Tome 2 - Chapitre 21 (suite 2)

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Quand je suis invité à leur table, je demeure toujours sur mes gardes. La présence de Brian m'irrite au plus haut point, je l'observe, tel un rival. J'aimerais déceler ses failles et ses faiblesses, je ne peux m'empêcher de ressentir une certaine animosité envers lui. J'ai besoin de comprendre ce qu'il a de plus que moi, ce qui a séduit Agnès et l'a convaincu de l'épouser, mais surtout, pourquoi elle reste avec lui alors que je suis là, sous son toit, à attendre un seul geste de sa part pour l'enlever.

Ce soir-là, un peu vexé qu'Agnès m'ait repoussé quelques heures plus tôt, je bois plus qu'à l'accoutumer. À la fin du repas, dans le salon, Brian m'invite à partager un brandy, tout en m'interrogeant sur ma vie en France. Ivre, le voir tenir Agnès par la taille m'irrite autant que ses questions et sa curiosité que je prends pour du mépris. Je mime de ne pas entendre ce qu'il me dit et avale mon verre cul sec.

— Ne sois pas impoli, Scar ! intervient Agnès en français pour que personne ne comprenne.

La sentir défendre son mari me met dans tous mes états, je suis prêt à laisser éclater tout ce qui me ronge depuis mon arrivée. Je lui lance pour la défier :

— Ce n'est pas moi qui lui ai manqué de respect tout à l'heure !

Agnès écarquille les yeux puis s'écarte de Brian pour m'affronter.

— Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi, bon sang ? Il t'offre l'hospitalité et toi tu penses que...

— Oh, ça suffit ! Tu sais ce que je désire. On n'est plus des enfants, bordel !

Je serre les poings et me tourne vers Brian. Pris d'un excès de violence et sous l'effet de l'alcool, j'ai envie de lui sauter à la gorge. Je n'ai plus l'habitude de ne pas avoir ce que je veux. Je suis Scar, je ne me refuse rien.

Brian me défie et me demande de rentrer chez moi. C'est la goutte de trop. On ne me donne pas d'ordres, encore moins lui. Je repose dans un grand fracas mon verre sur la table et fonce vers le Texan bien décidé à lui asséner une leçon, mais Agnès me barre la route.

Face à face, nous nous affrontons quelques instants. Ses yeux me supplient et malgré toute la rage que j'ai besoin de déverser, je cède encore une fois et abandonne le combat.

Depuis cette soirée, j'évite Brian. Nous faisons en sorte l'un comme l'autre de ne plus nous croiser.

Avec Agnès, les choses sont au point mort. Fini les tête-à-tête et les promenades, elle a mis des barrières entre nous que je n'arrive plus à franchir, je sens bien que je perds du terrain. Cela fait maintenant six mois que je suis ici et j'ai l'impression que la situation n'évoluera plus dans mon sens. Je n'ai pas à me plaindre, je ne manque de rien, mais Agnès n'est pas à moi, je suis un simple spectateur de son mariage.

Je ne tiens plus, je ne me sens pas à ma place, loin des miens, de ma vie, de mon camp. Je veux redevenir Scar, celui qui commande, qui trouve les solutions, qui règlent les problèmes et apportent le bien-être.

Je m'échappe du ranch durant une journée pour passer quelques coups de téléphone afin de connaître la situation. Par le biais de cousins, je réussis à parler à Lucinda qui me rassure et me dis que tout roule, que Picouly et Yankee sont revenus, ainsi que Tito, que Paco viendra dès que sa femme aura accouché.

Entendre toutes ces nouvelles finit par me convaincre. Le soir même, je fais ma valise et j'annonce à tous durant le dîner que je rentre en France après avoir remercié tout le monde pour l'hospitalité offerte. Agnès, comme à ses habitudes, se garde de commenter. Lorsque je quitte la table, elle me suit jusqu'à la petite maisonnette dans laquelle je loge.

— Alors ça y est, tu repars ? me demande-t-elle en découvrant mon sac fait dans l'entrée.

— Je n'aurais pas dû venir !

— Mais Oscar, tu t'attendais à quoi depuis toutes ces années ?

Nous y sommes. Voici enfin la discussion que je désire et redoute depuis tant de temps.

— J'ai essayé de t'oublier Agnès ! J'ai fait tout ce que j'ai pu, mais c'est absolument impossible pour moi.

Elle tourne en rond autour de la table au centre de ma cuisine, les bras croisés sur sa poitrine. Ses yeux froncés hésitent entre pleurer et se fâcher contre moi.

— Nous étions jeunes ! Je...

Elle secoue la tête comme pour nier notre histoire et me brise le cœur.

— Je suis vraiment désolée, Oscar. Je suis mariée maintenant. Je ne peux pas t'offrir ce que tu me demandes. Nous sommes trop différents. J'ai fait le choix de la raison et crois-moi, tu seras toujours dans mon esprit. Quoiqu'il advienne, tu feras partie des plus belles années de ma vie. Je ne t'oublierai jamais.

Les mots d'Agnès résonnent en moi comme du bris de verre qui éclate sur le sol et se casse en mille morceaux. Je ne représente que des bribes de souvenirs...

SCAR - Pour le plus grand malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant