V.4 Constat

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Deux silhouettes drapées avançaient au cœur de la nuit et de la forêt, brisant le silence nocturne par des éclats de rires et des échanges enjoués.
Bientôt elles tombèrent sur ce grand manoir circulaire, perdu au milieu des bois, et en ouvrirent les portes.

« Éleveur, nous sommes...
Le Maître s'interrompit dans l'annonce de son retour pour dévisager les deux partis du duel acharné qui se jouait face à lui.
Les combattants s'arrêtèrent aussi, reconnaissant le Changeface qui venait de rentrer.

— Maître ! s'enquit Maram, son brand alchimique en main. L'accueil de votre manoir laisse réellement à désirer !

Mais le Maître en question était plutôt tourné vers cette figure de bois géante, posée sur un corps simiesque au pelage d'argent. Il lui fut facile de reconnaître le Roi qu'il avait jadis scellé dans ce masque.
— Comment avez-vous... comment vous êtes-vous...

Le singe ricana face aux bafouillages abscons et effarés du Sans-Visage.
— Je vous rassure, Ô Maître : la condition de masque me sied parfaitement. Je ne vous en veux pas de m'avoir arraché à mon corps et à mon peuple... Mais peut-être souhaiteriez-vous poursuivre vos retrouvailles auprès d'un autre ?

Le Maître brandit une main où bondissaient les arcs électriques rougeoyants de sa foudre.
— Où est l'Eleveur ? Où est Juju ?

— Je vous laisse avec ce petit plein de promesse, alors, ricana encore le Raak'El.
L'éclat du regard qui perçait les orbites du masque se changea.

— Maître ! s'écria un Juju, toujours affublé d'un visage géant et d'un corps de singe qui, lentement, reprenait sa forme flétrie.

— Je suis sincèrement navré, mais pourrait-on m'expliquer ce qui se passe ? s'enquit celui qui était entré en compagnie du Maître. Sa peau bleue pâle et finement écaillée ainsi que ses yeux aux iris orangés marquèrent un instant Maram et Juju, mais pas autant que le magnifique trident en argent finement forgé qu'il brandissait comme un sceptre.

— Narwen, présenta le Maître, voici Maram aux deux Visages, qui nous accompagnera contre Libre.
Et voici... Juju, le fils du propriétaire de ce lieu ainsi qu'ami.
Vous autres, voici Narwen Weltar, mage Cyanophide.

Juju avait fini sa métamorphose, remis son manteau rouge et son grand chapeau à plume. Il parla derrière le masque.
— Papa n'est pas rentré depuis près d'une semaine, Maître. J'ai peur qu'il lui soit arrivé quelque chose...

Maram reprit, toujours suspicieux·se quand à celui qui était un monstrueux singe guerrier quelques secondes auparavant.
— Et c'est sans compter ces étranges êtres qui vous ont visité il n'y a même pas une heure. Un fantôme au masque de fer et une petite fille-papillon...

— Elle voulait prendre mon masque, ajouta Juju. Mais j'l'ai pas laissé faire.

— Une petite fille qui... réfléchit le Maître. Dans un éclair de terreur, il bondit dans les escaliers marqués par les divers combats.

Il déboula dans la chambre rouge, où devait reposer sa collection de visages. Il n'en restait plus la moindre trace.
— Makabra, siffla-t-il, fulminant, à travers son masque.

Les trois autres, l'ayant suivi avec moins de panique, attendirent entre la porte et la rambarde brisée qu'il ressorte et se remette de la perte de ses trophées.

Et ce fut le moment que choisit l'épaisse porte du coin de la mezzanine pour s'ouvrir. Il en sortit une alfe sanglante et épuisée, qui lança :
« Eh ! Vous devinerez jamais ce qu'ils ont dans le sous-sol ! »

Son visage, rieur bien qu'en sang, se décomposa en constatant que ses acolytes n'étaient plus là, et que quatre autres personnes la dévisageaient. Parmi elles, le Maître parvenait à faire ressentir sa rage, malgré la rigidité de son visage.
« Elle aussi, vous l'avez recrutée ? » demanda l'Oroborien·ne, perplexe.

La Conspiration des OmbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant