VI. 3 Doutes légitimes

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Une belle rangée de masques parfaitement alignés avait été abandonnée par Libre, qui discutait encore avec la Mante Rouge. Cette dernière, la plus haute de toutes, répondait à toutes les questions de son ami, ainsi qu'à celles d'Yrktral, par des phrases courtes et concises.
Le Roi des Ombres, d'ailleurs, semblait en pâmoison totale devant cette créature apparue dans un bain de lumière.
— Pouvez-vous en faire venir plus ? demanda la Horde Singulière, des étoiles dans les yeux.

— Non. Tous ne sont pas des amis.
Sa voix glaciale ne brisait aucunement l'engouement du Roi, qui enchaîna ses questions pour remplir son puits de savoirs.

Restée à l'écart, Makabra examinait chacun des visages qui n'avaient pas été brisés. Il s'en dégageait à chaque fois une atmosphère... envoûtante. Un léger souvenir lui revint, soulevant le coin de ses lèvres.
La fée empaqueta trois masques, sans qu'elle ne sache pourquoi ceux-ci plutôt que d'autres, puis demanda une courte audience au Roi des Ombres.
« Si vous n'avez plus besoin de moi, j'imagine que...

— Je vous en prie, faites donc. » la congédia Yrktral en lui jetant à peine un regard. Ces derniers semblaient réservés à la divine Mante Rouge.
Des regards, en revanche, la Mante ne se priva pas d'en donner à la fée. Un regard d'acier, froid, scrutant les moindres failles de l'âme qu'il sondait.
Makabra se déroba à ce duel oculaire, et s'éclipsa tête basse en emportant avec elle ses outils de recherche. D'un claquement de doigt sans conviction, elle ouvrit un de ces portails à la surface liquide, et le laissa l'engloutir.

Haniwa, juché du haut d'une île rocheuse dérivant dans les ténèbres, se contentait d'assister aux événements. De loin, de préférence.
Son façonneur n'avait plus d'yeux que pour cette amie d'un autre monde. Qui était Haniwa, pour Libre ? Sa création ? Sa chose ? Un larbin parmi d'autres ? L'hybride fantomatique tenta de se convaincre qu'il était, en quelque sorte, ce qui se rapprochait le plus de l'enfant du masque libéré. En vain.
Il repensait encore aux paroles de cet·te épéiste à double face. Cela le hantait. Comment être soi-même si l'on est créé dans un but ? Si l'on connaît son Façonneur ?

Considérant une dernière fois cette relation exclusive entre la Mante et Libre, la créature amorphe emboîta le pas à Makabra, et s'engouffra dans le portail d'où elle venait de disparaître.

La brèche mena Haniwa au laboratoire personnel de la fée. Une sorte de large fissure horizontale à flanc de falaise, qui donnait donc sur un océan à perte de vue. Les tables de travail et d'expérience étaient en fait des roches plates sur lesquelles traînaient ça et là des roches noires et des fioles de couleur. Des croquis, des grimoires et des parchemins entiers de textes patientaient dans des étagères creusées dans les murs de pierre ocre.
Makabra elle-même se tenait déjà devant l'un de ces plans, face aux trois masques qu'elle avait emporté. Elle semblait jeter des sorts sur les visages de bois et d'ivoire, puis noter en marmonnant chacune de leurs réactions sur une feuille à part.

Absorbée par ces recherches, et du fait que l'ombre au visage de fer ne provoquait pas le moindre son dans ses déplacements, elle ne remarqua pas les tentacules noirs glissant dans sa direction émerger du portail d'argent.

« Où sommes-nous ? demanda Haniwa, absorbé par les reflets d'un soleil couchant sur l'horizon maritime.

Makabra se retourna aussitôt, et lâcha un cri de surprise qui aurait pu dégénérer en hurlement si elle n'avait jamais connu ce poulpe sépulcral au masque démoniaque.
— Que je le serve ne suffit pas ? Il faut aussi qu'il envoie son chien m'espionner !? hurla la fée pour évacuer sa frayeur.

L'Ombre mit quelques temps pour comprendre, mais Makabra avait déjà repris la parole.

— Pour répondre à ta question, tu es chez moi, et tu n'es pas le bienvenu. Retourne dans les ténèbres qui t'ont vues naître.
Sur le visage d'enfant de la fée était affiché une sévérité renforcée par ce contraste. Elle semblait une âme éprouvée enfermée dans le corps d'une enfant.

La Conspiration des OmbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant