Subtile changement

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Le cancer... Encore?! Cette monstrueuse maladie, vicieuse, apparaissait encore dans sa vie. Et cette fois-ci, elle ne pouvait pas l'accepter. Elle ne pouvait plus l'accepter.

Des larmes dans les yeux, Rubis dévala l'escalier quatre à quatre, incapable de rassembler quelques pensées cohérentes dans son esprit, incapable de savoir quoi dire et quoi faire. Il lui était impossible de faire un pas en arrière et de retourner dans cette chambre supporter son "faux" petit ami. Elle était dans l'incapacité de sentir à nouveau cette odeur affreuse qu'était la maladie. 

En fait, elle ne savait plus faire semblant.

Marc était moins monstrueux que ce qu'elle avait imaginé à la base. Il avait voulu faire plaisir à sa femme. Mais avait-il pensé aux autres? Elle s'était engagée aux côtés de Charles, elle avait fait semblant de l'aimer pour faire plaisir à Catherine, il l'avait même embrassée! Et maintenant, elle devait continuer cette mascarade jusque ...quoi? Le décès de sa femme? C'était tout bonnement insensé. Mentir à Catherine était insensé! Continuer ce jeu était insensé.

Courant dans les escaliers, Rubis ne regardait pas où elle mettait les pieds. Alors qu'elle allait arriver au premier étage, son pied heurta douloureusement le carrelage et elle glissa de quelques marches, incapable de se retenir à la rambarde, tant elle avait été surprise. Lorsqu'elle retomba un peu plus loin, sa jambe la faisait souffrir. Mais la souffrance, étrangement, lui faisait du bien. Incapable  de se retenir davantage, Rubis se mit à sangloter intensément. Perdue dans cette cage d'escalier glauque et froide, elle pleura. Elle pleura son père disparu, l'éloignement de sa mère, la maladie de Catherine, sa solitude, Charles, sa foutue sensibilité et beaucoup d'autres choses, ce qui lui fit le plus grand bien. Elle ne voulait pas revivre les moments difficiles qu'elle avait eu autrefois avec son père. Elle ne voulait pas voir son corps beau et bien bâti, devenir squelettique. Elle n'avait plus envie de le voir vomir, perdre peu à peu ses forces, son rire, ses cheveux, son humour... Perdre peu à peu tout ce qui faisait de lui un être humain extraordinaire. Elle ne voulait plus être confrontée à la mort. En tout cas, pas de cette façon-là. Elle ne voulait plus, tout simplement. Rubis n'en avait pas la force. Elle était faible, vraiment faible et n'avait plus envie de devoir porter un tel fardeau. 

Alors qu'elle était assise sur le sol froid et dur de cet hôpital, une main s'abattit sur son épaule. Déboussolée, Rubis releva la tête, de ses yeux humides et fatigués, elle observa Marc s'asseoir à ses côtés, surprise. 

—  T'es-tu fait mal? 

— Rien de grave. J'ai glissé. 

Tous les deux se dévisagèrent intensément. Ayant sûrement jugé l'autre sans vraiment se connaître, ils étaient en train de tout remettre en question. Marc n'était pas du tout l'homme que Rubis avait imaginé au départ. Au départ, elle l'avait haï. Haï de faire subir un tel supplice à Charles, détesté pour l'avoir jetée dans la fosse aux lions, elle lui en avait voulu d'essayer de l'acheter, de tout lui payer, d'imposer sa volonté à son fils comme s'il n'avait pas son mot à dire. Cependant, depuis cette annonce dans la chambre d'hôpital, elle était en train de revoir ce jugement, dur, qu'elle avait établi dès le départ. L'amour qu'il portait à Catherine était tellement fort qu'il avait été jusqu'à mentir pour lui rendre le sourire.

—  Je m'excuse, déclara-t-il soudainement, d'une voix rauque et basse.

—  De quoi?, répondit-elle, surprise, sans oser le regarder. 

—  De t'avoir embarquée là-dedans.  J'ignorais que ton père était décédé d'un cancer. Je n'imaginais pas l'impact que cela aurait sur ta vie. J'ai été égoïste... Lorsque tu nous en a parlé à table, j'ai tout remis en question. J'ai même hésité à dire la vérité à Catherine pour que tu t'en ailles et que tu n'aies pas à revivre tout cela une seconde fois. Mais ça lui faisait tellement de bien de voir Charles avec une personne aussi sympathique et sensible que toi... Lorsque je la voyais sourire en vous regardant tous les deux, j'étais simplement incapable de lui confier la vérité. Je suis sévère avec mon fils, je le sais. Cath me le reproche souvent. Mais pour moi, c'est comme ça que l'on apprend. Cependant, Charles ne me ressemble pas du tout. Il veut toujours s'amuser, il m'ennuie, fait n'importe quoi parfois. C'est un rebelle dans l'âme... Il n'a jamais ramené de filles à la maison... Enfin, pas de façon officielle, si tu vois ce que je veux dire. Et Catherine en éprouvait un grand chagrin... Elle ne comprenait pas pourquoi son fils agissait de cette façon, elle ne comprenait pas ce que l'on avait raté dans son éducation... Elle me disait toujours "Marc, s'il agit comme ça, c'est parce qu'il n'est pas bien dans sa peau, c'est parce qu'il y a un souci et il n'ose pas nous en parler." On a beau tout faire pour nos enfants, parfois ce n'est pas suffisant. Quand elle me disait cela, elle était tellement triste, tu sais... Un jour, peu après l'annonce de sa maladie en stade avancé, elle a émis le souhait que Charles trouve quelqu'un de bien avec qui partager les bons comme les mauvais moments. Je ne sais pas pourquoi, j'ai eu cette idée. De mettre Charles avec quelqu'un de bien pendant les derniers instants de sa mère... Je n'ai jamais pensé à mal, sais-tu. Je n'ai jamais pensé qu'il y aurait des conséquences pour cette personne. Pour toi, en l'occurrence. Vraiment je m'en excuse. Maintenant, je t'avoue... je n'arrive pas à regretter mes choix. Je la vois tellement mieux depuis le début des vacances, elle t'adore. Ma femme t'aime, Rubis et c'est le plus beau cadeau que je pouvais lui offrir. Alors oui, ce n'est pas bien, ce n'est pas juste ni pour toi, ni pour Charles, mais je n'arrive pas à peser le pour et le contre de cette comédie. Simplement parce que ce qui est positif parait tellement important à mes yeux. Maintenant, je comprendrai tout à fait si tu ne veux plus continuer cette histoire, si tu veux t'en aller. C'est normal. Nous ne sommes pas ta famille... à tes yeux, nous ne sommes pas grand chose. Je sais que tu n'as pas envie de souffrir davantage, que ça ne doit pas t'être facile étant donné ton passé... Donc tu fais comme tu veux. Si tu repars, Baptiste te reconduira à Bruxelles et tu n'entendras plus jamais parler de nous, je t'en fais la promesse. Tu seras payée, comme on te l'a promis et c'est tout. 

Rubis l'avait laissé parlé. Apparemment, il avait besoin de vider son sac. Elle avait écouté sa voix basse répercuter les murs blancs de la cage d'escalier, incapable de lui répondre tant elle percevait de tristesse dans sa voix. Marc n'était pas du tout l'homme qu'elle s'imaginait, elle le comprenait maintenant au travers de sa déclaration. 

  —  Tu sais, Marc... Au départ, je faisais ça pour l'argent. J'avais parfois tellement de mal à joindre les deux bouts. J'avais envie de relâcher la pression pendant ce mois, de vivre enfin un peu, de respirer au lieu de penser à mon appartement, mon budget, mon travail et mes études. Puis, j'ai appris à vous connaître un peu plus, je m'entends bien avec Baptiste et même si j'ai parfois du mal avec Charles, je commence à le cerner davantage. A présent, j'ai oublié l'argent. Je pense souvent au fait que ça fait bien longtemps que je ne me suis plus sentie aussi bien. Ici, je me sens acceptée, écoutée, intégrée, et ça me fait tellement plaisir. Seulement, je ne pensais pas que ça irait aussi loin... Le cancer... Le cancer de papa était tellement affreux, j'ai mis tant de temps à m'en remettre. Je ne pense pas en être remise aujourd'hui d'ailleurs. Je l'ai accompagné à chaque étape de la maladie et je le voyais perdre peu à peu sa vitalité, son énergie, sa positivité. J'étais toujours collée à lui, c'était mon modèle, je l'adorais et il m'aimait lui-aussi. Il adorait la pluie, tu sais. Alors on allait souvent à l'étang près de chez nous voir la pluie tomber dans l'eau... On adorait ça. Il avait un vieux parapluie à carreau que j'aimais beaucoup mais il ne voulait pas s'en séparer car il n'en avait jamais retrouvé d'aussi solide. Alors, quand il n'a plus été capable de venir avec moi jusqu'à l'étang, il m'a offert un parapluie lui aussi. Un magnifique parapluie rouge, très solide. Il m'a demandé de continuer à aller à l'étang, d'observer la pluie pour lui et d'écouter sa chanson. Au départ, j'ai fait des photos de la pluie, de moi et mon parapluie... il adorait ça, le fait que je partage quand même avec lui ces instants de bonheur qui ne lui étaient dorénavant plus permis. Puis, un jour, je lui ai ramené le son de la pluie sur le lac... et il a pleuré. Il m'a dit ne plus avoir envie d'entendre ça. C'était un moment dur pour lui. Il perdait ses forces, dormait beaucoup, ne supportait plus la chimio. Mais j'ai continué à aller à l'étang, à observer la pluie. La pluie faisait disparaître mes larmes et mon chagrin... et puis au fond de moi, je savais que papa avait envie que je continue d'y aller. Pour lui, pour se souvenir de ce que c'était de faire ça ensemble... La maladie, Marc, c'est ça. C'est continuer à vivre, sans la personne qui nous poussait à vivre. C'est dur. C'est très dur. 

—  Je sais. Je commence à peine à comprendre. 

—  Alors si toi ton étang, c'est moi et Charles alors je resterai. 

—  Merci. 

—  Ce n'est pas pour toi que je le fais, c'est pour Catherine. 

—  Je le sais. Et c'est pour ça que je te remercie. 

Du coin de l'œil, je vis  Marc essuyer une larme. Je ne fis aucune remarque, je sais qu'il n'aurait pas apprécié...et puis, ce n'était pas du tout le moment. Nous ne nous étions presque pas regardé pendant notre discussion, sûrement incapable de soutenir la tristesse de l'autre de peur de s'écrouler. 

Marc se releva le premier. Il tendit la main à Rubis. Il l'observait de ses yeux si semblables à ceux de sa mère, un mince sourire en guise de remerciement. En soupirant, regrettant déjà son choix d'aider la famille Cherwood, elle se saisit de son bras et se releva en disant: 

  —  Allons-y. 


*** 

 Marc n'est pas si méchant après tout! 

Rubis vient de le découvrir. 

J'espère que vous avez aimé ce petit chapitre!! 

N'hésitez pas à me donner votre avis et à corriger les fautes d'accord! 

Votre Caya. 



La demoiselle au parapluie rougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant