Fire & Gasoline - Tome 2 [EN COURS]

Pas une victime mais une survivante

Dire que je me sens tendue en rentrant chez moi serait un sacré euphémisme. Je n'arrête pas de ressasser, grommeler, revivre ces deux entrevues plus que pénibles et je n'arrive tout simplement pas à me sentir satisfaite du choix que j'ai fait. Je n'arrive pas non plus à en envisager un autre.

Alors, on recommence à agir comme une gamine capricieuse et faible?

Je claque la porte de l'appartement avec colère. Je croyais valoir mieux que ça. Je croyais être une adulte. Je croyais être Mila. Elle, elle agit en adulte. Elle pense aux autres avant de penser à elle. Elle est forte et bienveillante. Moi, qu'est-ce que je suis? A quel point je suis une ordure pour cracher ma colère au visage d'une survivante d'agression sexuelle?

Et elle? Comment ose-t-elle essayer de manipuler une survivante d'agression sexuelle?

J'ai l'impression d'être dans une impasse. Quoique je fasse, je ne serai pas satisfaite de mon choix. Si je ne témoigne pas, je m'en voudrai. Si je témoigne, je leur en voudrai. Mes pensées s'embrouillent dans mon esprit au point que Mila devient tour à tour ma pire ennemie puis ma seule alliée. Qu'est-ce qu'elle veut? Qu'est-ce que je veux? Bon sang, je suis tellement paumée que j'en viendrai presque à regretter mes psychiatres qui essayaient de mettre de l'ordre dans ma tête!

"Lazslo!"

Mon chien se précipite sur moi en aboyant joyeusement. Quand je suis dans cet état, je ne vois qu'une solution: aller courir. Je me change rapidement et constate que j'ai reçu deux messages. L'un de Daryl et l'autre de Lorelei. J'ouvre le premier.

D: Comment ça se passe?

Gné.

Pas envie de répondre. Je préfère ignorer et consulte le sms de Lo'.

L: Tu viens t'entraîner aujourd'hui?

Oh que oui! Et tant pis si je dois me coltiner Gail pendant deux heures, au moins ça me changera les idées.

A: Je passe cet aprèm!

En fait j'aurais aimé y aller immédiatement mais Lazslo serait profondément déçu si je le laissais tomber après lui avoir fait croire à une promenade. J'attache donc sa laisse avant de quitter l'appartement, remontée à bloc.

Alors que je courre, je ne peux empêcher mon crétin de cerveau de repasser en boucle la discussion que j'ai eu avec Mila, ainsi que l'entrevue avec l'agent Stone. Je pense à cette autre fille dont les parents ont décidé de porter plainte. Quel âge a-t-elle? Comment ses parents vivent-ils la situation? Et elle? Lui a-t-on seulement demandé son avis avant de solliciter son témoignage?

Est-ce que j'aurais pu la sauver?

Non, je ne dois pas penser comme ça. Ressasser ne sert à rien. Je dois penser à ce que je peux faire maintenant, pas à ce que j'aurais dû faire il y a plus de quinze ans. Et si je réfléchis bien, il y a une seule chose que je peux faire maintenant. Je me suis enfuie bien trop souvent face à mon passé. Il est plus que temps de le regarder en face.

J'ai été agressée sexuellement.

Je dois accepter ce fait. Comme Daryl l'a fait, comme mon père l'a fait. Tous deux ont réussi à accepter un passé que moi-même je refuse de voir comme m'appartenant. Et tous deux m'ont conseillé de faire ce qu'il faut pour que ce passé ne me hante plus. Pour pouvoir me regarder dans une glace et ne plus voir la victime mais la survivante. Et la montrer au grand jour. Je ne veux plus porter mon passé comme un fardeau mais l'arborer comme un insigne. Comme la preuve qu'on peut survivre.

Je suis la preuve qu'on peut survivre.

Alors je témoignerai, non pas pour faire plaisir à l'agent Stone ou à Mila. Non pas pour me venger. Mais pour crier ce message au monde entier: