VI. 4 Le calme avant la tempête

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Le Maître referma la porte pour rejoindre les autres, qui s'étaient tus, dans l'attente de plus d'informations.

« Alors ? demanda finalement Narwen, coupé dans ses incessants allers-retours et pressant la réponse du Changeface qui cherchait encore ses mots.

— Toujours rien pour le moment, avoua-t-il en baissant son visage. Les Rumeurs ne rapportent habituellement que les on-dit, elles n'ont pas été pensées pour l'espionnage.

— Si, contrecarra Maram, les bras croisés. Vos méthodes outrepassent complètement la vie privée de vos proies.

— Certes, admit difficilement le Maître. Mais pas pour ce type d'espionnage. C'est beaucoup leur en demander que de me rapporter toute activité suspecte en lien avec ceux que nous savons être liés à Libre. D'autant que les descriptions que vous m'avez donné sont vagues.

Maram soupira en levant ses yeux d'or au ciel. Enfin, au plafond, en l'occurrence.
— Ma description ne saurait être plus précise, Maître. La chose que j'ai affronté était un spectre tentaculeux surmonté d'un masque de fer.

— Il s'appelle Haniwa.
Tous les regards se tournèrent vers Izahkos, encore ligotée à sa chaise dans un recoin de la salle. Cette dernière n'étant éclairée qu'à la lueur d'un pauvre candélabre posé sur la table où siégeait l'équipe du Maître, la silhouette de l'alfe ne se découpait que très peu de l'ombre. Puisqu'elle semblait avoir attiré l'attention, elle se permit de poursuivre.

— Le masque de fer qu'a pu apercevoir Maram est le crâne d'un Faiblicide, que Libre a apporté en personne. Haniwa a été... invoqué par ce dernier, et ce à partir dudit crâne et de la magie des Ombres. De ce que je sais, ce n'est qu'un pantin obéissant aux moindres désirs de son créateur.

— Je n'en serait pas si sûr·e, objecta l'Oroborien·ne. Il m'a semblé capable de réflexions lors de mon échange avec lui. Peut-être est-il même raisonnable...

— N'oublions pas qu'il a dérobé tous les masques de cette demeure, ajouta le Maître. Je ne pensais pas dire cela un jour, mais j'espère que Libre s'est contenté de les détruire. Autrement, il a en ses mains des armes puissantes, pour peu qu'il puisse les maîtriser...

— Et pour ce qui est de la fille qui a voulu voler mon masque ? demanda Juju, toujours derrière l'autant monstrueux que démesuré Raak'El.

— Elle se nomme Makabra. Elle est dûment dévouée au Roi des Ombres, mais comme moi, elle doute de Libre. C'est elle qui recherche un moyen d'ouvrir une brèche entre Estydaar et le Berceau des Ténèbres. Je pense que j'arriverai à la convaincre de ne pas suivre Libre une fois le portail établi.

— « Une fois le portail établi » ? répéta Maram, soupçonneux·se. Vous ne renoncez pas au projet de cet Yrktral ?

— Pas le moins du monde, affirma l'alfe en soutenant un regard décidé. J'ai vécu en ayant une Ombre Rampante comme compagne pendant des années, je sais donc les merveilles que le Royaume éponyme a à nous offrir. De plus, il serait criminel d'abandonner ces âmes à leur sort.

— Vous en avez connu une, certes. Mais qu'est-ce qui vous fait croire que toutes les Ombres sont aussi plaisantes que votre Kageko ? demanda le Cyanophide, avec tout autant de doutes que Maram.

— Yrktral est un roi juste. Il saura diriger son peuple pour éviter les débordements.

— S'il est un Roi, il lui faudra un nouveau royaume, rétorqua Juju. À la manière de s'exprimer autant qu'à la fourrure grisonnante qui croissait comme une couronne autour de son visage, tous comprirent que le Raak'El s'était réveillé.
— Nous ne pouvons pas permettre à un peuple, que vous décrivez par ailleurs comme nombreux, de venir en Estydaar sans lui offrir de terres, poursuivit le Roi Singe. Dans le cas contraire, il est évident qu'une guerre éclatera.

Il s'assit, les bras tendus entre ses cuisses comme appui, et continua son plaidoyer.
— Je propose de préparer le terrain avant d'invoquer des milliers d'âmes dans un monde déjà sous tension. Il y a, au nord des jungles dont je fus Roi, des landes inhabitées, vides de toute forme de vie. Proposons donc à son Altesse Yrktral ces terres, le temps peut-être de trouver un Royaume à la hauteur de ce titre. Ensuite pourrons-nous seulement nous préoccuper du cas de Libre et du ressentiment du Maître à son égard. Cette alternative vous sied-elle ?

La salle resta muette un instant, chacun posant le pour et le contre de la proposition du singe. Le Maître trancha.
— Il me semble bien que cela réglerait le problème des Ombres.

— Encore faudrait-il pouvoir le lui proposer, ajouta Izahkos, soulagée d'avoir trouvé un terrain d'entente mais préoccupée par les liens qui l'entravaient encore.

— De préférence avant qu'il ne soit trop tard. » compléta Narwen, bien plus défaitiste.

Une petite silhouette volante traversa la fenêtre ouverte à toute vitesse, et se réceptionna en sautillant à la lumière des bougies. Un moineau, à première vue, qu'une étude plus minutieuse remarqua factice : le volatile était taillé, et ce avec un aspect criant de vérité, dans le bois. Sur ses ailes étaient scrupuleusement gravés des veinules semblables en tout point aux filins des plumes.
De quelques bonds patauds, il se logea sur l'épaule du Maître, et lui gazouilla faiblement des secrets inavouables.

Après un silence de mort, le Changeface se leva, et informa d'un ton solennel et grave :
« Les Rumeurs ont retrouvé Makabra à quelques lieues d'ici. Elle tente d'ouvrir la brèche. »

La Conspiration des OmbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant