CHAPITRE 43 - Le Sage des Vents

44 4 2
                                    

Assis sur une pierre, Asphar contemplait ce qu’il estimait comme le plus beau spectacle existant au monde : le coucher du soleil. La journée avait été splendide. Le ciel avait été clair, sans aucun nuage. La lumière du soleil avait inondé les neiges éternelles de la chaîne d’Hébra, donnant, pendant quelques heures, un peu de sa chaleur aux êtres qui peuplaient ces lieux reculés. Maintenant que le crépuscule descendait sur Hyrule, les températures faisaient de même, mais ce n’était pas un problème pour le Piaf qui vivait ici depuis des décennies.
Asphar aimait les montagnes. Il avait pourtant beaucoup voyagé à travers tout le royaume lorsqu’il était plus jeune, il avait parcouru tout Hyrule en long, en large et en travers. Il avait goûté au soleil du désert, au vent des plaines, au sable des plages… mais son cœur appartenait aux montagnes, et spécialement à la chaîne d’Hébra.
Du bout de ses ailes brunes blanchies par les ans, le Piaf caressa la courbure de son arc. Son fidèle compagnon ne l’avait jamais quitté depuis que, très, très longtemps auparavant, une princesse d’Hyrule le lui avait offert en signe d’amitié. Il avait raconté cela à un jeune Piaf autrefois, un conteur-né, avide d’histoires anciennes et héroïques. Cela et bien d’autres choses. Il lui avait parlé de sa rencontre avec ceux qui, comme lui, avaient été appelés à devenir Sages d’Hyrule, de son amitié éternelle avec Aëline, de son mentor Sahasrahla ou encore du rituel qui leur avait permis de maintenir le sceau du Banni. Au son de son accordéon, Asarim avait rendu hommage à ses amis depuis longtemps perdus : Orlène, Rosso, Guly. Aujourd’hui, Impa et Sahasrahla avaient disparu à leur tour, et une nouvelle légende voyait le jour. Peut-être Asarim l’écrivait-il déjà ? Les derniers évènements étaient malheureusement propices à faire des chansons.

Alors qu’Asphar se perdait dans ses pensées, le soleil avait fini par disparaître derrière le pic d’Hébra et le froid avait repris ses droits, mordant et impitoyable. Les étoiles constellaient le ciel nocturne comme autant de minuscules diamants posé sur du velours.
Le Piaf se leva avant de finir congelé et prit son envol vers la vallée où se nichait sa maison. Ce soir, aucune lanterne n’avait été allumée pour l’accueillir. Lylia n’était plus là.
Son instinct lui indiqua soudain qu’il n’était plus seul. Il se retourna d’un bloc pour faire face à un couple de Gerudos emmitouflés dans des manteaux bien chauds. Asphar n’avait pas besoin de poser de questions pour savoir à qui il avait affaire : Ganondorf, le prince du peuple du désert. Il était simplement étonné qu’il vienne avec un seul garde du corps. Le sous-estimait-il à ce point ? C’était agaçant.
Le Piaf n’eut aucune hésitation. Il banda son arc pour tirer ses flèches. Les deux autres ne bougèrent pas d’un pouce. Avant que les traits ne les atteignent, Ganondorf avait tendu la main et les flèches se brisèrent sur un bouclier magique.
- Ne bouge pas, dit-il à sa compagne. Je te le ramène.
- J’attends, mais ne sois pas trop long, répondit-elle avec un sourire satisfait.
Asphar tira une nouvelle salve, mais ses flèches subirent le même sort que les premières. Il allait devoir changer de tactique. Le Piaf abandonna son arc et, perché sur le toit de sa maison, fit appel au pouvoir que les Déesses lui avaient octroyé tant de décennies auparavant. Les vents répondirent à son appel et de fortes bourrasques s’élevèrent pour former une barrière protectrice.
- Crois-tu que tes courants d’air vont m’empêcher de t’attraper, vieille chouette ? se moqua Ganondorf.
Il s’écarta d’un pas sur la droite pour éviter le courant d’air tranchant comme un rasoir qu’Asphar lui envoya en réponse. L’air lui laissa cependant une longue coupure sur la joue et Ganondorf en essuya le sang de son pouce.
- Tu n’es qu’une relique du passé, comme l’étaient le vieux fou et la vieille toupie.
- Les Twinrova ne t’ont donc pas appris le respect dû aux aînés ? lança le Piaf.
- Je suis le prince du désert et bientôt le maître d’Hyrule, c’est à moi qu’on doit le respect.
- Apparemment, la mégalomanie vient avec l’esprit du Banni. Tout comme la défaite.
Asphar lança encore quelques attaques d’air, mais Ganondorf continuait d’avancer, les évitant avec une facilité déconcertante.
- Je m’ennuie, intervint la femme restée à l’écart, son sceptre en main. Arrête de jouer et apporte-le-moi.
Ganondorf eut un claquement de langue agacé, mais il n’oubliait pas le marché qu’il avait passé avec Zylia.
De son côté, Asphar observa plus attentivement la Gerudo. Vu le ton qu’elle avait employé, elle n’avait rien d’un garde du corps. Il sentit un frisson de terreur l’envahir quand leurs regards se croisèrent et qu’elle lui adressa un sourire mauvais. Il recula sous le choc et perdit sa concentration. La barrière de vent faiblit. Ganondorf en profita pour bondir sur lui.
- Ne t’en fais pas, lui dit-il. Ta mort ne sera pas inutile. Ton pouvoir et celui des autres… Dès qu’elle les aura absorbés, elle pourra me la rendre.
Asphar n’avait évidemment aucune idée de ce que le Gerudo racontait, mais il comprit que s’il n’agissait pas rapidement, c’en serait fini de lui. Les vents autour de lui retrouvèrent leurs forces et il les utilisa pour prendre son envol. Ganondorf éclata de rire.
- Tu crois vraiment m’échapper ?
Il utilisa sa magie pour s’élever à son tour dans les airs et attraper la patte du Piaf. Avec sa force naturelle, il le tira vers le bas et le propulsa au sol. Asphar se rétablit avant le choc et négocia un virage serré, mais Ganondorf était déjà sur lui. De ses poings joints, il cueillit le Piaf en plein vol d’un coup surpuissant dans le dos. Cette fois, Asphar s’écrasa dans la neige. Il toussa et cracha du sang. Le choc avait été violent. Les Gerudos avaient déjà plus de force qu’un Piaf, mais celui-ci était une machine de guerre doublé d’un redoutable sorcier. Le Sage était perclus de douleurs, sans doute que son adversaire lui avait cassé quelques os.
- S’ils sont tous comme ça, ça va être facile.
La femme était devant lui et planta son regard violet dans le sien. A nouveau, Asphar sentit la terreur l’envahir.
- Zylia, il est à toi.
Asphar ouvrit grand les yeux de surprise.
- Zy… lia ?
- Oh ? Connaitrais-tu mon nom ? Flatteur, va, minauda-t-elle en relevant la tête du Piaf du bout de son sceptre.
Asphar n’avait jamais entendu ce nom de sa longue vie, mais son instinct lui criait que l’être qui se trouvait devant lui n’était pas une simple Gerudo et qu’elle était encore plus dangereuse que Ganondorf. L’espace d’un infime instant, il crut voir derrière elle la pleine lune noire qui s’était levée quelques jours plus tôt. Il avait pris ça pour un funeste présage, mais désormais, il savait que c’était plus que cela.
- Le Héros se lèvera contre vous, réussit-il à dire.
- Je tuerai ce gamin, comme je tuerai tous les Sages, répliqua Ganondorf en rejoignant Zylia.
- Il n’est pas seul. Tu n’as aucune chance. Tu perdras, comme les autres avant toi.
Au prix d’un gros effort, le Piaf sortit quelque chose de la besace qu’il portait à sa ceinture. Entre ses plumes, se trouvait un médaillon ancien, patiné par le temps. Zylia ouvrit grand les yeux.
- Le médaillon des Secousses ! cria-t-elle.
Asphar réussit à appeler les vents une dernière fois pour empêcher les Gerudos de s’approcher de lui. Le médaillon était son ultime chance contre eux. Autrefois, Sahasrahla lui avait confié cette relique d’un autre temps pour qu’il la protège. Jamais il n’aurait pensé devoir s’en servir. Il le leva vers le ciel alors que Ganondorf tentait de passer les vents, le visage déformé par la haine. Sa main attrapa le Piaf, mais il était trop tard : Asphar prononçait l’incantation brève permettant de libérer la puissance du médaillon. Aussitôt, les montagnes tremblèrent dans un bruit assourdissant et partout, des plaques de neige se détachèrent de leurs flancs, s’entrainant les unes après les autres en de gigantesques avalanches n’épargnant rien sur leur passage.
Asphar regarda le ciel et sourit. Les montagnes avaient été toute sa vie et voilà qu’elles seraient son tombeau. La dernière chose qu’il vit avant d’être enseveli sous la neige fut les étoiles.

***

Le silence régnait à nouveau en Hébra. Les avalanches s’étaient déclenchées en chaîne à travers toutes les montagnes et le paysage était désormais méconnaissable.
La vallée où Asphar avait vécu était ensevelie sous des milliers de mètres cubes de neige. Même les sapins séculaires avaient été emportés par la violence des éléments et d’eux ne subsistaient même plus les fières cimes.
Il y eut soudain une nouvelle explosion et la neige fut projetée en gros blocs avant d’être dispersées. Du trou émergea une sphère de magie violette et rouge qui s’éleva dans les airs avant d’atterrir en douceur. Ganondorf posa les pieds sur le sol et s’enfonça dans la poudreuse. D’une main, il tenait Zylia contre lui. De l’autre, il maintenait l’aile d’Asphar. Le Piaf était inconscient, à peine respirait-il. Ganondorf le relâcha et son corps s’effondra à ses pieds. Zylia s’écarta de son compagnon et planta son sceptre dans la neige. Il s’en était fallu de peu qu’ils restent coincés, mais le Gerudo avait agi vite. Finalement, il était plutôt efficace.
Elle s’agenouilla au sol et posa ses mains sur la poitrine du Sage.
- Tu t’es bien battu, reconnut-elle. Mais je reprends ce qui m’appartiens.
Une sphère de lumière verte et doré sortit de la poitrine du Piaf et Zylia la recueillit entre ses mains. Cela ne dura qu’une poignée de secondes avant que le pouvoir du Sage de l’Air ne soit absorbé par la déesse. Elle ferma les yeux, puis passa son pouce sur ses autres doigts qui crépitèrent un peu. Trop peu encore à son goût.
- En voilà un. Aux autres maintenant, dit-elle en se relevant, n’adressant pas même un regard au Piaf qui venait de rendre son dernier souffle.
- Il n’en reste qu’une, répondit Ganondorf.
Elle lui sourit avec indulgence et posa sa main sur la joue de son compagnon.
- D’autres se sont forcément éveillés. Il faut les trouver avant qu’ils ne s’allient et tentent de te priver de tes pouvoirs.
Elle fit glisser ses doigts de sa joue à ses lèvres. Il faisait de son mieux pour le dissimuler, et il y arrivait plutôt bien, mais elle devinait que ce simple geste dans ce corps qu’il désirait tant lui tournait les sangs. Elle se demandait si son frère serait aussi facilement manipulable.
- Rentrons. Cet endroit est déprimant, fit-elle en s’écartant pour reprendre son sceptre.
Elle attrapa la main du Gerudo et frappa le sol de son bâton. La seconde d’après, ils avaient disparu.

***

Loin de là, une jeune Piaf s’éveilla en sursaut. Son regard se porta aussitôt dans la direction de la chaîne d’Hébra dont on apercevait les sommets, même à cette distance. Avait-elle rêvé ou y avait-il eu une série d’avalanches là-bas ?
- Lina…
La Piaf se retourna, mais dans le petit bois où elle s’était arrêtée pour la nuit, elle était seule. Son feu de camp achevait de se consumer.
- Amelina.
Elle tourna encore sur elle-même et se figea en voyant Asphar. Elle plissa les yeux. Quelque chose n’allait pas. Elle tendit une aile dans sa direction avec appréhension. Elle passa au travers et elle recula d’un pas.
- Grand-père ?
- Ne sois pas triste, Lina. Les choses sont ce qu’elles devaient être. Je suis désolé de devoir charger des jeunes épaules de ce fardeau.
- Grand-père… Alors, c’est arrivé, dit-elle tristement.
- Il faut te rendre au cœur des Bois Perdus. Trouve Aëline, rejoins les autres, aide l’Elu de la Déesse à vaincre le Mal.
Amelina hocha la tête. Son grand-père l’avait élevée depuis qu’elle était sortie de l’œuf ou presque. Il lui avait tout appris, à voler, à se servir d’un arc… Elle comprenait maintenant pourquoi il l’avait éloignée d’Hébra et du village piaf depuis que le château d’Hyrule avait été attaqué. Elle n’avait pas saisi sur le moment ses raisons de l’envoyer si loin pour une mission aussi insignifiante que de répertorier les plantes médicinales de cette région.
- Ganondorf voudra t’éliminer quand il comprendra qu’un autre Sage du Vent s’est éveillé. Prends garde à toi, petite oisonne. Il n’est pas seul. Un grand danger l’accompagne.
- Un danger plus grand que le Banni ?
- Je le crains. Je suis navré de ne pouvoir t’en dire plus, Lina. Fais attention à toi.
Asphar commença à disparaître. Amelina tendit à nouveau ses ailes aux plumes violettes vers lui, le suppliant de ne pas partir. Avant qu’elle ne puisse l’atteindre, il disparut en particules de lumière qui entourèrent la jeune Piaf d’une douce chaleur.
La jeune Piaf ouvrit les yeux, les plumes caressées par une douce brise qui lui tira les larmes aux yeux. Tout cela n’avait été qu’un rêve, et pourtant, elle sentait que les vents étaient désormais avec elle comme ils avaient été avec Asphar.
- Merci, Grand-père. Je te promets que je ferai mon devoir, murmura-t-elle, la voix brisée par le chagrin.
Elle se leva et rangea ses affaires. Elle devait se mettre en route sans attendre.

Épopée d'Hyrule: TOME 1 , Les élus  [ EN CORRECTION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant