Les Joueurs de Lost Vegas

Aveux

Swansong déploya les bras au-dessus du vide. Il se tenait sur le rempart du Stallite et surplombait un espace vide, seulement habité de quelques cactus. Les rides qui barraient son visage trahissaient son grand âge. Mais l'éclat fou de ses yeux prouvait que la passion continuait à l'habiter. Il s'élança dans le ciel. Ni Piris, ni Kami ne bougèrent. Au bout de quelques instants, Swansong libéra un large morceau de tissu, relié à son dos par des cordes épaisses. Le dispositif ralentit considérablement sa chute, et le vieil homme atterrit presque sans se faire mal sur un tas de foin salvateur.

« Ton père est complètement fou, Kami.

─ Oh, oui, son jugement est un peu obscurci depuis qu'il a échappé aux Bêtes de l'Obscur. Mais il est habité par l'Avant et par la science. C'est un véritable antéchaire. Il continuera ses essais tant qu'il n'aura pas réussi à fabriquer ce qu'il appelle un parachute.

─ Et bien, je l'admire ton père, murmura Piris. Lui au moins sait ce qu'il veut. »

Kami ne souffla mot. À leur réveil, elle avait proposé à sa maîtresse d'accompagner son père sur les remparts, espérant ainsi la distraire. Mais Piris s'était assise contre les créneaux, les jambes entre ses bras, et n'avait plus bougé, un air boudeur collé sur le visage. Kami lui enserra alors les épaules et glissa à son oreille: « Si un homme vous déçoit, faut aller en voir un autre, pour se rendre compte que finalement, ils sont tous pareils. » Piris encore une fois fut choquée par le franc-parler de sa demoiselle de compagnie.

Celle-ci n'avait toutefois pas entièrement tort. Piris s'ébroua, enfin décidée à faire quelque chose. Elle prit congé de Kami et se dirigea vers la cahute de Triga. Quel qu'eût pu être son comportement, il n'en demeurait pas moins un homme que la douleur accablait, et ses talents de Guérisseuse feraient le plus grand bien au Burboy. Les Joueurs étaient résistants, et les blessures guérissaient très rapidement, mais il fallait parfois aider Solaar dans sa tâche.

En arrivant au seuil de la baraque, elle ne put s'empêcher d'esquisser un sourire en notant le crâne de Dir nacré qui ornait le fronton. La taille de ses bois impressionnait et il avait dû demander des heures de traque à Triga, avant que celui-ci ne finît par l'abattre. Ce symbole de la force du Burboy, ce gardien silencieux et menaçant, ne semblait-il cependant pas vain, alors que son propriétaire souffrait maintenant des nombreuses contusions et ecchymoses que Khe lui avait infligées ?

Piris s'annonça en pénétrant la cahute de terre. Un faible gémissement lui répondit en écho. Il provenait d'une paillasse posée près d'un âtre sommaire et sur laquelle tremblait le corps recroquevillé de Triga. Elle s'approcha lentement de la forme secouée de sanglots.

« Triga ? murmura-t-elle.

─ Oui, c'est moi. »

Il tourna son visage vers Piris et elle étouffa un cri de surprise. Les paupières du Burboy ne formaient plus qu'une mince ligne sous les monticules violets qui s'étaient formés en dessous des arcades sourcilières. La peau de son visage était marbrée de plaques jaunes et carminées. Du sang séché craquelait sous ses narines. Enfin, ses traits se crispaient en un perpétuel masque de souffrance.

Elle se jeta à genoux, et prit dans ses mains la tête du jeune homme.

« Père Soleil, comme tu es abîmé. Tu ne souffres pas trop ?

Un rictus dévoila les dents branlantes de Triga.

─ Non, non, seulement quand j'rigole. » Il soufflait ses mots plus qu'il ne les prononçait. « Blague mise à part, ça fait mal...

─ J'imagine.

─ Non, t'imagines pas. Chacun de mes muscles me fait mal, respirer me fait mal. Mais c'est pas grave, dès demain, je serai sur pied. Et j'en aurai besoin...