Le dîner est un petit peu tendu au départ, car chacun est sur la défensive. Pierrot et Vanessa ne parlent pas beaucoup et m'observent du coin de l'œil alors que j'écoute avec beaucoup de patience les dernières aventures de Tom. Même si la curiosité de savoir comment s'est terminée l'année d'Agnès au collège me ronge, je me garde d'aborder ce sujet épineux. Cependant, très vite la joie de se retrouver prend le dessus, et cela malgré la place vide de Tito à table. Je prends plaisir à me sentir de nouveau chez moi et je remarque que les débats argumentés et animés m'ont manqué. Ici, aucune crainte de passer pour un intellectuel ou être considéré comme un étranger érudit !
À l'issue du repas, alors que je m'avance vers la cuisine pour remercier Vanessa, je la surprends en pleine messe basse avec Pierrot, à mon sujet. L'eau qui coule dans l'évier m'empêche d'entendre leurs chuchotements et je n'ose pas m'approcher davantage quand je comprends qu'elle lui demande de me parler.
Je choisis d'attendre dans le salon, un peu préoccupé par ce que me réservent les adultes, tandis qu'Agnès, inquiète à l'idée de m'imaginer sur le bord de la route alors que la nuit est tombée, insiste pour que son père me raccompagne. Pierrot finit par sortir de la cuisine et nous interrompt en me proposant :
— Oscar, on pourrait profiter du trajet de retour pour avoir une conversation d'homme à homme ?
Je ne sais vraiment pas ce qu'il projette et tout le courage que j'ai tenté de me donner le long du repas disparaît lorsque je m'installe à l'avant du monospace. J'avoue tout de même être soulagé de ne pas avoir à marcher les quinze kilomètres. Pousser ma moto toute la matinée, puis travailler dessus m'a tout à fait épuisé et même si les chemins de campagne sont plutôt plats, ils sont très mal éclairés. Je dois également admettre que, malgré le quartier de lune qui brille dans le ciel étoilé, je n'aurais pas été des plus rassurés.
Pierrot reste un moment silencieux, jetant vers moi des coups d'œil interrogateurs. Il attend que je m'exprime le premier, mais la nervosité m'en rend incapable. Je me ronge les ongles en fixant l'extérieur, ruminant une phrase qui pourrait amorcer le sujet de mon retour, quand enfin Pierrot ouvre le débat, en allant droit au but :
— J'aimerais te proposer de revenir au haras. Tu sais avec Vanessa, on a longuement parlé. On est tous les deux d'accord et on est même prêts à tirer un trait sur l'esclandre du collège.
En entendant la suggestion de Pierrot, je suis soulagé. Elle répond à mes inquiétudes de ces derniers jours, à ce que je n'osais pas demander. Cependant, il va désormais falloir aborder ce sujet avec mes frères et sœur. Leur déception va être immense... Je m'enfonce dans mon siège et regarde à nouveau par la fenêtre les ombres des arbres qui défilent. J'attendais vraiment cette discussion et pourtant je suis incapable de réagir. Pierrot m'a toujours intimidé et me livrer n'a jamais été mon fort. Je ne sais pas quoi dire.
À côté de moi, mon chauffeur tapote sur le volant à cause du silence, il souhaite à coup sûr saisir l'opportunité du trajet pour échanger.
— Si cela t'inquiète, sache que du côté d'Hubert tout est oublié ! Il ne portera pas plainte...
Pierrot est complètement à côté de la plaque, je m'aperçois que l'on ne se comprend pas. Je hausse les épaules en pensant que ce n'est pas moi que cela angoissait, mais plutôt Vanessa et lui. J'ai quinze ans, on ne m'aurait pas mis en prison pour un nez cassé. Ce qui en revanche m'interpelle, c'est la façon dont Pierrot a pu arranger cette histoire. Je préfère ne pas poser de questions et attendre avec patience que le trajet se termine. Nous pouvons parler de ça plus tard, je décide de prendre le temps d'y réfléchir vraiment.
— Je peux encore faire demi-tour si tu veux...
Coincé à la frontière entre ces deux mondes, je ne suis pas certain d'avoir fait le meilleur choix en quittant les Botchecampo. Le retour précipité sur le terrain ravive la blessure que j'avais réussi à enfouir, je marche désormais chaque jour dans les pas de mes parents. Tout me rappelle leur existence et les souvenirs du passé ressurgissent un peu plus à chaque instant. J'imaginais en apprendre davantage sur mes origines et au final, je n'ai strictement rien découvert. J'ai besoin de réponses concernant mes parents. Je pense avant tout à ma mère, elle qui se levait la nuit lorsque je faisais des cauchemars et dont j'ai tendance à oublier le visage et la voix. En retrouvant l'affection de Picouly, je vis des instants de bonheur, mais je ressens au plus haut point l'absence d'oman, elle me manque. Cette blessure refait surface, elle est encore bien douloureuse.
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SCAR - Pour le plus grand mal
General FictionRetiré à ses parents et placé dans une famille d'accueil durant l'enfance, Oscar a mis de côté les coutumes de ses aïeuls gitans. Son éducation bourgeoise et sa soif de culture vont rendre le retour dans son camp d'autant plus difficile. Séparé d'Ag...