C'est en me remémorant tout cela que, les yeux dans le vide, je m'aperçus qu'il était plus que temps que je me hâte. L'heure passait et les transports parisiens ne me laisseraient aucun répit en cas de retard. Même si le boss n'était pas bien pointilleux sur les heures d'embauche, je tenais beaucoup à ma ponctualité. Je pouvais enfin souffler un peu. Six semaines déjà et mon contrat était maintenant garanti. J'avais eu de la chance. Le boss était entré dans la salle principale du café après les hurlements de Max. Il n'avait qu'observé ce qu'il se passait. Un Max souriant et sûr de lui et moi, en mode "désolé la terre entière ce n'est pas ma faute". Il n'avait rien prononcé si ce n'est qu'un accord simple.
- D'accord mais c'est toi qui le prends en charge, vous ferez les mêmes services pendant son mois d'essai. Je prépare le contrat et toi, petit, tu embauches demain à six heures.
Rien de plus. Alors, maintenant, ma routine était devenue immuable. Je devais rejoindre Max au café à six heures. Moi qui n'avais jamais vraiment fait de sport, j'avais appris qu'il fallait tout mettre en place en terrasse tous les matins. Croyez-moi, les chaises sont peut-être lourdes mais les tables le sont encore plus. Quel est l'abruti qui avait prévu des tables dont l'unique pied était lesté. Laissant divaguer mon esprit, je m'étais risqué en dehors de ma chambre et avait entrepris de quitter le bâtiment le plus vite possible en prenant dans mon sac toutes mes possessions les plus précieuses. Hors de question que je laisse dans ce trou à rats mes quelques rares richesses. Je n'en voulais pas spécialement à mes camarades d'infortune d'essayer de se débrouiller, mais moi aussi j'avais acquis des attitudes qui tenaient plus de la survie que de la vie en elle-même. C'est étrange comme on s'adapte vite dans ces moments-là.
Ce mode de vie qui m'était encore inconnu il y a deux mois me stressait vraiment. Deux mois à compter chaque euro. Deux mois à ne pas dormir et ces dernières semaines à travailler physiquement comme jamais je ne l'avais fait de ma vie. En plus, j'économisais pour pouvoir chercher un petit logement à moi et en dehors de ce que je ressentais comme un enfer sur terre. L'insécurité à tous les niveaux me rongeait me coupant l'appétit par la même occasion. De cela je ne me plaignais pas trop. Cela faisait des économies supplémentaires. Pas de repas le soir et pas de petit déjeuner ou de goûter. À bien y regarder, je ne faisais effectivement qu'un seul repas dans la journée, celui prévu au déjeuner par le boss. Et encore, je perdais l'appétit alors il me suffisait de peu.
Toujours enfoncé dans mes pensées, ma routine se mettait en place, j'avais rejoint le quai du train qui me permettrait de me rendre à Paris et ensuite je m'enfilerai dans les couloirs du métro encore plus ou moins libre avant les heures de pointe. Je pensais au boss, je ne le voyais quasi jamais mais comme par magie ma première feuille de paie était arrivée entre mes mains. J'avoue que le soulagement de voir mon compte se renflouer un peu m'avait propulsé dans une bulle de bien-être pendant au moins un petit quart d'heure jusqu'à ce que la perspective de rentrer dans ce foyer me revienne en plein visage. Il fallait que je tienne encore un peu. J'avais démarché très rapidement les agences immobilières dès ma première paie, mais une fin de non-recevoir avait été leur unique réponse. Il me fallait trois fiches de paie au minimum. Légal ou pas, les agences s'en moquaient. Les appartements seraient loués quoiqu'il se passe. Encore un point où la force s'imposait. Cependant, je pouvais régler ma petite chambre sans m'inquiéter et c'était un réel soulagement. Le reste, je l'économisais pour payer les frais ultérieurs. Comme vous le voyez, je ruminais déjà beaucoup mes pensées à l'époque, j'ai toujours été comme ça, mais j'atteignais des sommets.
Et Max me direz-vous ? Et bien, j'avais appris à le connaître et à vrai dire je l'aimais beaucoup. Vraiment beaucoup. Mais pas dans le sens où vous le pensez. Je l'aimais pour ce qu'il était c'est-à-dire un homme charmant et flamboyant, appréciant la vie, riant de tout et de rien et en plus d'une élégance folle. Il n'avait rien fait paraître au sujet de mes yeux vairons ce qui ne fut pas le cas de mes premiers clients qui restaient un peu interloqués par ce petit détail. Quelque peu mis en difficulté, Max s'était contenté un jour de passer près des habitués en leur lâchant qu'il avait fait une super affaire avec moi : ils avaient eu le serveur, la mascotte et le husky d'amour. Les clients avaient ri. Max avait gardé le surnom. De Samuel pour mes parents j'étais devenu Sam puis Husky. Je n'avais rien choisi, mais je n'avais rien dit non plus. Finalement, je commençais ma nouvelle vie alors j'avais un nouveau nom. Bizarrement, assumer cette différence physique au travers de mon nouveau nom m'avait soulagé. Ce qui m'avait toujours fait un peu honte ne me gênait plus tant que cela.
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Pour vivre
Ficción GeneralC'est lorsque tout va mal que le choix se présente violemment à soi. Choisir une mort de l'âme qui envahit déjà tout ou bien choisir la vie et ses explosions chaotiques. C'est le choix de Sam. Partir. Tout quitter pour recommencer. Pour apprendre à...