Stallite en vue

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La Bourrique crachait par sa tuyère une épaisse fumée encore plus noire que le Noir Nuage. Grâce à son chasse-pierre, qui servait aussi à l'occasion de pare-bur, la locomotive avançait à vive allure, aplatissant sous son poids la piste qu'elle traçait.

Nombre de Foraineurs étaient collés aux hublots percés autour du Foyer. Comme les guetteurs, qui eux avaient pris place au sommet de la machine dans des miradors aménagés, ils tentaient de percer l'Obscur, à la recherche du fin trait de lumière qui annoncerait le Stallite.

Khe regardait tant qu'il pouvait, mais son regard se noyait dans les ombres menaçantes qui s'agitaient à la lisière de l'océan de suie, venant s'échouer en volutes d'écume sur la faible sphère de lumière que le Trail-Wagon générait. Le Foraineur ne frémissait même plus à ce spectacle inquiétant ; après des cycles et des cycles de voyage, il avait appris à ne plus craindre les spectres. Seules les choses vivantes pouvaient apporter la mort.

La vue acérée du chasseur attrapa la nuance de pourpre en même temps que les vigies. Aussitôt, une voix venue de la machinerie annonça à travers les tubes : « Stallite en vue ! »

Le Trail-Wagon infléchit sa course vers la lumière. Les deux roues directrices gémirent, tandis que les huit roues arrières propulsaient de toute leur énergie mécanique le gigantesque véhicule, monté sur un bogie.

Rapidement, les contours du Stallite apparurent : hauts murs de pierre gris se couvrant d'améthyste sous la caresse de Solaar mourant, et quatre constructions émergeant de l'enceinte, comme autant d'immenses gardiens.

L'aspect du Stallite était loin d'être effrayant, mais Khe savait bien que sur Sombre-Terre les apparences étaient trompeuses. Combien de Célestes se comportaient comme des pillards, accueillant les Trail-Wagons pour mieux les dépouiller par la suite ? Combien de Stallites avaient dégénéré au point de devenir des refuges d'anthropophages ?

Le Trail-Wagon ralentit, et Khe quitta à regret le hublot. Il devrait maintenant attendre que la Bourrique soit aux portes de Lost Vegas pour de nouveau contempler la cité. Une longue plainte d'olifants parvint du Stallite, à laquelle répondit le long sifflement aigu de la Bourrique. Le jeune homme se dirigea vers l'entrepôt. Tous les bras étaient requis pour cacher les armes à la curiosité des Célestes.

Les Joueurs de Lost VegasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant