IX - Les épiphanies, c'est nul.

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Papy et moi avions pris le chemin du café. Papy racontait le passé du quartier, comment le marais était devenu le marais, comment avant tout était plus centré sur le quartier Saint-Anne. Il racontait la vie passée, il racontait aussi l'épidémie de SIDA qui avait emmené avec elle beaucoup de ses amis. Je vis son visage s'assombrir à ces pensées. Ça ne devait pas être drôle cette période. Il racontait aussi à quel point il était fier de voir de jeunes hommes et de jeunes femmes se tenir la main et s'embrasser en public, sans peur ou presque. Oh bien sûr, il y avait encore beaucoup à accomplir mais c'était tellement mieux qu'il y a quarante ou cinquante ans, quand il était jeune.

J'avais suivi, plus jeune, les manifestations contre le mariage dit gay. J'avais été effaré de voir à quel point la société pouvait haïr. J'essayais d'imaginer ce que la vie de Papy avait pu être à mon âge. Comment il avait dû se sentir. Comment il avait fait pour trouver sa place dans le monde. Il n'y avait même pas internet et les smartphones. Comment pouvait-on vivre sans ces deux choses vitales dans la vie de chacun aujourd'hui. Je réfléchissais perdu dans mes pensées lorsque Papy s'arrêta abruptement. Il se tourna vers moi et me regarda de pied en cape et je vis son regard malicieux étinceler de nouveau. Ça sentait les ennuis. Ça sentait même les gros ennuis. J'avais peu d'expérience mais j'avais commencé à apprendre et si j'avais une qualité, c'est que j'apprenais vite.

Papy continua d'échanger ses souvenirs, racontant quasiment une histoire par boutique de la rue ou par porte d'immeuble. Il me regardait parfois, juste pour voir si je suivais. Pour ma part, je le trouvais de plus en plus fascinant. Il y aurait donc une histoire du monde gay. Comment avais-je pu croire que ce problème n'était que le mien ? Eh oui, des tas d'autres hommes et femmes étaient passés par ce chemin avant moi. Comment l'avaient-ils géré ? Apparemment, à base de fêtes comprenant alcool et substances ... récréatives dirons-nous si je comprenais bien ce que disait Papy sans vraiment le dire. Mes cours de pharmacie revenaient vite et je commençais déjà à analyser les effets de tous ces moments répétés. Chemin faisant, nous étions arrivés à destination. Max, en tenue nous faisait un signe de bienvenue. Papy lui répondit avec le même sourire et s'installa à sa table habituelle.

- Mon petit père, sers-moi comme d'habitude ce thé que tu sais si bien faire, m'adressa un Papy tout sourire.

- Heuu ... Oui, tout de suite ! Juste le temps de me changer et j'arrive.

Je me précipitais à l'intérieur du café, pris le chemin du vestiaire et me changeait rapidement en ayant pris soin de commencer à faire bouillir l'eau pour ne pas faire attendre trop longtemps mon client préféré. Attendez ... Préféré ? Ah merde, me suis fait avoir ! Finalement, je commençais vraiment à m'attacher à ce petit monsieur âgé si plein de malice. Il avait sans doute ses secrets. Comme il m'avait soutiré les miens, je pouvais bien essayer de lui soutirer les siens. Je souriais à cette perspective en rejoignant la salle équipée de mon thé spécial Papy prêt à infuser. Je préparais alors la boisson chaude en y mettant tout mon coeur. Je devais avoir l'air étrange parce que Max me rejoignit plein d'entrain avec son oeil moqueur.

- Alors le sac à puce ? T'as l'air tout heureux ! Qu'est ce que Papy t'a donc raconté encore ? S'il a osé te sortir l'histoire du boxer, j'en fait une brochette géante ... Quoique ... Il serait foutu d'aimer ça ! Il est trop positif ! Un aimant à positif ! Il m'énerve !

- Oh là ! Doucement Max, repris je en riant de bon coeur. Et c'est quoi cette histoire de boxer ? Je veux tout savoir ! Laisse, je demanderai à Papy !

Max ne répondit pas. Il était silencieux, beaucoup trop silencieux pour lui. Il souriait seulement. Je vis ses yeux qui me regardaient avec une infinie tendresse. Des yeux qui semblaient un peu trop humides.

- Quoi, qu'est-ce que j'ai dit encore ?

- T'as rien dit, le husky, t'as ri. C'est la première fois que je t'entends rire.

Ah bon ? Je n'avais jamais ri depuis tout le temps où j'étais là . Il est vrai que la situation n'était pas drôle mais je croyais avoir été le plus normal possible. Je fus stoppé dans mes pensées par un Max m'ébouriffant les cheveux, fier de lui. Et je compris ce qu'avait voulu dire Papy. J'avais disposé sa commande sur le plateau, pris les plus beaux croissants et me rendit à sa table. Je disposais la commande sur la table lorsque j'osais quelques mots.

- Je crois que j'ai compris ... Pour Max, je veux dire.

- Et qu'as-tu compris mon petit ?

- Un grand frère.

- Ah ... Ça y est ? Tu t'en es rendu compte. Max te racontera peut-être un jour. Mais crois-moi, il t'a choisi.

- Pourquoi ? Il veut que je sois son cadet ?

- Max a ses secrets, Sam. Je ne puis les révéler sans son accord. Max a été protecteur dès le premier jour et c'est bien que tu le vois maintenant. Par contre, désolé de te le dire, Max ne te lâchera plus jamais ! C'est ainsi.

Je riais encore une fois devant le sourire rempli de bonté de Papy. Encore une fois, je riais. Je repris parce que c'était important de le dire au moins une fois. Même si je sentais les larmes monter du plus profond du coeur.

- Merci. Juste ... Je sais pas. Merci c'est tout.

Je n'avais juste pas fait attention que Max était derrière moi. Je pris un énorme baiser sur le dessus de la tête lorsque sa voix chaude murmura à mon oreille :

- T'inquiète pas. Tu nous appartiens maintenant.

Et c'était exactement cela. Je leur appartenais. Et pas parce que ces gens le voulaient, juste parce que je le voulais au moins autant qu'eux. Je souris bêtement prétextant que des clients venaient d'arriver, j'essuyais rapidement mes yeux et repris le cours de ma vie. Ma vie. Celle qui allait sans doute débuter maintenant.

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