IV.3 Effraction nocturne

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« Comment on sait où aller ? demanda Izahkos, en enjambant un tronc d'arbre mort.

Makabra chercha un moment ses mots, voulant lui expliquer de manière compréhensible.
- Grâce à une sorte de copie du monde physique dans le royaume des Ombres... Yrktral saura mieux t'en parler que moi, mais basiquement, il a des yeux partout dans les mondes.

- Les mondes ? nota l'Alfe, intriguée.

L'autre se tut, une moue gênée sur son visage. Izahkos n'insista pas, persuadée qu'elle aurait ses réponses tôt ou tard.
Cela faisait environ une heure qu'elles avançaient, toutes les deux, à travers cette dense forêt et en pleine nuit, suivant l'étrange guide qu'était Haniwa. Malgré un visage minimaliste à l'air complètement ébaudi, l'hybride d'ombre drapé de velours connaissait le chemin. Il glissait entre les racines sinueuses comme un serpent redressé face à sa proie, laissant s'échapper parfois quelques volutes ténébreuses dans son sillage. Il n'avait pas émit le moindre mot, ni même le moindre son, depuis leur départ.

Dégageant de bas branchages de son chemin, le groupe découvrit enfin ce qu'il cherchait au fin fond de ces bois : un gigantesque manoir délabré apparut, derrière une clairière de fougères envahissantes.
« Le masque du Raak'El doit être gardé ici, commenta la fée, en jugeant l'architecture ancienne de l'édifice.
Restons sur nos gardes, son propriétaire pourrait encore être là. »

Ils entrèrent tous les trois par la porte principale, à l'affut du moindre mouvement. Le très vaste rez-de-chaussée circulaire était éclairé par un riche candélabre soigneusement entretenu ; le lieu devait encore être habité. Deux escaliers menaient à une mezzanine dont la barrière encerclait le somptueux lustre du plafond. Toutes les salles à fouiller semblaient être à l'étage, où les effracteurs se rendirent après un rapide tour dudit rez-de-chaussée.
« On se sépare pour mieux chercher, proposa Makabra en constatant le nombre de salles à l'étage. Si on trouve le masque ou le propriétaire des lieux, on appelle les autres, d'accord ? »

Izahkos acquiesça, mais Haniwa ne prit pas cette peine et obéit immédiatement. Chacun commença la fouille méthodique des salles du manoir, à la recherche de l'artefact qu'avait réclamé Libre.

Makabra n'avait pas oublié l'impulsivité meurtrière de ce nouveau commanditaire, auquel Yrktral semblait donner toute sa confiance. Son esprit oscillait encore entre la peur que lui inspirait ce masque surpuissant et la curiosité qu'elle portait au monde dont il était originaire. Elle voulait découvrir ce nouveau monde, en explorer chaque recoin, mais surtout aider les peuples qui y vivaient.
Bien que violent, Libre était également un être en détresse qui cherchait à sauver les siens. Lui et le Roi des Ombres avaient plus de choses en commun, finalement...

Izahkos la tira hors de ses pensées en l'appelant. La fée accourut vers sa camarade.
« Il y a un sous-sol », chuchota l'Alfe en désignant une porte grande ouverte donnant sur un escalier en colimaçon plongeant vers les fondations de l'édifice.

« Tu veux que je t'accompagne ? proposa Makabra, en cherchant où en était l'hybride de masque et d'ombres. Ce dernier s'attaquait à sa troisième salle.

— Pas besoin. Je n'ai pas peur du noir, railla Izahkos en enjambant les premières marches.

— Soit prudente ! » lança la fée, avant de pénétrer une salle voisine.

Les marches s'enfonçaient profondément dans le sol, et à chacune d'elles la lumière se tarissait. D'ordinaire, l'obscurité ne dérangeait pas autant la vision de l'Alfe, mais une force étrange semblait altérer sa nyctalopie.
Elle atteignit enfin le dernier palier, qui donnait sur un très large sous-sol de briques grises. De hauts piliers en ogive devaient soutenir le plafond pour ne pas que tout le manoir s'effondre.
Izahkos avança prudemment au cœur de la crypte, très peu sereine. Elle pressentait une présence insidieuse en ces lieux, et ne pouvait voir qu'à quelques mètres seulement.

Après une marche à l'aveugle qui lui sembla interminable, elle trouva une des parois du sous-sol. Le cadre d'une porte de geôle y était incrusté, mais la porte en question était grande ouverte.
Alors que sa peur et son instinct lui dictaient de faire demi tour, elle s'aventura plus loin. Après une seconde porte, c'était une lourde herse en acier levée qui laissa l'Alfe avancer.

Dans la grande salle en demi-sphère dont elle troubla ainsi le silence, elle ne trouva pas le masque du Raak'El. À la place, elle découvrit d'épaisses chaînes en quatre points de la pièce, toutes brisées à l'autre extrémité.

Makabra, de plus en plus inquiète quant au potentiel propriétaire du terrain qu'ils cambriolaient, avait enjoint Haniwa à se presser dans leur fouille.
À cette occasion, elle avait pu assister à la méthode de l'ombre masquée : plutôt que de vérifier chaque masque un à un, à chaque fois qu'une salle présentait une collection de visages figés, des tentacules noirs jaillissaient de sous sa cape et ravissaient toutes les faces de la pièce en en fourrant son manteau.
La silhouette pourtant filiforme de la création ne semblait pas prendre en volume dans l'opération, alors même qu'il engloutissait les masques par vingtaine.
La fée, en bonne scientifique, se demanda si cette magie était propre aux Changefaces, aux ombres, ou au mélange des deux qu'était Haniwa.

Elle laissa donc faire, et poursuivit la recherche de son côté. Elle avait vite compris que les salles du manoir étaient scindées en deux types; les chambres, où les masques étaient entreposés par thème, et les bureaux, où ils décoraient les murs sans grand liens entre eux. Les salles étaient aussi liées par couleur, la tapisserie du sol étant commune à une chambre et un bureau à la fois.
Elle entra donc dans la chambre verte, où les motifs des visages ornementaux rappelaient la forêt ou la jungle.
En particulier l'un d'entre eux, bien plus massif que tous les autres masques qu'elle avait croisé. Il correspondait bien à la description de celui qu'elle recherchait : six cornes, deux gueules croisées, et une aura qui inspire la crainte.
Un détail clochait, cependant.

Le masque était attaché au visage de quelqu'un.

La Conspiration des OmbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant