Quelques jours plus tard, mes frères et ma sœur, qui ne cessent de m'interroger sur ce que nous a légué Loupapé, m'accompagnent chez le notaire. Je suis incapable de leur répondre, puisque moi-même je n'en ai aucune idée. J'ai simplement compris, lors de mon entretien avec la secrétaire, que l'enjeu de ce rendez-vous et notre présence sont importants.
Je jette ma cigarette et pousse la lourde porte en bois massif de l'étude avant d'entrer le premier. L'employée au standard se recoiffe en me reconnaissant et, un sourire en coin, se précipite pour nous indiquer le grand bureau où nous sommes attendus.
Laissant mes aînés s'avancer, je pénètre dans la pièce le dernier. Un tableau représentant une chasse à courre est accroché au mur derrière le notaire, qui trône sur son fauteuil style Empire. Plutôt binoclard et grassouillet, il nous salue promptement puis essuie son front dégoulinant avant de se concentrer à nouveau sur les papiers qu'il tient dans ses mains. Le bureau sent le renfermé et j'étouffe d'autant plus lorsque je reconnais Pierrot, déjà installé sur l'une des chaises, en partie caché par les silhouettes imposantes de Paco et Tito. Les années ont passé et se lisent sur son allure, il a vieilli. Bien que sa stature demeure impressionnante, il est dorénavant voûté.
Le notaire nous invite à nous asseoir, ce que je refuse illico, préférant rester debout afin de toiser mon oncle et savourer ma présence ici. Je découvre alors son visage, toujours aussi halé par le soleil mais désormais, strié de fines rides qu'il n'avait pas avant. Tandis que tout le monde prend place, je m'accoude sur une belle commode vernie. Pierrot me fixe quelques minutes sans que je ne le quitte des yeux. Il finit par détourner le regard quand le clerc énumère nos noms et nous demande nos pièces d'identité qu'il vérifie sans grande attention.
— Monsieur Édouard Botchecampo n'a pas pris de dispositions avant sa mort ni laissé de testament, explique le notaire.
Puis il marque une pause pour retirer ses lunettes et s'adresse à moi afin de m'éclairer avec précision sur les raisons de notre convocation :
– Votre mère étant héritière au même titre que Pierre Botchecampo ici présent, la quote-part de son patrimoine vous reviendra de droit et sera divisée en quatre parts égales.
En retardant la vengeance contre Pierrot, j'étais loin de m'imaginer une opportunité aussi favorable. Et si celle-ci m'était offerte aujourd'hui par Loupapé ?
Les mains tremblantes, l'homme remet ses lunettes pour procéder à l'énumération des biens immobiliers :
– Un appartement dans le centre de Bordeaux, un lot de trois échoppes dans lesquelles sont actuellement logés les ouvriers de la propriété si je ne me trompe pas, soixante hectares de prairies et de forêts, trois voitures, deux tracteurs, divers matériels agricoles et pour finir : le haras. Nous établirons une liste précise des étalons ainsi que leur valeur. Un expert travaille sur le sujet avec monsieur Botchecampo.
Parmi tous les éléments cités, seul le haras retient mon attention. Le domaine équestre et sa magnifique demeure qui a abrité les jours heureux de mon enfance et mon adolescence auprès d'Agnès, mais aussi les écuries, les chevaux, le bois, les champs et tout le matériel dont Pierrot ne peut pas se passer. Je l'observe, raide sur sa chaise, il déglutit à grand-peine lorsque le notaire précise que l'exploitation est dans la famille de Loupapé depuis plusieurs générations.
Découvrir le pot aux roses me remplit de satisfaction. Tandis qu'il se comportait en maître des lieux pendant des années, le haras ne lui appartenait pas plus qu'à moi. Le grand-père en était l'unique propriétaire, comme son père avant lui. Pierrot n'était que le salarié de l'exploitation dont il tirait de nombreux avantages.
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SCAR - Pour le plus grand mal
General FictionRetiré à ses parents et placé dans une famille d'accueil durant l'enfance, Oscar a mis de côté les coutumes de ses aïeuls gitans. Son éducation bourgeoise et sa soif de culture vont rendre le retour dans son camp d'autant plus difficile. Séparé d'Ag...