La Volonté de Solaar

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« Quel gâchis ! », pensa Piris en retenant un haut-le-cœur. Elle avait accouru dès qu'elle avait appris qu'une bagarre avait éclaté à la cantina du Stallite. Et maintenant elle contemplait un spectacle désolant. Une vingtaine de corps se tordaient en gémissant sur le sol en torchis, des ecchymoses violettes décorant nombre de faces.

Sa présence sur les lieux de l'altercation s'avérait nécessaire à double titre. D'une part, parce qu'elle était une Guérisseuse, qu'elle possédait d'une façon innée la technique du corps, et, que depuis sa plus tendre enfance, elle avait toujours soigné les autres Célestes. D'autre part, parce qu'elle était la Vierge Sacrée de Lost Vegas. À ses douze ans, lui avait échu la charge de l'autorité séculière du Stallite. La volonté de Solaar lui avait commandé de prononcer les lois et la justice du Stallite.

La jeune femme frissonna, tandis qu'elle s'avançait avec les autres Guérisseurs vers les blessés. Elle fut interpellée par un Gardien du Feu, qui tenait son visage entre ses mains.

« Qu'y a-t-il, mon brave ? demanda-t-elle.

Le soldat enleva ses mains, découvrant un faciès marqué de griffures sanguinolentes. Piris s'exclama sourdement, et attrapa un onguent qui pendait dans une sacoche à sa ceinture. Elle en barbouilla le visage tuméfié, soufflant doucement :

─ Tu verras, dès demain ça ira mieux. Que s'est-il passé ?

─ C'est à cause de ces saletés de Burboys. Triga a défié le Prévôt Wayne, en lui demandant pourquoi il était au service d'une larve comme Vox. Ça a évidemment dégénéré en bataille. »

Piris soupira. En quelques mots, le Gardien du Feu avait résumé la tragédie que connaissait Lost Vegas.

Depuis que les Sombre-Terriens s'étaient réfugiés dans la mystérieuse colonne de lumière qui trouait l'obscurité, une interminable querelle déchirait le Stallite. Les Burboys, conscients de leur importance (ils apportaient la viande et constituaient une force de frappe contre les dangers de l'Obscur), réclamaient de pouvoir diriger le Stallite. En face d'eux se dressaient les Prôneurs, et leur bras armé, les Gardiens du Feu. Émissaires de Solaar, le Dieu qui leur envoyait lumière et chaleur, les Prôneurs intercédaient évidemment dans les affaires temporelles, par l'intermédiaire du Conseil des Sept Révérés.

Entre ces deux forces antagonistes, si ce n'est belliqueuses, il y avait une Reine et un Roi, et par défaut, une Vierge Sacrée. En une centaine d'années, les prédécesseurs de Piris avaient plus ou moins réussi à maintenir un équilibre précaire, intégrant en outre les autres castes : Nourrisseurs, Bâtisseurs, Fouineurs.

Pour l'instant, Piris s'était débrouillée avec talent. Depuis quatre ans, le Stallite n'avait pas connu d'émeutes, comme cela s'était déjà produit de par le passé. Mieux, les Bâtisseurs avaient pu reconstruire certains Inns, ces grandes bâtisses qui accueillaient une majeure partie de la population ; et surtout ceinturer le Stallite d'un mur en pierre qui le protégeait des attaques des bêtes de l'Obscur, ou pire, des shankreatures.

Piris dansait néanmoins sur le fil du rasoir. Sa jeunesse et sa féminité étaient un handicap face aux vieux loups politiques et aux jeunes Chacrals gonflés de leur virilité.

Parfois, elle maudissait Solaar de lui avoir donné tant de responsabilités.

La cantina reprit rapidement son allure habituelle. Les dernières taches de sang furent essuyées sur le zinc du comptoir, les fûts de métal trônèrent à nouveau dans la salle, tables de fortunes recueillant les mares de Stohll, l'alcool de rueg. Les Joueurs regagnèrent qui sa cahute de bric et de broc, qui un Inn. Seuls restaient Simiagol, le tenancier de la cantina, Wayne et Piris. Le gros patron marmonna quelque excuse inintelligible sous sa barbe rousse, et disparut par une porte de service.

Les Joueurs de Lost VegasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant