Fire & Gasoline - Tome 2 [EN COURS]

Pourquoi tu n'as rien fait?

Je me réveille en plein milieu de la nuit, tremblant de tout mon corps. Alors que je dormais, quelque chose m'a traversé l'esprit, quelque chose qui m'a jetée des bras de Morphée, la respiration sifflante et les larmes aux yeux.

Les autres...

Si Bowen est actuellement sous le coup d'une enquête pour viol, c'est que quelqu'un a porté plainte contre lui. Et ce quelqu'un n'est pas moi. Donc il y a au moins une autre victime, quelque part. Il y a quelqu'un d'autre qui a subi ce que j'ai vécu. Horrifiée par cette déduction que je n'avais pas fait avant, je me lève rapidement et sors de la chambre en évitant habilement les cartons qui y sont encore disposés. Une fois dans le salon, j'attrape mon ordinateur et tape le nom de mon voisin dans le moteur de recherches. Plusieurs résultats s'affichent. Quelques réseaux sociaux, un CV en ligne et...un article de journal. Je clique dessus, morte de trouille. Les mots se troublent devant mes yeux alors que je parcoure l'écran du regard.

C'est un simple journal local d'une petite ville du Michigan, assez loin de l'endroit où j'habitais auparavant. Sur le côté, il y a une photo de lui, posant fièrement avec le maire de la ville. Il n'a pas beaucoup changé depuis la dernière fois que je l'ai vu. Ses cheveux étaient un peu moins gris et son visage moins ridé mais il a toujours cet air amical, ce sourire charmeur, ces pattes d'oies au coin des yeux comme s'il riait trop souvent. Je sens mon cœur s'affoler alors que je contemple ces traits.

N'aie pas peur, Axelle... ça sera moins douloureux si tu te détends.

Sa voix revient me hanter, comme un spectre. L'espace d'un instant, j'ai l'impression de distinguer un mouvement dans la pièce et je sursaute, persuadée que je vais le voir surgir pour me torturer encore. Mais il n'y a personne. Je me replonge dans ma lecture qui est en fait une tribune pour la défense de Bowen, le présentant comme un citoyen modèle et impliqué. Le nom de la plaignante n'est pas indiqué, seulement celui de son père, qui, apparemment, a entamé les démarches à la place de sa fille, celle-ci n'étant pas encore majeure. Jonas Kinsky. Ce nom est le prochain que je tape dans le moteur de recherche et je ne mets pas longtemps à trouver celui de sa fille, Mary-Kate. Elle a à peine 14 ans. Lorsque son visage s'affiche sur l'écran, je plaque une main sur ma bouche pour retenir un sanglot. Elle est si maigre... Elle se maquille beaucoup, comme pour cacher son vrai visage au monde et dans ses yeux, je distingue une inénarrable souffrance.

Oh mon Dieu...

Est-ce qu'il y en a d'autre? Est-ce que Mary-Kate n'est que la dernière d'une longue liste sur laquelle mon nom serait le premier? Est-ce que...est-ce que tout ça est arrivé parce que je n'ai rien dit?

Non...non, seigneur, non...

Malgré toutes mes recherches, impossible de savoir si d'autres victimes ont brisé la loi du silence. Mais je sens, au plus profond de moi, que c'est forcément le cas. Mon viol date d'il y a près de douze ans déjà, et celui de Mary-Kate, d'il y a sept ans. Bowen n'est pas le genre de prédateur à attendre si longtemps entre deux proies. Et dire que je n'y ai pas pensé avant...

C'est de ma faute.

Toutes ces années à nier, oublier, occulter, pour me protéger sans jamais envisager le fait que je mettais d'autres petites filles en péril. Toutes ces années d'égoïsme. Et d'autres en ont payé le prix. Je sens la culpabilité me tomber dessus comme une pierre et m'écraser sous son poids, au point que je peine à respirer. Au point que je n'entends pas la porte de la chambre s'ouvrir.

„Axelle?"

Je lève mon visage défait vers Daryl qui ouvre de grands yeux inquiets. Il se précipite vers moi.