***
La caravane que j'avais achetée à Belinda est restée vide après son départ. Contrairement à ce que pense Picouly, cela ne me fait rien d'imaginer la belle blonde avec Karlo. Je suis content pour elle, je ne me suis jamais caché de l'apprécier, même si pour moi, elle a perdu tout son charme le jour où elle m'a annoncé être enceinte. Mon ami est un chic type, elle sera heureuse avec lui. Quant au gosse qui soi-disant me ressemble de plus en plus, Karlo fera certainement bien mieux que ce que j'aurais pu faire pour lui. La situation m'est plutôt profitable, je me retrouve à nouveau seul avec mes deux chiens obéissants, au milieu de mon grand terrain paisible. Même si le reste de ma famille n'est pas bien loin, je suis ravi du calme enfin revenu. Plus de pleurs qui couvrent le chant des oiseaux, plus d'yeux derrière le rideau pour observer mes allers-venues et plus de conversation à tenir quand je n'en ai pas envie !
Malheureusement, cette sérénité est de courte durée. Quelques semaines après le départ de Belinda tandis que je me trouve dans mon champ à profiter d'un rayon de soleil avant la reprise prochaine des affaires, je me rends compte qu'une silhouette m'attend sur la terrasse de ma caravane.
Je distingue rapidement aux courbes du corps qu'il s'agit d'une femme et petit à petit en m'approchant sans me hâter, j'identifie Lucinda. Un landau est resté en bas des marches, j'en déduis que son marmot est né. En effet, en y regardant de plus près, je vois que Lucinda n'a plus aucune trace de grossesse sur elle, son ventre est redevenu archiplat. Dans sa robe moulante aux couleurs éclatantes, je découvre une jeune mère tendue qui se mord la joue et tapote ses doigts sur le dossier de mon fauteuil de jardin.
— Salut ! dit-elle quand je pose le pied sur l'escalier.
Sans prêter attention au landau à côté duquel je viens de passer, je jette une dernière fois la balle au fond du terrain pour jouer avec mes chiens.
— Salut !
Je m'assois sur un tabouret et m'allume une cigarette. Je me doute qu'elle est là pour me faire payer ma dette et me quémander une pension pour son petit. Je n'ai pas encore réfléchi à la question et je m'interroge sur la bonne attitude à adopter. La renvoyer sans rien et sur le champ à son père ? Lui donner une somme juste pour qu'elle débarrasse le plancher ? Avant de me décider, je choisis d'écouter ce qu'elle a à me dire.
— Je suis venu te présenter ton fils...
Je lève un sourcil et jette un œil vers le landau pendant qu'elle descend les marches et saisit le marmot dans ses bras. Son visage s'illumine quand elle le regarde.
— Il est beau, pas vrai ? me demande-t-elle soudain en l'indiquant.
Comme l'autre mioche de Belinda, je ne ressens rien en le voyant. Je le détaille quelques instants, ses billes bleues me fixent pendant qu'il bave sur les doigts de sa mère. Lucinda attend une réaction de ma part qui ne vient pas. Je remarque sur le front du bébé la même tâche de naissance que moi et pourtant malgré cela, je reste totalement indifférent.
— Dis quelque chose, au moins ! Je sais pas, ça te fait rien de le voir ?
Non, je ne suis pas assailli par un débordement d'amour pour celui que j'ai engendré. Peut-être ne suis-je tout simplement pas fait pour être père, dans tous les cas, j'en déduis que l'affection paternelle n'est pas innée. Je soupire et écrase ma cigarette sans quitter Lucinda des yeux.
— C'est ton fils, bon sang ! Il a ta tâche de naissance ! Nona disait que c'était la reconnaissance des chefs ! Ça faisait râler mon père et mon frère qui n'en avait pas !
— Nona disait beaucoup de conneries...
Je préfère clore immédiatement la conversation. Si elle est revenue avec l'idée de me séduire avec son gosse, elle va vite redescendre. Je ne veux pas d'eux ni de quiconque d'ailleurs. J'ai d'autres préoccupations avec le requin qui souhaite relancer notre business.
— Écoute Scar, j'aimerai juste te demander une faveur !
Tandis que je quitte la terrasse pour jouer avec mes chiens, Lucinda me suit et dépose son bébé dans son landau.
— Scar, s'il te plaît ! Laisse-moi revenir au terrain ! J'ai grandi ici, mes amies sont ici, ma famille est ici...
— Et ton père et ton frère ?
— Ils m'ont répudié ! Je ne les ai pas vus depuis des mois. J'étais chez nos cousins à Marseille.
— Retournes-y !
— Mais ma vie est ici...
Elle s'accroche à mon bras alors que je continue d'avancer dans le champ, je n'ai aucune envie de lui céder.
— Scar, tu avais accepté Belinda, pourquoi pas moi ?
— Tu me fatigues Lucinda ! Tu sais pourquoi ! Parce que tu es sa fille, et ça, c'est une raison suffisante pour que je te haïsse !
— Je ne t'ai jamais fait de mal, pourtant ! Quand j'étais petite, je t'ai même protégé ! Je n'ai jamais répété à qui que ce soit tout ce que je connais au sujet de tes affaires, et surtout pas à mon père ou à mon frère !
Je me souviens d'elle qui rôdait sans cesse autour de ma caravane, cherchant à entendre mes conversations. C'est vrai qu'elle ne m'a jamais dénoncé.
Je ne sais plus où j'ai lu qu'il valait mieux avoir son ennemi sous ses yeux. Peut-être que si elle était sur le terrain, je pourrais l'avoir à l'œil.
— Scar ?
— Quoi ?
— Laisse-moi revenir ! Je te jure sur la tête de mon petit que je n'ai plus rien à voir avec mon père et mon frère !
Je réfléchis à nouveau quelques instants. Je songe à Picouly qui est fâchée contre moi depuis cette histoire, c'est un moyen de me réconcilier avec elle. Et puis il y a la caravane de Belinda qui est vide, Lucinda peut peut-être l'occuper...
— Alors que les choses soient bien claires, je ne veux pas que tu t'imagines quoique ce soit sur nous. Tu n'es rien pour moi ! dis-je en la repoussant.
Dans le silence, nous nous dévisageons, puis elle acquiesce sans rechigner.
— Tu vas prendre le camping, dis-je en indiquant l'habitacle fermé. Je vais l'installer au terrain.
Pas question qu'elle reste trop près de moi, je ne referai pas deux fois la même erreur, je tiens à ma solitude !
— Si jamais tu me trahis, je te jure que je tuerai ton gosse de mes propres mains !
— C'est promis, Scar !
VOUS LISEZ
SCAR - Pour le plus grand mal
Ficción GeneralRetiré à ses parents et placé dans une famille d'accueil durant l'enfance, Oscar a mis de côté les coutumes de ses aïeuls gitans. Son éducation bourgeoise et sa soif de culture vont rendre le retour dans son camp d'autant plus difficile. Séparé d'Ag...