Contre la montre

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Je déteste le silence. Le silence ne permet pas d'ignorer nos propres pensées, il nous rend vulnérable et nous étouffe comme un millier de cris en même temps. Il nous empêche d'exister, de ressentir. Il accompagne la solitude et la rend plus réelle.

Le silence, c'est l'absence. Et je hais l'absence.

Mais ce silence... Ce silence, par-dessus tout, fut le pire de toute mon existence. Il résonnait encore de la voix de Daryl, cette voix que j'aime tant, avant de l'avaler comme un monstre. Ce silence, c'était un de ceux qui ne disparaît jamais. Un de ceux qui laissent des traces. Le silence qui rôde après un « je t'aime » qui n'est pas réciproque, le silence d'une nuit d'insomnie sans personne à qui parler, le silence d'une foule qui juge d'un regard. J'étais dans un taxi, avec un conducteur, au milieu des embouteillages New-Yorkais, en pleine ville. Et pourtant, je n'entendais que le silence.

Je regarde mon téléphone, comme pour attendre que Daryl me rappelle. Mais rien ne vient. Alors, sans même lever la tête, je m'adresse au chauffeur :

« Arrêtez-vous. Je descends. »

Ma voix est étrangement calme, comme si la terreur n'était pas déjà en train de me ronger l'estomac au point de me plier en deux. L'homme se retourne.

« Vous faites pas d'bile, mam'zelle, ça va se déboucher.

-Je descends, répété-je sans m'émouvoir.

-Attendez, le GPS dit qu'on y est presque et... »

Cette fois je lève la tête pour braquer mon regard dans le sien. Et même si ma voix est parfaitement composée, je crois que mes yeux en disent long sur mon état. Car le conducteur s'interrompt immédiatement et recule un peu, inquiet. Je grince entre mes dents :

« Arrêtez cette putain de voiture. »

Il finit par obéir et s'arrête en pleine rue, s'attirant au passage les foudres des voitures derrière nous. Je lui colle deux billets dans la main et sors sans même récupérer ma monnaie. Je tiens toujours mon portable dans mon poing serré. Et il est toujours silencieux. Alors je me mets à marcher, de plus en plus vite, puis à courir, au fur et à mesure que la panique grandit dans mon esprit.

Je dois arriver à temps.

C'est la seule chose à laquelle je pense. Je ne sais pas exactement contre quoi je fais la course, avant quoi je dois arriver. Mais je courre comme si ma vie en dépendait, slalomant entre les piétons qui me regardent bizarrement. Au bout de seulement quelques dizaines de mètres, je sens ma blessure au thorax me tirailler, mon poumon endommagé se rappelant à mon bon souvenir. Mais je m'en fous. Au contraire, j'accélère encore le rythme. Je sais que je ne tiendrai pas longtemps. Et je dois arriver à temps. C'est la même certitude que j'avais lorsque maman est morte, la même que j'avais alors que Daryl était à l'hôpital. Si je sors de la pièce, elle va mourir. Si je ne viens pas, il va mourir. Si je n'arrive pas à temps...

Il va mourir.

C'est probablement un reste de foi enfantine, la même chose qui nous pousse à marcher entre les lignes sur le trottoir parce que si on en touche une, quelque chose de mauvais va se passer. Le genre de chose qui semble vraiment débile quand on le dit à voix haute, mais qui semble si évident dans notre esprit. J'ai perdu mon bracelet parce que j'ai marché sur une ligne. Maman est morte parce que je suis sortie de la pièce. Logique implacable.

A cet instant, j'ai l'impression de redevenir la gamine de 10 ans qui ne pouvait pas sauver sa mère. Cette petite fille solitaire et dans la lune que les instituteurs n'hésitaient pas à qualifier de « dispersée ». J'aimais beaucoup ce mot. J'avais l'impression d'être à plusieurs endroits à la fois. Comme un super-pouvoir.

Fire & Gasoline - Tome 2 [EN COURS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant