Tome 2 - Chapitre 18 (suite)

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Comme à chaque transaction, je suis toujours impressionné par le requin. Tant d'hommes l'entourent, totalement dévoués à son service, son attitude mystérieuse et son visage demeure un point d'interrogation. Je n'ai jamais réussi à le voir, je ne connais que les différentes intonations de sa voix tantôt grave et autoritaire, tantôt roque et compréhensive. Je ne sais rien de lui, aucune information personnelle, même pas son département de résidence. Toutes nos discussions n'ont jamais tourné qu'autour de nos négociations de prix au sujet des voitures que je lui vends.

— Bonjour Scar ! me dit-il tandis que je m'installe derrière lui.

— Bonjour !

Je ne lui demande pas l'autorisation de baisser la vitre pour fumer ma cigarette. J'ai mes habitudes, comme celle de trouver sur le siège à côté de moi la mallette en cuir qui contient le paiement de sa dette.

J'allume ma clope et n'attends pas son approbation pour ouvrir la valisette. Les premières fois, mes gestes n'étaient pas aussi assurés, j'étais terriblement hésitant et nerveux, je ne savais pas ce que je pouvais ou pas me permettre de faire. J'avais peur du moindre faux pas, de paraître ridicule, pire de perdre toute crédibilité.

Désormais, tout a changé, je maîtrise chaque mouvement, chaque mot que j'emploie.

— Le paiement de la numéro 10, la prime pour le sans-faute ! Je ne retiens pas les dédommagements que j'ai dû verser pour réparer quelques erreurs. C'est offert par la maison !

La mallette renferme de nombreuses liasses de billets bien rangés. Je les caresse du bout des doigts. Je ne prends pas la peine de le remercier, cet argent me revient, je l'ai gagné, à la sueur de mon front, j'ai réfléchi et me suis creusé la tête pour initier chaque opération, je me suis investi personnellement et fais courir tous les risques inimaginables à mes proches, ma famille. C'est l'aboutissement de tous mes plans, le résultat de toute l'énergie mise au service de l'inconnu. Je ne recompte pas, je lui fais confiance, il ne m'a jamais trompé. Ma cigarette coincée à la commissure de mes lèvres, je songe à l'avenir, à ce que je vais bien pouvoir faire désormais. Je n'en ai aucune idée...

— Nous sommes quittes ! Ton contrat s'achève ici. Si j'ai besoin de toi, je te ferai signe. En attendant, je te conseille de te mettre au vert par là et de te faire oublier. Si tu as des ennuis, tu sais où me joindre.

Je sors un sac noir en tissu de ma poche et le remplis. Une fois terminé, je referme la valisette et balance ma clope par la fenêtre avant de la remonter. Puis je marmonne que c'était un plaisir de travailler pour lui.

— J'aime ta discrétion, Scar ! T'es pas un bavard et c'est une grande qualité !

— Au revoir !

Je tire sur la poignée de la voiture et pose un pied à terre. Sans me retourner, je claque la porte et récupère mes deux pistolets que me tend le garde du corps. J'en replace un dans ma ceinture et garde l'autre à la main, on ne sait jamais. Je ne comprends pas pourquoi, je trouve cette issue bien trop facile à mon goût, presque irréel. Je balaie du regard chaque homme du requin, mais aucun ne bouge. Sans traîner ni me retourner, je rejoins mes complices qui patientent au pied de nos deux voitures.

— Tout va bien ! On dégage !

Je ne veux pas perdre une seconde de plus ici. J'ouvre ma portière et balance le sac dedans avant d'embarquer rapidement.

Aussitôt, les deux bagnoles démarrent et foncent à notre lieu de rendez-vous où deux cousins nous attendent pour nous récupérer.

Une fois débarrassés des voitures qui nous ont servi au transfert, nous rentrons tous au camp. Je procéderai au partage du fric demain matin, après avoir tout recompté et calculé la part de chaque intervenant.

En attendant, je la garde avec moi, dans ma caravane fermée à double tour. Cette nuit-là, je dors tout habillé, mon fusil et mon pistolet contre moi, mes chiens devant ma porte.

Je me sens vide. Je ne sais pas ce que je vais faire de tout ce fric. Je n'ai pas de projet. Je me demande si je ne devrais pas contacter le requin pour resigner rapidement une nouvelle affaire. Je vais devenir fou si je n'ai pas d'autre plan à monter. Cependant, j'imagine qu'il ne m'acceptera pas immédiatement. Il veut toujours laisser un peu de temps, attendre que les choses se calment, étudier les dangers avant d'en courir d'autres.

Les quelques heures qui restent avant le lever du jour me paraissent être une éternité. Je suis assailli d'angoisses, pourtant, je sais que je ne risque rien au milieu des miens, je n'arrive quasiment pas à trouver le sommeil.

Lorsque les premiers rayons de soleil percent enfin, je lâche mes chiens dans le champ et mon sac en bandoulière, mes pistolets sur moi, je me dirige vers le chalet.

J'allume la cafetière et installe les liasses sur un coin de la table, puis je sors mon petit carnet de ma poche pour détailler les tâches de chacun de mes cousins et de mes complices. Je ne veux léser personne. Chacun à droit à sa part du gâteau. Bien entendu, le plus gros pourcentage revient à l'équipe de tête : Paco, Tito, Yankee, Karlo, Stazek et moi, mais même le plus jeune et le moins expérimenté recevra une récompense. Nous faisons avant tout un travail de groupe.

Tandis que je dispose par tas les recettes de chacun, mes deux frères entrent les premiers, suivis de Yankee.

Quelques minutes plus tard, c'est au tour de Karlo d'arriver. Le visage pâle et totalement essoufflé, je comprends qu'il se trame quelque chose.

— Salut, les gars, il y a un problème ! Je suis passé chez Stazek pour qu'on vienne ensemble ! Son appartement est vide... Non seulement il n'y était pas, mais en plus la porte était grande ouverte, avec un remue-ménage épouvantable à l'intérieur ! Évidemment, je n'ai touché à rien, mais ça ne sent pas bon...

J'ai besoin de réfléchir à ce qu'il se trame. Ce qui est sûr, c'est que ce n'est pas une nouvelle satisfaisante. Je regarde l'argent devant moi et m'allume une cigarette.

— Si les flics l'avaient embarqué, nous serions certainement à cette heure-ci derrière les verrous avec lui... lance Paco.

J'acquiesce et approuve son raisonnement.

— Il s'est enfui, alors ? interroge Tito en retirant sa casquette.

Comme chacun, il réfléchit à la situation surprenante. Je ferme mon carnet et secoue la tête avant de dire qu'il n'est pas parti sans son fric, que c'est absurde.

— Je ne vois qu'une possibilité : le requin ! me répond Karlo.

— Mais pour quelle raison, bon sang ? questionne Tito.

Debout, il fait les cent pas autour de la table tandis que nous sommes totalement statufiés.

Je songe à ce que n'a cessé de me répéter Picouly et cela devient une évidence.

— Je pense que Stazek nous a trahis !

SCAR - Pour le plus grand malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant