La Conspiration des Ombres

VIII. Épilogue

Les nouvelles Légendes se réunirent au centre de l'arène. Les corps de la Mante Rouge et d'Izahkos, ainsi que les restes fumants du Maître, y furent également rassemblés.

La sœur de Juju, ainsi que Makabra, pleurèrent longuement la perte de l'alfe noire. Maram n'eut pas le cœur de blâmer Haniwa, ni la fée, et garda le silence. Tous se recueillirent.

Puis chacun prononça ses adieux.

Juju et sa sœur partirent vers les jungles d'où était originaire le Raak'El, dans le but d'enfin lever la malédiction de l'Innommable. On raconte que le jeune Changeface fut accepté au sein du peuple Singe, mais nul n'a jamais su si sa sœur fut délivrée de son apparence monstrueuse.

Makabra emporta le corps d'Izahkos jusque dans ses terres natales, où elle l'enterra en secret. Lors des funérailles, Kageko, la jumelle d'ombre d'Izahkos apparut à la fée pour la remercier.
La fée poursuivit ensuite, avec l'aide de Haniwa, ses recherches sur les mondes respectifs des Ombres et des Masques. Au cours de leurs expériences, ils se rapprochèrent. Une profonde amitié se forma, qui se mua petit à petit en amour, jusqu'à ce qu'ils franchissent le pas. La fée posa le masque de métal sur son visage, et l'ombre du spectre se mêla à la sienne. Le couple fusionné poursuivit de plus belle leurs expériences, dans le but de libérer Yrktral de sa prison éternelle et de découvrir d'autres Mondes à explorer.

Maram, fatigué·e de ses aventures, ne voulut pas retourner dans les terres ancestrales de son peuple. Iel partit en un voyage, comme simple vagadond·e, afin de découvrir le monde. Iel trouva l'amour dans une petite province du sud-est d'Estydaar nommée Arthel, et eut même un enfant. Iel écrivit à Makabra et à Haniwa, pour les mettre en garde contre les magies des masques et des ombres, mais surtout parce qu'iel était parvenu·e à fortement les apprécier.
De nombreuses légendes entourèrent sa mort, mais la seule chose à retenir fut qu'iel eut une belle vie.

Narwen Weltar poursuivit sa double quête de collecte de pouvoirs et de résistance anti-humaine. Après des années de lutte et de complots, il s'associa avec un spectre pour fonder un empire et entrer en guerre ouverte contre les humains. Jamais il ne put percer le secret de la magie des ombres, et jamais il ne s'approcha de la magie des masques.

Selkhyf demeura impératrice jusqu'à sa mort. Sa descendance maintint ses terres, mais sa petite fille attisa la colère des dieux et précipita le royaume entier à sa perte. Mais ceci est une toute autre histoire...

Les Changefaces furent soulagés d'apprendre la destruction du Trésorier, sans pour autant savoir dans quelles circonstances celui-ci disparut. Leur ordre n'arrêta jamais de collectionner les âmes les plus méritantes, mais connut tout de même un brusque déclin après la première grande guerre Maat.
Moins d'une centaine à travers tout Estydaar, la légende et la vérité resta difficile à démêler à leur sujet.

Le Maître flottait. Il se sentait léger, presque... libre. Libre d'un corps momifié et tassé, libre des siècles d'existence qu'il traînait derrière lui, libre... de son visage factice.
Quand il ouvrit les yeux, le spectacle d'une vaste nébuleuse orangée et rose caressa ses rétines. Tout était si calme. Des sortes d'oiseaux étranges, chimères impossibles, traversaient les nuages en en arrachant quelques spirales.

Non loin, un splendide insecte voletait dans sa direction. Des ailes de papillon aux motifs colorés s'agitaient doucement pour porter les segments d'une magnifique mante religieuse à la chitine écarlate. Des arabesques dorées décoraient ses pattes, et un voile rose masquait son visage.

Aux côtés de cette mante rouge, une sorte d'hippogriffe volait à grands coups d'ailes dorées. Le Maître pensa à un phénix, à cause des flammes blanches qui traçaient son sillage. Ses courbes nobles et racées étaient apaisantes, calmes.

« Maître ? demanda le phénix. Est-ce vous ?

— Oui... répondit-il, même s'il n'était plus sûr de qui il était. La digue s'était brisée.

— Je suis Libre, se présenta l'oiseau blanc. Je crois que nous avons beaucoup à nous dire... »

Le Maître acquiesça, et suivit son ami à travers les nébuleuses de ce monde des esprits.

Le ciel était vide. Le sol était vide. Le monde était vide.
Après avoir goûté aux merveilles des étoiles - et de cette lune ! -, Yrktral se sentit encore plus seul dans son Royaume. Ah, il était Roi ! Roi des Ombres ! Roi de RIEN !

Il errait, sans but, sans espoirs, au dessus des éclats de roche que constituait son empire déchu. Libre l'avait trahi. Izahkos l'avait trahi. Makabra l'avait trahi. Tous l'avaient trahi.
Mais il avait appris. Il avait appris, grâce à Libre, qu'il ne pouvait rien obtenir sans se battre, sans écraser quiconque se dressait en travers de sa route. Il avait appris qu'il devait trahir pour vaincre.

Un élément attira l'attention de la Horde Singulière.
Un ruban. Un de ces longs rubans de tissu avec lequel Makabra jouait, autrefois.

«  Nous cherchons un moyen. Soyez patient. Votre heure viendra. » disait le message.

Yrktral déchiqueta le tissu dans ses griffes et ses crocs.
Oui. Il saurait être patient. Il attendrait, des siècles, peut-être des millénaires s'il le devait.

Et son heure viendra.

Son heure viendra. Et quand elle sera venue, plus rien, plus RIEN ni PERSONNE ne l'empêchera. Il avalerait la lune, engloutirait les étoiles, dévorerait les enfants, ravagerait les villes, se délecterait de leurs âmes et de leurs larmes à tous.

Libre lui avait enseigné une dernière chose. Une chose qui lui servirait de carburant pour les millénaires d'attente qui l'attendaient.
Il lui avait enseigné la haine.

Son heure viendrait...

Une larme noire coula sur le visage d'ombre d'Yrktral. Ce fut la dernière qu'il se permit.
Les éons passèrent. Le temps s'écoula. Mais la haine, elle, ne disparut jamais.

Au final, les Esprits continuaient d'être scellés dans les masques, et les Ombres étaient encore bannies dans leur royaume abandonné.
Rien n'avait changé, sinon qu'il avait vu la Lune.

FIN