Un pas en avant

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[Attention : ce chapitre est beaucoup plus „sérieux" que les autres, et peut être plus difficile à lire pour certains. J'espère qu'il vous plaira tout de même ! ]

„Ton ex est revenu habiter à Grenoble, ce looser ! Haha !"

Hahahaha... Comme j'aurais voulu en rire, moi aussi. Lui qui n'avait cessé de scander sur tous les toits qu'un beau jour, il se tirerait et qu'on entendrait plus jamais parler de lui ; voilà qu'il revenait au bercail. Quelle ironie.

J'étais loin de rire, pourtant. Dans ma poitrine, je sentais mon coeur tambouriner sous l'angoisse qui me prenait les tripes ; mon corps entier était sous tension. J'avais l'impression... De retomber en enfer, après y avoir échappé de peu. Cette histoire remontait à plusieurs années, je croyais avoir enterré tout ceci !
Je tentais de m'auto-coacher pour chasser ma peur :

„Du calme, Paule... La ville est grande, après tout. Il a sûrement d'autres projets en tête, il ne doit plus penser à ça, LUI. Il est passé à autre chose, depuis déjà 5 ans...

...
... Oui, mais il sait où tu habites. Et avec l'article et les affiches, il a de quoi retomber sur toi."

...Okay, panique à bord !!

Les mains tremblantes, je tapais une réponse à Julie dans laquelle je demandais l'air de rien si elle savait dans quel coin de la ville il avait élu domicile.

„Je crois qu'il est juste retourné chez sa mère, vers Teyssere. Hé, me dit pas que t'as encore des sentiments pour lui ? Tu l'avais largué comme une merde ! Un beau gosse comme lui, franchement t'abuses hein mdr

Tu m'as pas répondu, on se revoit ou pas ??"

Un beau gosse comme lui... Personne n'avait compris. Au moment de ma rupture, toute mes copines m'avaient presque traitée de folle ; aux yeux de tous, nous étions le petit couple parfait. Il était beau, intelligent, ambitieux... Parfait pour moi. Tout semblait aller bien, nous étions heureux ensemble, „comme les doigts de la main" disaient-ils tous. Si seulement ils savaient que si nous étions toujours collés ensemble, c'était parce qu'il refusait de me laisser une minute de liberté...

Je levais les yeux sur mon père, et le trouvait occupé à accrocher son poster avec une patafix vieille de 10 ans, ce qui revenait à peu près à tenter d'accrocher l'affiche avec sa propre salive. Pas même lui... Il n'avait jamais rien su...

Durant ces dernières années, je croyais m'être reconstruite ; j'avais en réalité enfoui ma souffrance si profondément que je croyais ne plus la ressentir. Mais elle était bien là. Trop là.
Chaque insulte qu'il m'avait lancée était encore tapie dans un coin de mon esprit, chaque coups porté brûlait encore ma chair sans que je ne puisse guérir. Il n'avait suffit que d'un film, cette vidéo sur le DVD, pour que je m'en rende enfin compte...
J'avais tout nié en bloc, pendant tout ce temps. Je m'étais comme persuadée que ça n'avait jamais existé. Et à présent que mon ex était de retour à Grenoble, j'étais terrorisée... Que tout recommence... De ne pouvoir me relever...


D'une main tremblante, je déposais mon téléphone sur un coin de la table, et m'approchai de mon père encore occupé avec son poster.
Pourquoi avais-je soudainement la vision si trouble...?
Pourquoi tremblais-je autant...?

„P'pa..." Hoquetais-je d'une voix tremblante, et mon père laissa immédiatement tomber sa patafix et son poster.

Mon visage ruisselait de larmes, à présent. Je revoyais mon ex, furieux contre moi... Parce que j'avais indiqué une direction à un autre homme. Parce que j'étais restée à la fin d'un cours pour interroger mon prof. Parce que j'avais des amis. Parce que j'avais trop parlé. Parce que j'avais regardé dans la mauvaise direction. Parce que j'avais respiré de travers.

J'avais tant donné pour me reconstruire, pour oublier, pour rester debout... J'étais épuisée. Il m'avait détruite...

Vidée de toute force, je me laissai tomber misérablement dans les bras de mon père et hurlai ma souffrance dans son gros pull en laine gris. Il me prit contre lui, je le sentis me guider, m'asseoir sur le canapé... Puis il posa ma tête contre son torse et me berça longuement, comme il faisait avant, lorsque je n'étais encore qu'une petite fille sujette aux grosse crises de chagrin. Il me laissa pleurer longuement en silence, caressant doucement mes cheveux bouclés de ses grandes mains d'ouvrier ; ces grosses mains solides, pourtant si douces avec moi... J'en saisissai une et la serrai très fort. Je ne pouvais plus vivre comme ça, je ne pouvais plus me battre seule.
Alors je vidais mon sac, d'un coups. Je lui balançais toute la vérité, entre deux sanglots, tremblottante comme une petite feuille fragile entre ses bras.

Ma chérie..." Se désola mon père alors que j'achevais mon récit dans un interminable flot de larmes, tout en me serrant encore plus fort dans ses bras.
Je savais qu'il s'en voudrait de n'avoir rien vu. Qu'il se torturerait avec ça. Je n'avais rien dis pour le protéger... Mais j'avais craqué...
Le soir de Noël. Quel boulet.

Tu dois porter plainte." Décida brusquement mon père, et je me redressai immédiatement.

„Non, papa ! Ca fait trop longtemps... Je n'ai aucune preuve, en plus..."

Papa posa ses deux grosses mains de par et d'autre de mon visage pour me forcer à le regarder dans les yeux. Jamais de ma vie je ne l'avais vu aussi grave.

„Tu dois essayer, Paule. Et s'il recommence avec d'autres, hein ?"

Il avait raison. Je savais que je devais faire quelque chose... Mais comment ? J'étais terrorisée à l'idée de porter plainte ; et si l'affaire était classée sans suite ? Et si mon ex s'en prenait à mon père pour se venger ? Je savais de quoi il était capable...

Déterminé à agir, papa fit immédiatement des recherches sur internet et parvint à me convaincre de déposer une main courante, procédure qui me permettrait de faire inscrire le nom de mon ex dans les registres de la police sans engager d'enquête ; il ne serait même pas mis au courant.

Après deux longues journées passées à angoisser, faire des insomnies et me torturer l'esprit avec des scénarios pires que catastrophiques, je me trouvais paralysée face au commissariat, saisie d'une angoisse si intense que j'en étais figée sur place. Je mourrais d'envie de faire demi-tour, oublier tout ça encore une fois, tout nier en bloc pour reprendre ma vie là où je l'avais laissée, ma petite vie tranquille et calme que j'aimais tant... Mais mon père me tenait la main fermement, et sa poigne rassurante m'empêchait de fuir en courant le plus vite et le plus loin possible. Je devais le faire, si ce n'était pour moi, au moins pour les autres... Et pour lui.

„S'il s'en prend à quelqu'un d'autre, le fait que son nom soit déjà inscrit dans les registres jouera en faveur de la victime... Paule, c'est ce qu'il y a de mieux à faire..." Me rassurait mon père, alors que je prenais une longue respiration pour tenter de calmer mes tremblements.

Je serrai la main de mon père dans la mienne, et trouvai en sa présence la force de m'avancer en direction du commissariat.

Je ne crois pas que vous décrire la procédure soit très intéressant...

Finalement, j'étais soulagée d'avoir passé le cap. Certes, ce n'était „qu'une" main courante... Mais pour la première fois depuis des années, j'avais l'impression d'avoir vraiment agis pour m'en sortir ; de ne plus m'être laissée rabaisser au rang de simple victime.

Je n'étais PAS une victime ! J'étais une jeune femme de 24 ans avec la vie devant moi, membre temporaire de RAMMSTEIN nom de dieu ! Je n'allais pas me laisser marcher dessus si facilement par un pauvre type ! Héhé, je crois que cette dernière caractéristique m'a beaucoup aidée à retrouver ma fierté... Sans ça, j'aurais peut-être été tentée de me laisser aller encore une fois. Du style „gneugneuuhgneuh je ne vaux rien, je n'accomplis rien..." vous voyez ?

Dire que je ne voulais même pas aller aux premières auditions, ni même m'y inscrire d'ailleurs !

Faudrait que je fasse une bonne centaine de crêpes à la crème de marron à mon papa pour le remercier...

Comment j'ai fais ? [RAMMSTEIN] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant