Mila

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Je crois que les gens se divisent en deux catégories: ceux qui ont peur du noir, et ceux qui s'y sentent bien. En l'occurrence, je fais partie du deuxième groupe.
Il y a quelque chose d'apaisant dans le fait d'être éveillé en pleine nuit. Une sensation de pouvoir arrêter le temps à sa guise sans que personne s'en aperçoive puisque tout le monde dort. Je pourrai aller marcher dans les rues de New-York. Je pourrai m'asseoir au milieu d'une route déserte. Je pourrai rester immobile à contempler un mur pendant des heures et des heures ou écouter de la musique discrètement en observant le ciel jusqu'à ce que le jour se lève et personne n'en saurai rien. Pour quelque heures seulement, j'ai une totale liberté sur ce que je fais. Personne n'attend rien de moi. Et je veux profiter de ces heures comme s'il s'agissait des dernières avant de se jeter dans une bataille dont l'issue est plus qu'incertaine. Tant que je ne dors pas, ces heures m'appartiennent. Elles ne me fileront pas entre les doigts comme le fait le temps lorsqu'on est endormi. C'est comme si la nuit dilatait le temps. Il s'étire et s'étend sous mes yeux alors que je regarde avec obstination les chiffres affichés sur mon réveil. Ont-ils encore un sens? 3h14. Pour autant que je sache, il pourrait être 2h14 que ça ne ferait aucune différence. Pendant la journée, chaque heure a une fonction précise, et le temps devient un chef d'orchestre qui rythme nos pas et nos pensées. Mais la nuit... La nuit les heures redeviennent des chiffres. Et c'est à nous de leur donner le sens qu'on souhaite.

3h15...

J'entends trois bruits à intervalles réguliers :la respiration de Daryl, celle de Lazslo, et de temps en temps le bruit du frigo dans la cuisine. Je compte le nombre de respirations en une minute.

3h16

Dans moins d'une heure, le réveil de Daryl va sonner et il devra aller travailler. Dans moins de deux heures, j'entendrai le camion de livraison venir réapprovisionner l'épicerie au bout de la rue. Dans environ quatre heures, les voisins d'en face quitteront leur appartement en courant dans les escaliers. Dans 6 heures, la rue s'éveillera dans un concert de moteurs et de klaxons. Et dans moins de 7 heures... Je serai au commissariat. Avec elle.

À quoi peut elle ressembler? Cette autre fille qui a vécu ce que j'ai vécu? Cet autre moi? Est-ce qu'elle se sent sale? Est-ce qu'elle a peur? Est-ce qu'elle a honte? J'essaie d'imaginer un visage, à mi-chemin entre celui de Mary-Kate Kinski et le mien. Je lui invente des yeux tristes, un teint pâle, des mains qui tremblent. Je la vois me haïr et me demander pourquoi je ne l'ai pas aidée.

3h30...

J'ai été lâche. Et je ne le serai plus. Je vais enfin affronter mes démons les plus sombres et leur cracher à la gueule. Je vais enfin mettre le passé derrière moi. Il ne me fera plus souffrir, ni moi ni personne. Il va payer.

Il doit payer.

***
La fatigue a fini par me rattraper, aux alentours de 7 heures. Peut être est-ce une bonne chose car plus l'heure approche et plus l'angoisse monte. Je ne suis pas sûre que j'aurais pu la supporter.
La dernière fois que je suis venue dans ce commissariat, j'ai vomi dans la poubelle de l'agent Stone. Cette fois, j'espère faire meilleure impression. Pour me donner du courage, je serre dans ma poche le petit mot trouvé sur le lavabo ce matin:

Tout va bien se passer.
Je t'aime.

D

C'est drôle, j'ai eu beau me répéter ces mots un millier de fois, il n'ont jamais eu aucun effet. Mais s'ils viennent de Daryl...alors ils prennent tout leur sens. Ils deviennent l'évidence même. Bien sûr que tout va bien se passer, puisqu'il est là. C'est en me concentrant sur cette pensée que j'avance vers l'agent d'accueil.

"Bonjour?

-Mademoiselle, c'est à quel sujet?

-J'ai rendez-vous avec..."

Fire & Gasoline - Tome 2 [EN COURS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant