milieu d’arbres gigantesques. De ceux qui étaient morts depuis longtemps, il ne restait que des souches géantes et des troncs à terre qui ne l’étaient pas moins. Les cimes des autres étaient si hautes que leurs branches chargées de larges feuilles dissimulaient le ciel, ne laissant entrevoir qu’une pâle clarté, rendant l’atmosphère presque irréelle. 
Sheik et Hergo étaient occupés à fouiller les environs, écartant les fourrés ou le lierre qui avait envahi la plupart des arbres morts. Jehd était plongé dans son livre, le visage concentré.
- Je l’ai trouvée, annonça finalement le colosse à la crête de coq.
Il arracha un pan de lierre d’un coup sec pour dévoiler une statue qui ne manqua pas de rappeler des souvenirs au loup. Deux fois plus haute qu’un Hylien moyen, elle était sculptée dans une pierre grise que le temps ne semblait pas avoir altéré. A peine y avait-il un peu de mousse dessus. Elle représentait une chouette massive et était percée d’un large trou au niveau de l’abdomen. Contrairement aux souvenirs du loup, le cou de l’oiseau était orné d’un joyau bleu en forme de losange.
- Il en reste encore beaucoup après celle-là ? demanda Sheik.
- Au moins deux, peut-être trois.
Sheik hocha la tête et montra la statue à son ami.
- A toi de jouer.
- Empêche Hergo de se moquer cette fois, tu veux bien, soupira-t-il.
Jehd posa son livre ouvert sur une pierre plate et fouilla dans son sac à dos. Il en ressortit un étrange sceptre de métal finement ouvragé. Le manche était fin et s’élargissait vers le haut. Sa tête était composée d’un cylindre gravé de symboles et de trois excroissances figurant des ailes dont la pointe était tournée vers le ciel. Aussitôt, le loup reconnut le Bâton Anima qu’il avait utilisé autrefois. Ce Jehd-là devait donc bien être un descendant de celui qu’il avait connu alors et qui était passionné par les glyphes et les légendes des Célestiens.
Jehd empoigna le bâton dans une main et s’avança jusqu’à la statue. Il ferma les yeux et fit tournoyer l’artefact magique devant lui. Hergo, un peu plus loin, ricana doucement jusqu’à ce qu’un regard appuyé de Sheik l’arrête. Puis, devant les yeux incrédules du loup, Jehd exécuta une chorégraphie complexe, dansant d’un pied sur l’autre, tournoyant sur lui-même, se dandinant, tout en chantant une formule dans une langue que l’ancien Héros ne connaissait pas. Pour un peu, le loup se serait attendu à ce que Jehd soit entouré de lumière et qu’il change de vêtements ou d’apparence, mais seule la tête du bâton se mit à briller pour que, finalement, une boule de lumière apparaisse à son extrémité. Jehd arrêta de danser dans une dernière pirouette et dirigea la boule de lumière vers la statue dont le joyau s’était mis à légèrement pulser comme une respiration. Dans une dernière phrase, le jeune Hylien lança la boule magique sur la statue qui l’absorba, donnant toute sa lumière au joyau qui brillait tellement qu’il était impossible de le regarder en face. Aussitôt, un faisceau lumineux en sortit, filant à travers la forêt plus au sud.
- Voilà. Il faut qu’on trouve les dernières pour que le cercle soit complété, fit Jehd en rangeant le bâton dans son sac.
- Et tu crois que ça protégera vraiment Toal ? demanda Hergo.
- Combien de fois devrais-je te l’expliquer ? C’est écrit : une fois la magie rendue aux statues, tout ce qui se trouve à l’intérieur du cercle sera derrière une barrière magique impénétrable.
- Si tu ne t’es pas gourré dans la traduction ou dans tes petits pas de danse, se moqua l'autre en se dandinant dans une imitation grossière.
- Hergo, ça suffit, trancha Sheik d’un ton sec. Jehd a étudié l’ancien hylien toute sa vie. Il sait très bien ce qu’il fait. Et n’oublie pas qu’Impa lui a donné toute sa confiance et moi, la mienne.
Jehd parut gêné par les mots de son ami et il cacha son embarras en plongeant son nez dans son bouquin, remontant ses lunettes sur son nez.
- Ok, ok… C’est que je m’inquiète, moi, soupira le colosse.
- Repartons. La nuit ne va pas tarder. Il faut qu’on se trouve un abri, ordonna Sheik en faisant un signe à Hergo d’oublier cette conversation.
Jehd et le colosse reprirent leur marche, mais Sheik resta un instant en arrière, à regarder la statue. Le faisceau lumineux avait disparu pour le moment. Si ce que le livre de Jehd disait était vrai, il réapparaitrait lorsque le cercle serait complété. Impa devrait alors être rentrée de sa mission et ils pourraient se concentrer sur la suite à donner aux événements.
Le jeune homme tourna la tête soudain vers les bois.
- Je sais que tu es là, tu peux sortir.
Le loup sut que c’était à lui qu’il s’adressait, aussi avança-t-il hors du fourré où il était caché. Il approcha doucement alors que Sheik s’accroupissait pour être à sa hauteur.
- Tu nous suis depuis un moment, toi. Tu n’as pas l’air d’être un loup ordinaire.
Le loup ne pouvait lui répondre, aussi se contenta-t-il de hocher la tête. Sheik tendit la main vers lui et il l’autorisa à la poser sur son front. Le loup devina que, derrière son écharpe, le jeune Hylien souriait doucement.
- Tu me rappelles le loup d’un conte que m’a appris Impa. Il racontait l’histoire d’un jeune berger devenu Héros et qui pouvait devenir loup. Impa disait qu’il avait un signe sur le front. Peut-être un peu comme le tien… Tu veux venir avec nous ?
Le loup approuva d’un nouveau signe de tête. Il ne pouvait pas lui dire qu’il était bien le loup de son conte, et que cette histoire n’était pas un mythe, mais qu’elle avait bien eu lieu.
- Alors, suis-moi, mais ne te vexe pas si Jehd et Hergo ont peur de toi au début. D’accord ?
Sheik se releva. Il ne savait pas pourquoi il faisait confiance à ce loup d’emblée, sans se poser de questions, mais Impa lui avait toujours répété qu’il avait un instinct plus développé que la moyenne et qu’il fallait toujours qu’il apprenne à le suivre. Et puis, il y avait quelque chose dans le regard bleu de cet animal qui résonnait au plus profond de son cœur et cela, il ne pouvait l’ignorer

Épopée d'Hyrule: TOME 1 , Les élus  [ EN CORRECTION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant