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L'air chaud provenant du Kiwitii, au Sud me souffle sur le visage. Mes cheveux me caressent les joues. C'est rare d'avoir un aussi beau temps au mois d'Avril. D'habitude, la neige commence à fondre et les bourgeons de pissenlit sortent à peine le bout de leurs nez.

Un garçon me court après et finit par m'attraper. Il me chatouille et je me tords de rire.

- Arrête ! Rigolé-je.

- T'es jolie quand tu souris, me complimente-t-il.

Il s'immobilise et j'en profite pour inverser les rôles. Il gigote tellement qu'on dirait un verre de terre.

- Manon !

- Quoi ?

Et là, il m'embrasse. Un léger baiser, si furtif que j'ai l'impression d'avoir rêvé. Je m'assieds, les genoux contre ma pointerie. Mes joues sont bouillantes. Je dois sans doute rougir. Il s'installe à mes côtes et appuie sa tête contre mon épaule, et soupire.

- J'aimerais tellement que ce moment dur pour toujours, murmure-t-il.

- Moi aussi.

Il se penche vers moi et s'apprête à m'embrasser à nouveau, mais il s'immobilise. Le bruit d'un hovercraft se fait entendre. Il doit être très proche. Quelques centaines de mètres environ. Nous savons tous deux ce que ça signifie. Les Attrapeurs ne sont pas loin. Nous nous levons et nous commençons à courir, main dans la main. Nous détallons dans la Forêt des Soupirs aussi vite que possibles. Des bruits de pas qui se rapprochent se font retentir. La panique est en train de me gagner de plus en plus. Je n'ai plus de souffle.

- Hé ! Respire Manon, chuchote-t-il.

Je tente de lui répondre mais ma bouche ne produit qu'un charabia incompréhensible. Je fais une crise d'angoisse. Il me prend par la taille et me jette sur ses épaules. Il continue de courir vite. Seulement porter une fille de cinquante kilos dans les bois, n'est pas une chose aisée. Les bruits de pas se rapprochent de plus en plus. De même pour l'hovercraft. Le garçon s'arrête devant un arbre de cinq mètres de hauteur.

- Montes ! M'ordonne-t-il.

Je m'exécute et tente, tant bien que mal, de monter haut. Le garçon part vers l'arbre d'en face et commence à grimper. Un Attrapeur arrive et court après lui. Il lui agrippe le pied et le fait tomber par terre.

- Maximus, j'en ai chopé un ! Crié l'Attrapeur.

Le Maximus en question, lance un filet sur le garçon et l'emprisonne, comme un animal. Il continue de se débattre et j'arrive à voir sa tête blonde qui essaie de sortir de là, en vain. Les deux Attrapeurs se tapent dans la main et le premier porte le garçon comme un sac à pommes de terre.

- Il n'était pas censé être deux ? Demande Maximus.

- Non, Alfred à ratisser la zone et il n'a vu personne d'autre. Ça devait être un gros chien.

Ils hochent la tête et parte. J'attends qu'il s'éloigne assez pour vomir et me mettre à pleurer.

Le paysage se transforme. Mes pleurs se transforme et laisse place à une tout autre vision.

À la place, je suis attachée à lit d'hôpital dans un décor de laboratoire de haute technologie. Les attaches me font atrocement mal et on dirait qu'elles sont électrifiées.

- Hé oh ! Il y a quelqu'un ? Hurlé-je.

Mais pas de réponse. Je suis seule dans cette pièce. Je me débats dans tous les sens pour essayer de sortir de là et défaire les sangles en cuir et câbles. Mais impossible. Elles se resserrent autour de mes poignets et je reçois une décharge électrique qui doit être d'un voltage assez important.

Je crie comme pas possible et puis je me réveille. Je suis trempée de sueur et j'ai du mal à respirer. Je tousse comme une folle et je vois que mon frère Hugo, ma mère et mon beau-père rapplique dans ma chambre aussitôt.

- Merde. Elle fait encore une crise. Barbara, va me chercher le...

- Oui je sais Christian. C'est loin d'être sa première crise, réplique ma mère.

Puis elle part en courant chercher l'appareil à oxygène pour m'aider à respirer. Mon frère me tient et affiche un air plus qu'inquiet.

- Maman grouille. Elle est en train de devenir violette !

Aussitôt dit, ma mère apporte la machine et la branche. Mon beau-père me place le masque sur mon nez.

- Manon, c'est fini. On est là. Tu n'es plus dans ton rêve.

Ma respiration se calme et je prends conscience que j'ai encore été lamentable. J'ai encore paniqué, comme une vraie trouillarde.

- Ça va. Tu n'as plus besoin du masque ma puce, me murmure ma mère en le retirant.

J'assimile lentement l'information et acquiesce.

- Je vais dormir dans sa chambre. Vous pouvez y aller, déclare Hugo.

Malgré qu'il soit plus jeune des jumeaux, mon frère est bien plus mature et courageux que moi. Lui, il n'a jamais eu de terreur nocturne ou il n'a jamais fait pipi au lit. Moi... Si.

- Tu es sûr ? Demande ma mère.

- Parfaitement. Allez-y. Sérieusement, je serais me débrouiller tout seul au cas elle recommencerait.

- Le "elle" en question t'entends, petit.

- Pour une fois, mamie.

Nous rigolons et nos parents partent rassurés. Hugo passe par la porte blanche qui rejoint nos deux chambres. Cette porte est là depuis mon plus lointain souvenir. Il remonte à l'âge de huit ans. Je m'étais réveillée dans une forêt avec un gros mal de tête et ma mère qui était à mes pieds. Elle n'avait pas compris comment je suis arrivée dans cette forêt mystérieuse et flippante seule, et que je n'étais pas à l'école en train d'attendre qu'elle vienne me chercher.

- Où est Hugo ? Avais-je demandé.

- À la maison, avec Christian, mon coquelicot. Mais qu'est ce qui s'est passé pour que tu te retrouves dans la forêt ?

- Je ne sais pas.

Et c'est tout. Ce qui s'est passé ce jour-là, je ne m'en souviens pas. Hormis ça. Ces quelques minutes. Mais depuis, je ne fais que des cauchemars, j'ai des terreurs nocturnes et je fais des apnées dans mon sommeil. Et à chaque fois, je me réveille soit trempée de sueur ou alors, je ne sais plus respirer.

Hugo revient avec son oreiller dans sa main droite avant de le balancer sur le lit d'à côté du mien. Avant de s'installer, il me prend dans ses bras et je me mets à pleurer.

- Tu as encore fait ce rêve ?

Je secoue la tête. Il y a eu un moment où je dormais normalement. Je ne rêvais pas de ce garçon aux cheveux dorés qui m'embrassait. Je ne me faisais pas courser par des Attrapeurs. Je ne voyais pas ce même garçon se faire enlever pour aller je-ne-sais-où. Je n'avais tout simplement jamais fait de cauchemars aussi réalistes, mais depuis que je suis âgée de huit ans, il se répète tous les jours, sans exception.

- Ce n'est rien Manon. Tu verras, il finirait par partir, me souffle-t-il à l'oreille.

Je n'en suis pas aussi convaincue que toi.

- Et si tout ça était vrai ?

Il rigole et m'embrasse le sommet du crâne.

- Manon, les Attrapeurs n'existent pas, Manon

- Mais...

- Non. Sois réaliste. Les Attrapeurs ne sont que des monstres inventés pour faire peur aux enfants désobéissants.

Sa remarque me fait l'effet d'une gifle. De nous, c'est lui qui a toujours été le plus les pieds sur Terre. Contrairement à sa jumelle, et de son imagination débordante. Toujours la tête dans les étoiles. Toujours un enfant alors qu'elle a atteint la majorité. Même dans mes études, je reste la plus fantaisiste.

J'acquiesce malgré moi et je m'en dors dans les bras de mon frère quelques instants plus tard.

L'Institut De NosecaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant