Chapitre 6 : La Moisson (2/2)

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III


   — Que l'on amène le sacrifice sur l'autel, ordonna l'Ainé.

   Comme un seul homme, l'intégralité de l'Assemblée fit le silence, mettant fin aux incantations préparatoires des mystiques de la Cabale. L'Augure s'avança vers le premier cercle rituel, entouré d'un petit groupe de cultiste. Il brûlait d'impatience, le rituel allait bientôt commencer. A la fin de celui-ci le Père reviendrait, et l'enfer se déchaînerait sur les impurs.

   Il n'avait plus qu'à apporter le sacrifice à l'autel et la célébration atteindrait son apothéose, son point de non-retour. La jeune femme calée sur son épaule se débâtait comme une furie, tambourinait des bras pour signaler son absence de consentement. Elle venait tout juste de reprendre conscience. L'Augure en avait veillé ainsi, il fallait qu'elle soit consciente pour subir le rituel. La jeune femme, nue comme un ver et entouré d'une légion d'inconnus, s'était subitement mise à paniquer, implorant qu'on la laisse partir, qu'elle n'avait rien fait de mal et qu'elle n'était qu'une simple serveuse. Elle commençait à sérieusement agacer l'Augure mais il se retint de la faire taire, par peur d'abîmer son enveloppe charnelle. Le corps de la sacrifiée devait demeurer pure et vierge de toute souillure jusqu'à l'accomplissement du rite d'invocation.

   Néanmoins la chose était loin de satisfaire l'Augure. Pour lui, la serveuse que la Griffe s'apprêtait à offrir à l'entité archidémoniaque était indigne d'un tel honneur. En effet il l'avait observé avec attention ces derniers jours, à l'auberge miteuse du patelin. Elle passait ses tristes jours à se dodeliner auprès des clients, mettant bien trop en avant ses courbes tentatrices. Il aurait préféré offrir la fille du bourgmestre en pâture au Vil Corrupteur, elle, était digne d'un tel présent.

   Cependant il avait été incapable de la retrouver avant le début de la célébration. Une fois les deux fuyards neutralisés, ayant pris soin de les confier à d'autres de ses frères, il avait galopé sans faiblir vers la demeure de l'élu local. Une bâtisse vide et en proie à des flammes infernales fut la seule chose qu'il trouva. Peut-être s'était-elle enfuie ou faisait déjà partie des prisonniers amenés à la grand-place ? Il s'était ensuite rendu au centre du village et avait constaté que la Griffe avait déjà choisi la sacrifiée.

   L'Augure fendit le premier cercle d'adepte, ses frères s'arrêtant à celui-ci, et se dirigea vers le cercle intérieur, là où l'attendait les chefs de la Cabale.

   Dans le fond, c'était sans importance, le Seigneur de l'Apocalypse serait satisfait tant qu'il s'agisse d'une jeune vierge n'ayant pas dépassé la vingtaine. L'Augure, quant à lui, aurait alors tout le loisir de garder sa proie pour son seul plaisir personnel.

   Une fois le second cercle franchi, l'Augure enjamba les nombreux sceaux qui recouvrait maintenant le sol de l'esplanade, tracés à l'aide de sang frais par les mystiques car il ne fallait surtout pas les effacer. Ensemble de forme géométrique en pentagramme, ils permettront d'ouvrir une brèche dans la réalité, donnant sur Tartaros, le domaine démoniaque du Vil Corrupteur. Lui seul avait la puissance nécessaire pour redonner vie à Père.

   Il arriva enfin à hauteur du cercle intérieur et la Griffe se retourna vers lui à son approche. Elle s'était regroupée au centre de la place, autour d'une stèle noire couchée à l'horizontale et préparés par les mystiques.

   — Te voilà enfin parmi nous Augure, c'est un grand honneur qui t'est accordé, susurra la voix vénéneuse de la Vierge de Fer à son encontre.

   — Pose maintenant la sacrifiée sur l'autel puis prend place derrière ton mentor, ordonna l'Ainé.

   L'Augure s'exécuta immédiatement et allongea la pauvre fille sur la pierre noire, celle-ci ne put s'empêcher de s'agiter davantage au contact glacial de la stèle. L'Ainé s'avança vers elle et tendit une main blafarde dans sa direction.

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