Chapitre 5

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À l'occasion du déjeuner, Paco m'entraîne à nouveau dans le chalet, situé au centre du terrain. Cette maisonnette en bois, que j'ai découverte ce matin en acceptant le café de Paco, fait office de salle à manger commune. Elle est entretenue à la perfection et dotée d'une grande pièce meublée d'une série de tables alignées. Une première porte au fond s'ouvre sur la cuisine attenante équipée d'une gazinière et tout le nécessaire pour nourrir le campement tandis qu'une autre issue donne sur les sanitaires.

Chaque famille possède sa caravane, mais toutes partagent les repas en communauté. Les hommes et les enfants mangent les premiers, servis par ces dames. Ça ne me change pas beaucoup de chez Pierrot et Vanessa où je ne touchais pas aux tâches ménagères, les seules corvées auxquelles je participais étaient à l'extérieur. Dans la demeure des Botchecampo comme ici, la gent féminine s'applique à satisfaire le sexe fort. Les femmes entretiennent les caravanes des célibataires. C'est ainsi que Picouly s'occupe avec minutie des affaires de Paco autant que de celles de son mari.

En attendant le retour de ma sœur prévu pour cet après-midi, mon frère me présente aux membres du clan familial. J'ai beaucoup de mal à aller vers ces étrangers vêtus de manière négligée, qui me posent des questions surprenantes dans un français plus que douteux. Nous n'avons rien en commun, je me méfie. Je les trouve bien trop sûrs d'eux et parfois condescendants. Leurs sujets de conversation tournent autour de choses dont j'ignore tout, comme la pétanque, la chasse et même le sexe. Les hommes qui prétendent tous être mes cousins se font des blagues grossières en rigolant à gorge déployée et cela me met mal à l'aise. Leurs grosses voix résonnent et le bruit excessif à l'intérieur de la pièce me dérange. Cependant, Tito, de son côté, semble s'intégrer à merveille. Il parle naturellement aux uns et aux autres, rit de leurs vulgarités et accepte leurs cigarettes. Voyant mon frère me délaisser au profit des inconnus, je préfère me poser à l'extrémité de la grande table familiale pour observer.

Paco paraît un peu embarrassé par mon attitude et, bien que maladroit dans sa façon de m'approcher, il vient me rejoindre pour manger. Tout au long du repas, j'endure quelques moqueries d'adolescents en face de moi. Ils se tiennent très mal, les coudes écartés et la tête penchée en avant, sur leurs assiettes. Je peux affirmer que cette attitude n'aurait vraiment pas plu au haras. Ils ricanent en m'observant et même si je suis concentré sur ce que me dit Paco, j'entends quelques bribes de leur conversation à mon sujet.

— Le garçon, il parle bizarre, je trouve, dit l'un.

— Il s'est habillé terrible ! ajoute le second.

Dans un premier temps, je suis assez déstabilisé, une fois encore déçu par l'accueil que je reçois bien loin de celui que j'aurais imaginé. Finalement, je choisis de ne plus leur accorder d'attention, je me concentre sur le récit de ma dernière bagarre que je raconte à mon aîné en lui montrant mes points de suture, jusqu'à ce que Bastian m'apostrophe sur un ton agressif :

— Hey, mon cousin !

Je me retourne pour l'interroger d'un coup de menton. Je n'aime pas qu'il m'appelle son cousin, il ne représente rien pour moi, ni lui ni personne ici. D'ailleurs, je n'arrive pas à retenir les noms des gitans, tous plus originaux les uns que les autres, parfois aux consonances espagnoles ou américaines. Je suis assez surpris et touché de découvrir que Paco a beaucoup parlé de nous en notre absence et qu'il y a une sorte de culte autour de notre disparition, mais ce n'est pas réciproque. J'ignore tout de ces personnes qui paraissent si soudées.

— Comment ça se fait que tu causes pas, t'as perdu ta langue ?

Tout le monde éclate de rire. Je ne quitte pas ce gars des yeux et lui fais mon petit numéro d'intimidation, ce qui semble encore plus faire marrer les gens autour de nous. Je sens mes nerfs se tendre et la paupière de mon œil gauche se mettre à trembler. Pour essayer de me tranquilliser, je presse le manche nacré de mon couteau avec lequel j'ai mangé quelques minutes plus tôt.

SCAR - Pour le plus grand malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant