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Maintenant que tout mon clan est d'accord pour passer à l'action, je ne veux plus attendre. Tant pis si je ne suis pas totalement remis, si mon ventre est parfois encore douloureux, si mes côtes me tiraillent lorsque je suis assis au volant de ma voiture et si mes coquards sont toujours perceptibles. Je ne dors plus, je vis dans la peur, une boule dans la gorge en songeant qu'Agnès pourrait par dépit se consoler dans les bras d'Hubert. C'est certainement absurde, mais cette image me hante. Je n'ai pas de nouvelles depuis que j'ai quitté le haras et je ne veux pas entrer en contact avec elle. Seulement, son ombre plane autour de mon cœur, tel un filtre qui m'empêchera à jamais d'aimer. Je suis inquiet et convaincu qu'en maîtrisant Hubert, je stopperai cet engrenage.
La décision est prise et nous ne mettons pas longtemps à l'exécuter. Paco charge dans le coffre de sa voiture ses fusils de chasse tandis que Tito remplit d'un geste assuré les poches de sa veste de cartouches.
De son côté, Yankee réconforte Picouly, particulièrement anxieuse de nous voir partir en raid. Il la serre dans ses bras et lui demande de ne pas s'en faire.
— Me dis pas de pas m'inquiéter ! Je sens que ça va pas se passer comme vous le voulez !
Je ne sais pas très bien ce qu'elle a ces derniers temps, elle a vraiment pris du poids, déclare des choses parfois incohérentes et est d'humeur changeante.
Karlo, une mèche de cheveux bruns retombant sur son front, examine de ses yeux noirs son pistolet, tandis que Stazek reste songeur, fumant une cigarette appuyé contre le capot de ma bagnole rouge.
— Je ne suis pas sûr que ce soit la bonne décision ! me lance-t-il en ouvrant la portière de la voiture pour s'installer au volant.
Je m'assois sur le siège passager à côté de lui en me tenant le ventre pour réduire la douleur alors que Karlo monte à l'arrière. Je jette un coup d'œil vers la terrasse de ma caravane pour vérifier qu'elle est bien fermée. Je n'ai pas envie que les gosses du camp viennent jouer par ici, je n'aimerais pas qu'il touche à mes fusils ni au paquet de fric que je cache un peu partout.
— Moi, je trouve que Scar a raison... lâche Karlo en posant amicalement sa main sur mon épaule.
— Je ne sais pas si j'ai raison, mais je n'ai surtout rien d'autre à proposer. Maintenant, si toi, tu as une meilleure solution pour récupérer les marchés que l'on a perdu, je veux bien l'entendre.
Je pivote vers Stazek et le regarde avec sincérité. Il hésite un instant à dire quelque chose, puis se ravise avant de tourner la clef dans le contact, allumer le poste et faire un dérapage en démarrant.
— Ouh ! C'est parti, hurle Karlo tout excité.
Derrière nous, la voiture de Paco nous suit de près, les phares reflètent dans mon rétroviseur que j'ai réglé pour surveiller ce qu'il se passe autour de nous. Nous prenons la direction du Cap-Ferret où Hubert en bon bordelais détient une villa. Connaissant ses habitudes par cœur, nous avons grand espoir de le trouver là-bas, comme tous les week-ends.
L'impasse qu'il habite est déserte. En hiver, peu de gens se déplacent sur le Bassin d'Arcachon, préférant rester en ville.
Stazek coupe ses phares et la bagnole qui nous suit fait de même avant de s'engouffrer dans la voie sans issue pour longer le mur immaculé de la propriété fortunée. Sitôt arrêté, Tito descend et grimpe par-dessus l'immense portail en fer forgé. Il arrache la caméra de surveillance qu'il jette à terre et ouvre de l'intérieur. Les deux voitures s'engagent dans le jardin et se garent prêtes à partir en cas de soucis. Ensuite tout s'enchaîne très vite.
Yankee sort du véhicule, saisit son fusil qu'il arme et se poste au portail pour faire le guet. Mes deux frères font le tour de la bâtisse, chacun d'un côté, tandis que je gravis sans faire de bruit l'escalier de la terrasse qui donne sur le Bassin dont la marée est basse. La vue est absolument magnifique de nuit, j'ose rêver quelques instants à ce que cela promet avec un lever de soleil.
La lumière filtre à travers la grande baie vitrée sans rideaux. Suivi de Stazek et Karlo, je me penche à peine pour regarder à l'intérieur. Mes yeux sont d'abord attirés par la cheminée où une bûche flambe. À côté, un coffre rempli de bois est ouvert et une hachette repose sur le tas.
Un salon aménagé avec des meubles chinés chez des antiquaires donne sur la terrasse où nous nous trouvons. La pièce est ornée d'objets luxueux anciens. Sur la table basse, un cigare fume dans le cendrier à côté d'un verre de whisky, tandis qu'Hubert, une chemisette blanche mal boutonnée, est assis sur son canapé, à regarder la télévision que j'entends depuis l'extérieur.
Je pose ma main sur la porte-fenêtre pour vérifier qu'elle n'est pas verrouillée. Je fais signe à mes deux amis que la voie est libre et j'ouvre avec brutalité pour surprendre Hubert qui n'a pas le temps de réagir et de saisir une arme pour se défendre. Stazek et Karlo pointent déjà leur pistolet sur sa tempe. Mes deux frères arrivent aussi et entrent sans parler pour examiner l'intérieur de la maison alors que je m'assois tranquillement dans un fauteuil face à mon ennemi.
— Je suis tout seul, annonce-t-il sans se démonter.
— Tu permets qu'on vérifie ? le questionné-je en m'allumant une cigarette.
À peine quelques minutes plus tard, Tito et Paco me fond signe que la voie est libre. Tito arrache la ligne du téléphone et envoie le combiné marron volé à l'autre bout du salon pendant que Paco lit paisiblement l'étiquette du spiritueux.
— Du Scotch ? demande-t-il confirmation à Hubert avant de le goûter directement au goulot.
Hubert grimace, mais ne commente pas, attendant patiemment de découvrir ce que nous lui voulons.
Mes deux amis rangent leurs armes et s'assoient autour du gros lard qui ne bronche toujours pas alors que mes frères touchent tous les bibelots de valeur en s'enfilant la bouteille à tour de rôle.
Sur un air détendu, je lance :
— Tu as rompu notre contrat, Hubert !
— C'est toi qui as tout détruit, je savais qu'on ne pourrait pas traiter avec des gitans, vous n'êtes pas fiables.
Tito, la mine contrariée, se tourne vers Hubert et lui décoche une grande claque qui le fait flancher. Hubert mime de rire malgré la douleur.
— Hubert, mon ami Hubert, dis-je avec amertume. Toi et moi on se connaît depuis des années. On ne va pas se mentir, on n'a jamais pu se sentir ! Alors, on va régler nos différents ce soir, une bonne fois pour toutes !
— J'ai réglé ce que j'avais à régler avec toi, l'autre nuit !
Il fait référence à Diabla, mais je ne baisse pas les yeux pour autant, me gardant d'émettre la moindre tristesse. Tito, de plus en plus énervé, remet une claque encore plus forte cette fois-ci et commente :
— Mauvaise réponse !
Je me lève pour saisir la machette de bois et la plante avec fracas dans la table du salon.
— Hubert, mon ami, nous ne sommes pas là pour jouer !
Je veux qu'il paie le prix maximum pour m'avoir enlevé Diabla à jamais.
————————————Désolé, j'ai oublié de publier vendredi 😅
Mais la suite arrive... soyez au rdv !
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SCAR - Pour le plus grand mal
General FictionRetiré à ses parents et placé dans une famille d'accueil durant l'enfance, Oscar a mis de côté les coutumes de ses aïeuls gitans. Son éducation bourgeoise et sa soif de culture vont rendre le retour dans son camp d'autant plus difficile. Séparé d'Ag...