Chapitre 14 (suite)

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***

En entrant dans ma caravane ce matin, Picouly est énervée. Diabla profite de la porte entrebâillée pour filer dehors tandis que j'ouvre un œil sans pour autant bouger ; je sens que cela va chauffer pour moi...

— Scar, faut arrêter, maintenant ! Tu fais plus rien ! Ton chien a besoin de courir, prends ta moto et va faire un tour, pendant que je m'occupe de ton camping !

Pourquoi me lèverais-je ? À quoi des études me serviront-elles ? Je ne serai jamais un Botchecampo, alors je refuse de me casser la tête. Je n'ai pas envie de poser un pied à terre, de me secouer, de rencontrer qui que ce soit. La seule ici pour qui je me serais déplacé vient de mourir, emportant avec elle tous les indices relatifs au décès de mes parents. Je n'ai plus les moyens d'élucider ce mystère, je ne sais plus dans quelle direction chercher. Depuis sa disparition, à peine ai-je avancé d'un pas qu'aussitôt un événement interrompt ma lancée, m'obligeant à reculer.

Je désire oublier Nona et Agnès. Ayant perdu le goût du bonheur lorsque cette dernière s'est volatilisée, je me demande comment entrer en communication avec elle. Est-ce que je le souhaite vraiment ? Traumatisé par le rejet de mon père adoptif, je me dis qu'il a peut-être raison. Je ne sais pas qui je veux être ou devenir et doute sérieusement d'être digne d'Agnès, je ne la mérite pas. Tous mes espoirs ont été détruits, balayés en peu de temps. Je n'ai plus rien et me sens démuni. Je suis comme une marionnette dont on aurait coupé les fils. Ma vie a si vite volé en éclats, je dois soudain accepter de renoncer à tout. En arrêtant mes études, je perds toute perspective d'avenir. C'est un échec total, d'autant plus que je dois également abandonner le confort de ma petite vie bien organisée.

Paumé, je ne sais plus comment occuper mes journées. Comme dans un cauchemar, j'ai la sensation de nager contre un courant infini sans pouvoir atteindre la berge. Et pourtant épuisé, anéanti par les épreuves, je flotte encore, cherchant une alternative, un nouveau repère.

Alors que Picouly ouvre les stores et les fenêtres, je commence à émerger.

— Va te laver et donne-moi tes affaires. Sois pas un crasseux ! J'aurais honte d'avoir un frère comme ça.

Picouly ne me ménage pas, je vois bien qu'elle essaie de me secouer, mais je m'en moque, je la laisse dire. Si seulement elle pouvait m'accorder le temps nécessaire pour panser mes plaies et reprendre souffle pour combattre ce chagrin qui m'entame. Je n'ai plus la volonté de lutter pour vivre. Las et submergé par la mélancolie de ma vie au haras, je devine que tout s'éteint autour de moi, je ne perçois plus la lumière au fond du tunnel. Les battements de mon cœur ralentissent, il se meurt à petit feu.

Les pensées les plus noires tournoient dans ma tête comme un vol de charognards qui cherchent un cadavre. Je ne savais pas qu'aimer faisait tant souffrir, cette douleur inconnue me torture, me brise et m'assassine. Ma vie sans Agnès est un désert. Je n'arrive pas à quitter cet état léthargique chargé de tourment. Comment vais-je pouvoir m'évader de cette sensation ?

Je voudrais ne plus penser, entrer en hibernation, ne rien ressentir, être un bloc insensible, je hurle silencieusement, mon cœur est rempli de désespoir.

Dans tous les cas, ce n'est pas en m'obligeant à me lever que je me sentirai mieux. Je suis écorché, à terre, et me mettre debout ne sera qu'une illusion.

Tandis que Picouly prend soin d'accomplir à la perfection les tâches ménagères, sa cousine qui gardait son fils passe le lui ramener.

— Je vais aux commissions, lui indique-t-elle en aidant le petit à monter sur ma terrasse.

Picouly ne supporte pas de me voir traîner au lit et me lamenter en songeant au passé. Elle n'aime pas davantage me découvrir plongé dans mes lectures, alors pour m'obliger à réagir, elle fait entrer l'enfant dans ma caravane.

SCAR - Pour le plus grand malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant