Chapitre 15

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Ce matin je suis en pleine forme, mais bizarrement je n'arrive pas à m'en réjouir. Je prends le  chemin de l'école en rasant les murs. Mon manteau crisse contre les crépis et mon écharpe s'effiloche légèrement. Arrivant presque au lycée, la neige se met à tomber. Je m'arrête un instant, regarde le ciel gris et les flocons tomber. Je positionne mes mains plates devant moi pour les recueillir. Ils fondent délicatement dans mes paumes de mains. 

Je regarde ma montre qui me fait comprendre que je suis en retard. J'accélère ma marche. J'arrive avant que le portail se ferme et je cours vers ma classe. 

Ma professeure d'arts plastiques m'accueille avec son sourire habituel et m'invite à rejoindre ma place. Je m'assoie, frigorifiée et essoufflée. Elle distribue le sujet du jour et nous nous lançons tous sur l'analyse de la consigne :

"Tracer votre vie sous forme de bande dessinée sans bulles ni légende. Commencez par votre naissance et finissez par aujourd'hui, dans votre cours d'arts plastiques. Votre production peut être sur le support de votre choix. Vous avez 2 séances, soit 4 heures. 

Bonne chance ! "

Je lâche subitement mon crayon à papier qui s'écrase sur le sol d'un bruit sourd.

Je reste bouche bée devant le sujet. Je réfléchis longtemps à ce que je peux faire. Je n'ai aucune envie de lui étaler ma vie ni de la dessiner, ni de dire que je n'ai jamais connu mon père, ni même de dire pourquoi j'ai du déménager, d'autant plus que c'est le plus récent de mes problèmes, d'ailleurs le principal ...! 

Je décide finalement que je ne ferai jamais ce travail ! Je me lève doucement. Mme. MOURREAU s'approche doucement de moi. Elle me demande ce qui ne va pas, et je me sens pâlir. 

"Je peux pas..." soufflais-je 

Je reste debout, immobile, fixée par la classe. Elle me prends légèrement par les épaules, lance à la classe "restez sages, je suis à côté et je vous entends". Elle m'entraîne dans la pièce d'à côté, la salle d'exposition des travaux. Elle me fait asseoir et s'assoit en face de moi. Nous restons silencieuses un petit moment.

"- Qu'est ce qui ne va pas Ana ? demande-t-elle

-Je baisse la tête-

-Tu sais, continue-t-elle, tu n'est pas obligée de me parler mais si quelque chose ne va vraiment pas tu peux m'en parler à moi ou à quelqu'un d'autre de cet établissement, ou même à tes proches. Mais il faut en parler ! C'est pourquoi nous sommes toujours à l'écoute de nos élèves...

-...

-Ce sont des problèmes à l'école ? - je tourne négativement la tête -  A la maison ? - je tourne à nouveau négativement la tête - Qu'est ce que c'est alors ?

-Mon passé..., chuchotai-je 

-Comment ça ton passé ? "

Je lève brusquement la tête me rendant alors compte que j'ai pensé tout haut ! Je porte mes deux mains devant ma bouche comme pour retenir prisonniers tous les prochains mots qui voudraient sortir. Des larmes commencent à couler. Mme. MOURREAU me regarde doucement, ne savant pas comment réagir. Je me lève et cours en direction de l'infirmerie. 

***

Je rentre chez moi bredouille. Je ne suis ni retourné en arts plastiques ni allée en musique. J'ai passé plus de trois heures à l'infirmerie à me reposer et à pleurer. 

Je marche doucement. Très doucement. Je m'arrête un instant sur un banc. Je m'affale dessus et me laisse bercer par la bise qui me chatouille. Je ferme les yeux et médite.

J'entends des pas s'approcher. Je lève lentement la tête et vois Mme. MOURREAU assise à côté de moi. Je sursaute et la regarde dans les yeux. Je m'apprête à partir mais ses mains me retiennent le bras gauche. Je me rassois donc et continue de la regarder. 

"-Vous m'avez suivie !? dis-je sèchement 

-Mmm, presque pas !Bon, dit moi ce qui ne va pas ...

-Non mais ça va pas !-je me lève brusquement, balayant la neige du banc - D'abord vous me donnez un sujet que je ne peux pas faire car c'est au-dessus de mes forces, ensuite vous arrivez quand même à me tirer des mots de la bouche que je ne devez sortir, puis vous me suivez et vous voulez que je vous raconte tout de moi ??-les larmes commencent à couler sur mes joues- Désolée madame, mais je ne peux pas !"

Je lui tourne le dos et reprend ma marche, mais plus rapidement. Sa voix m'interpelle : "Ana, parle de tout ça au moins à tes parents !" Je sens mes joues rougir de colère. Je me tourne vers elle et m'avance violemment. "Ma mère est déjà au courant sinon on aurait pas déménagé et en plus elle est dans le même état que moi : Sous le choc !!! Et pour votre gouverne -je baisse le ton  et la tête, honteuse- je n'ai pas de père ..." 

Je serre les dents et la fixe. Je vois son sourire s'effacer petit à petit, laissant place à de l'étonnement de la peur et de la pitié. Mais je ne veux pas que quelqu'un ai pitié de moi ! 

Je me rend compte, en ne la voyant pas bouger, que j'y suis peut être aller un peu fort. C'est pourquoi je m'excuse au près d'elle. Mais elle ne bouge toujours pas. Sa bouche est grande ouverte. 

Je m'éloigne doucement et croise le regard d'une dame âgée qui porte sur son visage la même expression que Mme. MOURREAU quand je suis partie. Je suppose qu'elle a assisté à la scène. Je m'excuse au près d'elle également et je reprends mon chemin en traînant des pieds.







Un passé accroché [ EN REECRITURE ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant