Chapitre 19 (suite 2)

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— Tu veux que je te ramène au haras ?

— Non, non ! À mon appart, à Bordeaux !

Sans hésiter un seul instant, je saisis le trousseau tandis qu'elle m'indique sa voiture. Je la déverrouille et nous montons dans son cabriolet blanc. Je suis tenté d'ouvrir le toit, mais le temps ne s'y prête pas. Cela m'aurait pourtant bien aidé à réaliser ce qu'il se passe, à calmer mon cœur qui bat la chamade et apaiser mon cerveau qui est en train de se faire des plans sur la comète...

— T'as le permis, au moins ? m'interroge Agnès, inquiète.

Je me tourne vers elle et la regarde d'un air dubitatif, vexé par sa remarque. Comme si tous les gitans étaient des voleurs de poules qui roulent sans permis. Sa réflexion est typique de son éducation et de toutes les calomnies qu'ont dû lui mettre dans le crâne ses parents. Pour la déstabiliser, je lui demande, très sérieux :

— Tu me fais pas confiance ? Tu veux voir mes papiers ?

Je suis prêt à lui sortir mon portefeuille pour le lui montrer. Cela m'embêterait un peu, car j'ai une tête de tueur en série sur la photo.

— Non, non je te crois !

Je tourne la clef et démarre la voiture en direction de Bordeaux. À peine ai-je fait quelques kilomètres qu'Agnès s'endort sur mon épaule. Son souffle caresse mon oreille et son parfum très reconnaissable, aux senteurs ambrées et fruitées, chatouille mes narines. J'affectionne cette situation hors du temps, sans jugement, dans la proximité de l'habitacle. Je règle le rétroviseur sur nous pour l'observer somnoler grâce au simple éclairage du tableau de bord. J'ai tellement de questions à lui poser, j'aimerais savoir ce qu'elle devient, ce qu'elle fait de ses journées, comment vont les chevaux et les chiens. Les parents m'ont fait trop souffrir, je ne lui en parlerais pas. Peut-être un peu de Tom, le gosse y est pour rien... J'ai envie de la serrer contre moi, de blottir ma tête dans la chaleur de son cou, d'oublier tout ce qui nous entoure, mais je ne bouge pas d'un pouce, de peur qu'elle reprenne ses esprits et s'éloigne de moi.

Lorsque j'approche de la rocade bordelaise, ne sachant pas où m'orienter, j'ose enfin la réveiller. Elle ne met pas longtemps à ouvrir un œil et à se redresser.

— Tu suis Bordeaux centre, c'est le plus facile ! m'indique-t-elle en comprenant que je cherche la route.

Nos échanges sont très succincts, nous nous concentrons sur l'essentiel : la direction. Je suppose que tout comme moi, elle ne réalise pas ce qui nous arrive et elle ne souhaite pas briser l'enchantement. J'effleure son genou gauche chaque fois que je change de vitesse, mais à aucun moment elle ne s'en plaint ou ne se décale.

— Tu peux te garer là ! lâche-t-elle brusquement. Je suis à cinquante mètres, on n'aura jamais une place plus près !

Après avoir pilé, je recule et fais un créneau magistral qui la laisse admirative. Puis, nous pénétrons dans le hall majestueux d'une résidence bourgeoise avant de monter dans son studio. Lorsqu'elle allume, j'aperçois un salon chaleureux avec quelques meubles anciens et un canapé moelleux recouvert de coussins qui n'appellent qu'à s'y blottir.

— T'es plus pensionnaire ?

— Je n'ai pas pu éviter l'internat jusqu'au bac, mais j'ai réussi à négocier mon indépendance pour la suite de mes études !

Je fais un tour rapide de tous les objets présents dans le minuscule appartement : des livres et des magazines sur les équidés, des petites figurines de chevaux, un grand poster de Darkness trônant au-dessus du sofa, quelques cadres de concours hippiques posés sur une commode. Je laisse échapper un sourire devant toutes les médailles entassées dans un large vase transparent.

SCAR - Pour le plus grand malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant