CHAPITRE 21 - Corps et Âme

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Depuis qu’Hönir et ses acolytes s’étaient échappés en laissant le corps inerte de Frambra, Ganondorf avait fait nettoyer la pièce. Il n’avait réalisé ce qui c’était passé que lorsqu’il avait repris ses esprits. Il avait découvert une mare de sang où gisait le corps sans vie de Frambra, il lui avait fallu un moment pour se souvenir qu’il était à l’origine de sa mort. Il détestait son frère, mais de là à tuer de sang-froid et sans sourciller une des personnes à qui il tenait le plus…
Après avoir porté le corps et l’avoir déposé sur une grande table, il avait nettoyé le sang sur la peau de la Gerudo. Il l’avait coiffée et avait soigneusement caché sa plaie à la gorge. Il avait délicatement posé un drap sur elle pour la recouvrir. En attendant les Twinrova, il était allé dans sa chambre, s’était assis sur son lit et avait contemplé l’endroit où avait été le corps de Frambra. Il l’avait aimée, plus que son frère, c’est pour cela qu’il l’avait faite prisonnière la première fois. Il la voulait pour lui seul, il ne supportait pas devoir la partager. Elle n’était pas comme toutes les Gerudos, elle était spéciale pour lui. Il savait pourtant qu’il ne pouvait aimer quelqu’un sans lui faire du mal. La malédiction qui coulait dans ses veines était plus forte que tout, plus forte que lui.
Il avait essayé de lutter contre plus jeune, mais toute cette colère qui émanait de lui lui faisait un bien fou, il avait une soif de vengeance qu’il ne contrôlait pas. Il voulut pleurer Framba, mais aucune larme ne coula. Il avait serré les poings de colère : cette mort était le résultat de la stupidité de son frère. Il se jura de le faire souffrir autant que lui aurait voulu souffrir de cette perte.
Deux jours après la mort de Frambra, Kotake et Koume arrivèrent finalement au temple. Elles remarquèrent aussitôt l’attitude de Ganondorf face au corps de la jeune Gerudo. Elles s’échangèrent un regard et Koume fit oui de la tête. Ganondorf les avait observées de loin. Il fit quelques pas dans leur direction et demanda ce qu’elles lui cachaient.
- Nous pouvons la ramener, lui dit Kotake en lui faisant face avec un sourire machiavélique.
- Mais au vu du temps qu’il s’est écoulé, elle n’aura pas son âme, rajouta Koume.
- Mais au moins elle sera à ta merci, reprirent-elles en chœur.
Un rictus aux lèvres, Ganondorf leur répondit qu’il tenait la vengeance contre son abruti de frère. C’est ainsi qu’il ordonna au Twinrova de ressusciter Frambra.
Les sorcières jumelles ricanèrent en signe d’approbation et se lancèrent dans les préparatifs de leur sortilège. Ganondorf transporta le corps de Frambra lui-même jusqu’à leur antre, la déposant avec une grande délicatesse sur l’autel de pierre. Il observa longuement le visage sans vie de la jeune femme, caressant sa joue de ses doigts rudes. Très bientôt, elle serait à ses côtés. Très bientôt, elle serait à lui et rien qu’à lui. Très bientôt, Hönir souffrirait comme il avait souffert.
Pendant ce temps, Koume avait allumé le feu sous un énorme chaudron et Kotake avait pioché dans leurs pots les ingrédients. Elle les posa sur une table et avec sa sœur, commença à tourner autour du chaudron en dansant d’un pied sur l’autre tout en agitant leurs baguettes surmontées d’un joyau.
- Gni hi hi hi, ramenons la fille, chantèrent-elles de leurs petites voix aigrelettes. Que la magie redonne vie à ce corps qui en est privé.
Puis, à tour de rôle, elles jetèrent les ingrédients dans le chaudron bouillonnant tout en continuant à chanter.
D’abord, un viscère d’un Moldarquor très ancien. Pouf ! Le chaudron cracha un nuage de fumée verte.
Puis, de la poudre d’os de Stalfos. Pouf ! Cette fois, la fumée du chaudron devint orange.
Ensuite, le foie d’un Lézalfos trempé dans le poison d’une Skulltula. Pouf ! de la fumée jaune.
Le sang du dragon Volfos et la fumée devint rouge.
De l’extrait de spectre et ce fut de la fumée violette.
Ganondorf les regardait faire, appuyé contre un mur, les bras croisés sur la poitrine. Elles avaient intérêt à réussir. Il ne supporterait pas qu’elles le déçoivent. Qu’elles l’aient élevé ou pas, sa colère serait terrible en cas d’échec.
Une fois le dernier ingrédient dans le chaudron, Koume et Kotake tournèrent de plus en plus vite autour de lui en psalmodiant des incantations dans une langue ancienne. La mixture bouillonna de plus en plus et la fumée se répandit au sol. Elle courut jusqu’au corps sans vie de Frambra, rampant au sol comme un serpent de brumes. Elle grimpa l’autel de pierre et caressa la Gerudo qu’elle recouvrit petit à petit jusqu’à la faire disparaitre complètement. Puis, ce fut le silence. Les sorcières se turent et Ganondorf retint sa respiration, tous les sens tendus vers l’autel, impatient.
La fumée se dissipa lentement et, devant ses yeux satisfaits, Frambra se leva. Elle s’assit sur l’autel, puis en descendit. Sa peau était devenue très pâle, livide, ce qui faisait ressortir encore plus le roux flamboyant de sa chevelure. Ses yeux avaient changé de couleur pour prendre le violet de la fumée. Sur son front brillait un joyau ovale de la même couleur, incrusté à même la peau.
- Gni hi hi hi, elle est à toi, mon Prince, firent les jumelles en chœur.
- Elle obéira au moindre commandement, continua Koume.
- Elle te sera à jamais fidèle, reprit Kotake.
- Tu es son seul et unique maître, conclurent-elles à l’unisson.
Elles ricanèrent comme à leur habitude, grimpèrent sur leurs balais et volèrent hors de la pièce, le laissant seul avec le zombie de Frambra.
Ganondorf approcha de la jeune femme.
- Viens ici.
Sans une hésitation, elle obéit. Il fit le tour d’elle pour l’observer, immobile et silencieuse. C’était très étrange de la voir ainsi, mais il était pleinement satisfait du résultat.
Il se colla contre son dos, glissant sa joue contre la sienne, posant ses mains sur ses hanches, puis sur son ventre.
- Tu es à moi, maintenant.
- Oui, Maître.
Si le corps de Frambra était glacé, sa voix l’était tout autant. Monocorde, elle démontrait que le zombie n’avait aucune volonté. Quelque part, au plus profond de lui, Ganondorf savait que la poupée qu’il tenait entre ses bras n’était plus la femme dont il était tombé amoureux, que ce n’était plus qu’une enveloppe vide. Mais il écarta très vite cette pensée car elle lui appartenait totalement. Et c’est tout ce qu’il avait toujours voulu depuis leur première rencontre, par hasard, dans cette oasis isolée. Elle l’avait alors pris pour son jumeau et il avait joué le jeu pendant les quelques jours qui avaient suivi. Elle l’avait totalement subjugué par sa fougue, son esprit rebelle, son sourire… et jamais plus il n’avait pu l’oublier ensuite, peu importait les autres femmes qui lui ouvraient leurs bras et leurs draps.
- Viens avec moi.
- Oui, Maître.
Il s’écarta d’elle et l’entraîna dans les couloirs du Colosse du Désert. Frambra serait désormais à ses côtés sur le trône de son futur empire, mais ils avaient encore fort à faire. Le château d’Hyrule était tombé, mais il restait les autres peuples à soumettre. Les Gorons, les Zoras, les Piafs… Tous devraient plier devant lui. Ils devaient également trouver et éliminer les Sages qui pourraient représenter un danger pour son pouvoir. Sans compter qu’il fallait retrouver son adversaire éternel, ce jeune Hylien détenant la Triforce du Courage, et l’écraser. Mais surtout, il devait se débarrasser de son frère et Frambra serait le parfait instrument pour cela.

Au royaume du crépuscule Midona observait du balcon les âmes arriver les unes après les autres. Elle commençait à s'inquiéter. La scène qui se déroulait sous ses yeux était la même qu’il y a un siècle, mais cette fois les âmes arrivaient au Royaume bien plus vite. Elle porta ses mains sur son coeur, ferma les yeux et visualisa son loup. Il était tapi dans un tronc d'arbre et observait un groupe de jeunes gens. Soulagée, elle rouvrit les yeux et se dirigea vers ses appartements.
Frambra, quant à elle, avait pris possession de sa chambra. Elle était bien plus grande que le bouiboui dans lequel elle dormait quand elle n'était pas en vadrouille. Il y avait un lit à baldaquin gigantesque drapé d'un tissu de couleurs bleu nuit. Un coffre énorme était devant le lit. Elle s'en approcha et laissa courir ses doigts dessus. Elle regarda autour d'elle et fit l'inventaire des lieux : une majestueuse armoire en bois sculpté sur sa droite, une table ronde avec un pied central au milieu de la pièce. Elle remarqua une porte au fond, sûrement la salle de bain. Un bruit sourd la fit sortir de sa rêverie, il provenait de l'extérieur.
Elle s'approcha de la fenêtre et vit les âmes affluer vers le château.
« Tant de morts inutiles » se dit-elle.
Elle eut une pensée pour Hönir. Elle se demandait où il était, sûrement à vouloir venger sa mort. Et Lovio… Son coeur se serra à la pensée du jeune Hylien. Son coeur ? Comment pouvait-elle ressentir alors qu'elle n'était plus ? C'est à ce moment qu'une vive douleur se fit ressentir. Elle irradiait dans tout son corps. Frambra ne comprenait pas ce qu'il lui arrivait, elle essaya d'appeler à l'aide Midona, mais n'y arriva pas.
Elle réussit à se rendre dans le couloir avec beaucoup de mal, ses pieds ne supportant son corps qu'à moitié. Une servante qui passait par là la découvrit, avachie contre le mur.
- Midona... vite... ma tête… mon corps…
La servante revient après plusieurs minutes qui parurent une éternité à Frambra. Midona s'agenouilla auprès d'elle et passa une main derrière elle pour la soutenir.
- Que m'arrive-t-il ? demanda Frambra à bout de souffle.
Midona était vraiment inquiète, cela ne pouvait être ce qu'elle pensait. Frambra hurla de douleur et porta une main à sa gorge.
- Ça me brûle ! Aide-moi, la supplia la Gerudo.
- Cela va passer, lui promit Midona
- Maitresse, que lui arrive-t-il ? lui demanda la servante, inquiète.
- Je pense que quelqu'un essaie de la ramener dans l'autre monde, répondit Midona. Je ne vois que les Twinrova pour faire ça, mais pourquoi ? Dans quel but ?
Midona prit Frambra dans ses bras pour la rassurer. Celle-ci lui agrippa le bras de douleur.
- Je reste près de toi..., lui murmura Midona.
Puis Frambra sombra, son corps se relâcha, épuisé par la douleur.
- Mettons la dans son lit, cette aventure l’a épuisée, dit Midona à sa servante.

Après plusieurs jours de sommeil, Frambra ouvrit enfin les yeux.
- Te revoilà parmi nous.
Frambra s'assit dans le lit et chercha la personne dans la pièce. Midona regardait par la fenêtre.
- Que m’est-il arrivé ?
- Ganondorf a ordonné aux sorcières de faire revivre ton corps, c'est pourquoi tu as ressenti ses douleurs.
Frambra se regarda de peur d'avoir perdu corps.
- Ne t'inquiète pas, lui dit Midona. Il a seulement fait revivre ton corps terrestre.
- Mais comment est-ce possible ? interrogea Frambra
- La magie noire.
- Je ne peux le laisser faire ! hurla la Gerudo.
Elle écarta les couvertures et se mit debout.
- Je me doutais bien que tu dirais cela, c'est pourquoi je suis là.
- Vous ne pouvez pas me renvoyer sur Hyrule, alors qu'est-ce que vous pourriez bien faire pour m’aider ?
- Je ne peux pas te renvoyer sous ta forme humaine.
- Comment ça ? C'est maintenant que vous me le dites ?
Midona leva la main, paume ouverte vers Frambra. A l'intérieur se trouvait un magnifique petit oiseau.
- Je vais mettre ton âme dans mon petit Shiro et je vous renverrais sur Terre.
Frambra regarda la petite créature.
- C'est possible ? Je veux dire vraiment possible ? interrogea la Gerudo.
- Tu as vu mon loup, non ?

Frambra était inquiète à l’idée de se transformer en petit oiseau, aussi mignon soit-il. Midona lui avait laissé le temps de la réflexion. Elle lui avait expliqué que la transformation était irréversible, qu’il n’y avait pas de retour en arrière possible.
Frambra était assise sur une chaise devant la fenêtre et regardait sans but, au loin, les âmes arriver par dizaines. Elle repensait à ce que Midona lui avait raconté à propos de son loup. Il avait été un homme il y a bien longtemps, ils avaient combattu ensemble le Fléau. Mais il n’avait pas supporté leur séparation après cette bataille. Le jeune Hylien, comme l’appelait Midona, s’était alors donné la mort pour la rejoindre, laissant derrière lui femme et enfant. Il était arrivé comme Frambra, ce n’était pas juste une âme de passage. Puis un jour, pris de remords, il avait voulu revoir son fils qu’il avait abandonné. Par amour pour lui, Midona l’avait transformé ainsi en loup, pour qu’ensemble, ils puissent se rendre sur ses terres. Malheureusement, ils n’avaient retrouvé personne, et il était revenu au Royaume du Crépuscule le cœur lourd de regrets. Il s’était isolé pendant plusieurs années, guettant les âmes qui arrivaient au pays, espérant reconnaitre celle de son fils ou de sa femme. Frambra avait alors compris pourquoi le loup avait toujours l’air triste. Elle poussa un long soupir, elle voulait revoir ses amis, les aider, mais pourquoi sous la forme d’un oiseau et pas sous celle d’un loup comme celui de Midona ? Mais elle n’allait pas faire la difficile, il avait été déjà bien que la Princesse du Crépuscule lui propose cette alternative.
Elle se leva et finit par rejoindre Midona qui se trouvait dans ses appartements.
- Très bien, dit Frambra debout devant la porte, les bras croisés sur la poitrine. Je suis d’accord. Même si je ne suis pas vraiment d’accord avec le choix de l’animal.
Midona se retourna en penchant la tête sur le côté. Elle regarda un long moment Frambra, puis se décida à parler.
- Bien, faisons ça de suite.
- De suite ? s’étonna Frambra
- Nous n’avons pas une minute à perdre. Je te rappelle que le temps ici n’est pas le même qu’en Hyrule.
Midona traversa la salle et passa devant Frambra, elle lui fit signe de la suivre. Elles se rendirent toutes deux dans une petite pièce ronde au plafond haut. Les murs étaient de pierre de couleur bleu sombre. Il n’y avait pas de fenêtre. En son centre se trouvait un piédestal où flottait un fragment de cristal noir.
- C’est un fragment de magie, fit Midona.
Sur un des murs était accroché un miroir rond où l’on pouvait voir la surface onduler.
- Le miroir des ombres je présume, demanda Frambra en montrant l’objet du doigt.
- Tu es perspicace jeune Gerudo. Mais occupons-nous de ta transformation, si tu veux bien.
Midona se saisit du cristal et demanda à Frambra de tendre sa main paume vers le haut. Celle-ci hésita un instant, puis finit par le faire. Midona claqua des doigts de sa main libre et fit apparaitre le petit oiseau.
- Je vais enfoncer le fragment de magie dans ta paume et poser ensuite Shiro dans ta main. Cela risque d’être un peu douloureux.
La Gerudo n’en avait rien à faire de la douleur, elle voulait en finir au plus vite et retourner aider ses amis. Midona leva la main et d’un geste brusque lui enfonça le fragment dans la paume. Frambra ferma les yeux et inspira profondément. La douleur était vive mais supportable. Elle sentit des picotements dans ce qu’on appelait son corps, puis le noir. Elle rouvrit les yeux après ce qui lui parut quelques minutes, et rien n’avait changé autour d’elle. Puis, Midona se posta devant elle et lui tendit la main délicatement. Elle lui demanda comment elle se sentait. Frambra mit plusieurs secondes avant de comprendre que Midona n’avait pas ouvert la bouche pour lui parler et que la voix était dans sa tête.
- Te voilà transformée, tends tes ailes et envoile-toi.
Frambra agit instinctivement comme si voler était inné chez elle. Elle fit quelques tours puis se reposa sur le doigt de Midona.
- Je suis prête, je veux me rendre auprès de mes amis, dit la Gerudo.
- Je ne peux t’envoyer qu’auprès de mon loup, je n’utiliserai pas le miroir, cela est bien trop dangereux pour le moment.
Frambra était déçue, mais au moins, elle les retrouverait à un moment ou un autre.
- Bien. Ferme les yeux et concentre-toi sur ma voix. Il te suffit de penser à mon loup pour te rendre à ses côtés.
- Alors, il me suffirait de penser à mes amis pour me rendre auprès d’eux, non ? demanda Frambra
- Malheureusement, ce n’est pas aussi facile car je ne sais pas où ils se trouvent et ma magie est limitée. Allez, fermes les yeux. Tu es prête ?
Midona claqua des doigts et Frambra sous la forme de Shiro disparut. Quand notre petit oiseau rouvrit les yeux, elle n’était pas dans la forêt, mais dans le désert. Au temple de Ganondorf plus précisément

Épopée d'Hyrule: TOME 1 , Les élus  [ EN CORRECTION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant