Chapitre 1

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Je me suis toujours sentie à part. À part des autres êtres humains qui peuplent cette planète et qui passent, à cet instant, devant moi en m’évitant tandis que je me tiens immobile en pleine place de la Comédie, à Montpellier.
Je pose un furtif regard sur la menotte de mon fils à laquelle je m’accroche désespérément. Le pauvre affiche de grands yeux écarquillés, témoin de ma vive angoisse et du conflit qui s’opère silencieusement en moi et qui l’atteignent automatiquement. Les traits de son visage expriment ses craintes, tout comme son silence qui contient un puissant appel SOS.
Les enfants ont la particularité de ressentir ce qui peut tourmenter les adultes, surtout lorsqu’il s’agit de leur parent. À cette minute, mon fils, Rory, a une conscience aigüe de mon mal-être ainsi que la peur qui m’enveloppe. Je suis moi-même capable de percevoir celle qui ne le quitte presque jamais. Il est tétanisé. Nous venons de tenter une sortie depuis sept jours passés enfermés chez Tante Méry et celle-ci semble désastreuse. 
Quelque chose d’étrange se déroule en moi. À nouveau. Comme chaque fois que je me trouve dans cet état. 

Ferme les yeux et fais appel au calme.

Cette voix inconnue qui, pourtant, se répercute en moi de façon totalement inexplicable en détenant toujours ce pouvoir insolite de m’apaiser. Ce qui ne manque jamais de me dérouter, mais que j’accepte avec grand plaisir.
Elle est toujours la bienvenue au milieu de mon enfer. Une sorte d’issue de secours mentale. Je ne cesse de pousser sa porte lorsqu’elle se présente à moi pour m’y réfugier avec bonheur lorsque je traverse des périodes difficiles et moches.  

D’une pression de la main, je capte le regard écarquillé de mon fils et lui insuffle une assurance feinte qui l’apaise un minimum. Les enfants sont obligatoirement le fruit de l’amour. Mais ils peuvent également représenter le fruit d’un mauvais choix pour certains, une erreur de parcours, un accident, et ne requièrent guère d’amour de leur géniteur. C’est injuste. Et j’en suis navrée pour mon garçon qui ne mérite pas d’avoir comme père, l’homme épouvantable avec lequel je l’ai conçu. 
Je ne me souviens pas d’avoir vécu la vie qui est la mienne. D’avoir fait ces choix. Ceux qui m’ont menée jusqu’à ce point désastreux de mon existence. Je ne parle pas de mon garçon, il est tout ce qui m’est précieux, mais l’étoile qui m’a guidée jusqu’ici dans ma vie m’a appliquée une voie malencontreuse que j’exècre et qui ne me définit pas, j’en suis sûre.
En tous cas, quelque chose en moi semble en être certain.
Bien sûr, toute une floppée d’images, dans ma mémoire, me prouve qu’il s’agit bien là de ma réalité. Néanmoins, c’est comme si mon histoire restait floue. Comme nappée dans un brouillard sempiternel. Hypothétique.
Il y a bien eu ce jour où je me suis réveillée couchée au sol dans cet appartement qui ne me disait rien, aux côtés de ce petit être de quelques années qui me suppliait, des larmes plein les yeux et dévalant son magnifique visage, de revenir. Comme un parcours que l’on m’avait collé à la peau et que je devais accepter de prendre sans que je sache réellement pourquoi à ce moment-là.

─ Maman, reste avec moi ! S’il-te-plaît, maman ! s’écriait ce garçon ravagé par la tristesse et le choc.

Mais dans mes pensées lointaines, j’avais été capable d’entendre l’écho d’une plainte tonitruante tant sa douleur semblait être immense. Il s’était répercuté avec violence en moi. « Nooooooon ! », avait-il hurlé. Je me sentais égarée, je ne comprenais rien à ce qui m’arrivait.
Confuse, j’avais observé tout autour de moi à la recherche d’un indice ou d’un je ne sais quoi qui m’aurait permis de me souvenir de quelque chose de familier. Seulement, il n’y avait rien eu, sauf un soudain mal de crâne qui m’avait arraché un cri strident. Ce dernier avait été comme une pointe acérée réduisant en bouillie mon cerveau et mes tempes qui avaient semblées exploser après avoir pris feu. Étrange… Puis une dernière plainte rugissante avant que tout s’éteigne :

Nooooooon, Jildaza !!!

Après cet horrible événement où le petit garçon avait été brutalement effrayé devant ma douleur insupportable, il m’était subitement devenu connaissable. Il était mon fils.
Ce petit qui m’appelait maman et qui semblait tenir à moi d’une manière vigoureuse et sincère, je le savais tout à coup ; je l’aimais plus que tout au monde. Sensation inouïe. Sentiment réel et lumineux. Ç’avait été d’une soudaine clarté. Néanmoins, il n’était pas le fruit d’une passion ardente née entre un homme et une femme se dévouant une affection sans faille.
Non, Rory était né parce que la jeune femme, que me rappelaient des brins de souvenirs dans mon esprit, que j’eus été, avait protégé instinctivement, de ses mains tremblotantes, son ventre plat, parce que le docteur Berger venait de lui apprendre sa grossesse. Ce n’était donc pas ces fichus fruits de mer, avait-elle pensé ironiquement.
Cette femme que mes pensées n’avaient de cesse de me faire croire qu’il s’agissait réellement de moi, avaient été claires comme de l’eau de roche : cet enfant, embryon à cette période, elle l’aimait déjà. Mais ce ne fut pas le cas de son compagnon…
Celui que je fuis actuellement et pourquoi je me trouve plus perdue que jamais sur cette place grouillante de monde, en face de la fontaine des Trois Grâces devant l’Opéra Orchestre national. Mon fils à mes côtés, appréhendant autant que moi d’apercevoir à nouveau cet homme de malheur.
Avoir quitter notre appartement que je loue entre la cité Saint Martin et le quartier Tournezy, situé au sud de Montpellier, non loin de l’autoroute et de la voie rapide menant tout droit à Palavas-les-Flots, ne semble pas suffisant. Me suit-il à la trace via une application qu’il aurait pu installer dans mon téléphone portable durant notre relation à mon insu ? C’est possible. Même si je ne sortais que pour accompagner notre fils à l’école ou à des rendez-vous médicaux.
Depuis le drôle d’interlude que je me rappelle que trop bien, datant de deux ans, avec un drôle de prénom prédominant ; Jildaza, vu que ma cervelle m’avait semblée avoir été atomisée sous un flot d’images lancée tel un train à pleine vitesse, la mémoire m’était revenue petit à petit.
J’avais pu observer et suivre, dans mon esprit déboussolé, le fil d’une vie que je n’aimais guère se dessiner et devenir réalité. Ma réalité. Triste et me plaçant sur la corde raide. C’est toujours le cas aujourd’hui.   
Plus d’une fois, j’ai fait les frais de crises ravageuses, véritables folies, de la part de mon conjoint. La violence, j’y suis habituée. Autant physique que psychologique. Je crois bien que c’est la dernière qui est la plus dévastatrice alors que la première reste traumatisante.

La dernière fois, abattue sur le sol en lino du salon, après un dernier coup, cet homme, mon compagnon et père de Rory, s’est décidé enfin à me laisser un peu tranquille même si cela n’avait pas sonné la fin des insultes. Toutes aussi abaissantes les unes que les autres.
Ses yeux, dilatés par les substances qu'il avait sniffées et l'alcool qu'il avait ingurgité, durant de nombreuses heures à passer dehors à traîner, sûrement accompagné d'une énième maîtresse, n’avaient pas aidé, mais amplifié mon calvaire.
D’ailleurs, il traite toutes ces filles comme des princesses alors qu'il s'en sert uniquement de bouche-trou. Quant à moi, mon rôle : lui servir, sans rechigner, son café au lit chaque matin, préparer ses habits propres pour la journée, son pyjama prêt et déjà soigneusement posé dans la salle de bains. Je dois lui dresser et servir tous ses repas comme il aime et rester enfermée comme il le souhaite, dans cet endroit de malheur. En récompense : n’avoir droit qu'a son côté machiavélique. Celui qui m'est uniquement réservé. Et à notre fils aussi.
Beaucoup se demanderaient pourquoi il insiste à rester avec moi alors qu’il déverse sur moi une telle violence. Eh bien, il est tout simplement fou amoureux et possessif à l’extrême de mon être. Il est ce que l’on appelle un pervers narcissique, bien qu’une part en moi pensait qu’il était tout simplement possédé par une sorte d’entité démoniaque pour agir ainsi. Peut-être bien que cela venait de cette habitation… Je n’ai jamais aimé les ondes qu’elle dégageait.  
En plus d'être un compagnon indigne, il est un père exécrable. Je n'aime pas souhaiter le mal, mais ce mec aurait dû être stérile. Tant d'autres, débordants d'amour, sont touchés par ce malheur de l'infertilité. Lui n'a jamais saisi la chance de vivre son rôle de père alors que d'autres rêvent tant d'être à sa place pour profiter de chaque instant.
Il ne passe son temps qu'à nous maltraiter, nous dénigrer et nous expectorer son venin au visage. Je n’ai jamais compris pourquoi en m’aimant follement, il n’était capable que d’actes violents…
Comme à son habitude, il n’a pu s'empêcher de me faire subir sa folie, dès son retour à notre appartement. Il ne déroge pas à sa règle primaire. Chaque fois, je fondais en larmes, parce qu'il quittait la maison pour aller rejoindre son frère et ses cousins retrouver des filles faciles et s'enfermer, par la suite, dans des chambres d'hôtel, où il y régnait de véritables orgies.
J’aurais dû, au contraire, me réjouir qu'il parte vu l’homme détestable qu’il était avec nous, mais non. Je gardais toujours l’infime espoir qu’il puisse changer et que nous puissions enfin devenir cette famille que j’idéalisais tant.
Je faisais même le vœu, tous les soirs en observant les étoiles de la terrasse dont est pourvu l’appartement situé au quatrième étage, qu’il puisse changer et ouvrir enfin les yeux sur ce qu’il avait chez lui : une femme aimante et un enfant magnifique. Mais il revenait toujours et ne manquait jamais de me dévaloriser comme mon père le faisait, mon souhait ne restant qu’une perspective irréalisable.
Je percevais dans mes souvenirs, dont la véracité continuait de me paraître invraisemblable, ce moi plus jeune ayant quitté la maison de ses parents en espérant trouver le bonheur et le vivre. Je suis donc restée avec ce gars d’une beauté rendant aveugle une fille simple comme moi et qui s'est révélé, par la suite, être comme mon père : individualiste, égoïste et cruel dans ses paroles, mais aussi dans ses décisions, ses actes, son train de vie. Sauf que cet être, ce compagnon à la beauté diabolique, en est vite venu aux mains alors que mon père a rarement eu des gestes violents. 
Je ne sais pas pourquoi il a agi de la sorte avec moi. Ce qui a pu le pousser à se conduire ainsi. Je ne lui ai jamais rien fait. Au contraire, je lui ai toujours tout donné et ai rapidement été sous son emprise. Peut-être cela a représenté une grave erreur en jouant contre moi. Ma gentillesse m’ayant perdue.
J'ai pensé à fuir, mais pour aller où ? Rentrer chez mes parents ? Ils ne sont pas du genre à ouvrir grand leurs bras pour m'accueillir chez eux à nouveau. Seule oui, mais maintenant que j'ai un enfant, non. Trop d'inconvénients pour eux. Alors ils préfèrent ignorer qu'il ne se passe rien de grave dans ma vie et continuent la leur comme si de rien n'était. Comme si je n’en faisais pas partie. La politique de l’autruche ; un truc bien à eux, ça.
Donc oui, en résumé, mes parents sont des gens très personnels, qui ne pensent qu’à eux et leur bien-être. Celui de leur fille unique et de leur seul petit-enfant ne les préoccupe pas.
D'ailleurs, c'est ce qui m'a poussée à vite trouver une personne avec qui me mettre en couple afin de déguerpir de leur maison, et enfin construire ma vie. Ne jamais se sentir à son aise, avec toujours cette impression de devoir leur montrer une facette qui n'était pas moi ou de devoir toujours leur prouver que je valais le coup, n’est pas normal. Tout comme se sentir de trop et les voir se suffire à eux-mêmes avec la sensation de représenter un colis pour eux. 
Mon père me voulait à tout prix conforme à l'image de la fille parfaite à ses yeux – selon ses propres critères, bien sûr. Il a passé de nombreuses années à me rabaisser. Donc, lorsque tu grandis avec l'image de toi ne valant pas grand-chose et surtout moins que les autres, et bien tu finis par le croire et prendre cette voie-là pour finalement te laisser traiter comme telle. Cela te donne l'impression que tu ne vaux rien ou que si, tu vaux mieux, mais tu as peur de ne pas trouver la personne qu'il te faut et de devoir rester seule.
On dit qu'il est préférable d’être seul que mal accompagné, mais pas dans mon cas. Cela a toujours été quelque chose qui me faisait flipper ; la solitude. Pourtant, j'ai de la famille, mais quelle honte de leur raconter ce que j'endure réellement. Je préfère leur mentir et leur faire croire que j'ai une vie exaltante les rares fois où ils me croisent. S'ils savaient combien je suis malheureuse ainsi que mon enfant.
Et moi qui suis morte de trouille à l’idée de devoir être seule, je le suis tout de même. C’est ça le comble. Parce que personne autour de moi ne vit ce que je traverse et je me sens plus isolée que jamais. C’est comme si j’étais en constant décalage avec le reste du monde où personne ne peut saisir ma détresse, celle qui me hante jour après jour en s’accroissant davantage.
Et il y a autre chose…
Sans arrêt, ce fait étrange continue de me suivre en me collant à la peau. Une sensation incompréhensible. Mais je suis capable de la visualiser telle une image. Étonnamment, il s’agit d’un homme, jeune, ma tranche d’âge : dans les vingt-cinq ans, peut-être moins. Ce dernier se tient toujours devant plusieurs dolmens érigés dans une vallée enveloppée de brouillard. C’est comme si mon inquiétude, les chocs que je traverse, le faisait apparaître automatiquement dans mes pensées.
Lors de ces phénomènes, une phrase résonnait toujours en moi.

Courage…

Elle est toujours là, à ce jour. Cette sensation reste omniprésente quelque part en moi. Une présence énigmatique mais à laquelle une part de moi ne cesse de s’arrimer mentalement. Mais je m'en veux, parce que je suis nulle et pas suffisamment forte pour me révéler être une mère courage, justement, osant affronter seule toutes les futures étapes de la vie sans personne. Faire front…
Je ne m'en sens pas capable, malgré ce que cette part de mon cerveau m’insuffle avec une puissance virulente. Malgré cet inconnu dont le visage reste flou. Malgré ce que me hurle mon subconscient. J'ai l'impression d’avoir toujours besoin de quelqu'un à côté de moi, même si ce quelqu'un s'est avéré être le roi des enflures, dans mon cas.
Plus d'une fois, j'ai regardé, de la terrasse de mon balcon, le rez-de-chaussée. Je me disais que si je sautais la tête la première, là, d'un coup, sans réfléchir, tout serait enfin terminé.
La voix en moi, toujours la même avec ce timbre masculin et rocailleux, semblant tiraillée par l’impuissance, réapparaissait dès que c’était le cas. Une image, brève, était apparue sur mes rétines. Le regard affolé d’un homme mort d’inquiétude et semblant devenir fou lorsque, la dernière fois que j'y ai pensé, et au moment où j'ai vraiment voulu passer à l’action en agrippant la rambarde, mon fils m'a appelée de sa chambre en m’empêchant, au dernier moment, de commettre l’irréparable.
C’était il y a une semaine.
Sa voix avait été claire. Avait-il senti ce que je m'apprêtais à faire ? Qu’est-ce qui l’avait éveillé ? Je n'en sais fichtre rien, mais une chose est sûre, cela m'a suffi pour me remettre les idées en place et foutre dehors les affaires de son foutu père, toujours absent à minuit passé, ce soir-là.
Ça ne s'est pas avéré simple, car il n'a pas voulu lâcher l'affaire. J'avais notamment sa famille sur le dos et vu que je n'en démordais pas, ils m'ont vite injuriée. Allant jusqu'à me faire passer pour la fautive, en racontant à qui voulait le savoir, que je désirais aller voir ailleurs, qu'en gros c'était moi la fille facile dans l'histoire. Tout un tas de trucs atroces.
Ouais, l'humain peut s'avérer très cruel, parfois.
Mes parents m'appelaient pour me dire que le père du petit ne cessait de les harceler en croyant que j'étais retournée chez eux. Comme si, par je ne sais quel miracle, ils m'auraient recueillie avec mon môme… Il y a bien longtemps que je ne crois plus à la moindre compassion de leur part à mon égard.
En fait, je ne les ai même pas prévenus de ma décision. Ce soir-là, celui que je nomme « le soir où j'ai ouvert les yeux », après avoir rassuré et câliné mon fils, je m’étais affairée à entasser tous les papiers et vêtements de cet être ignoble, me servant de compagnon, dans des sacs poubelles et les avais jetés dans le couloir de notre immeuble devant notre palier.
Ensuite, je m’étais dépêchée de prendre un maximum de nos affaires à mon fiston et moi. Avec difficulté, j'avais fait plusieurs allers-retours de mon appartement à ma voiture, garée sur le parking, alors que mon petit semblait angoissé, rongé par la peur que son père puisse me surprendre.

À cet instant, je me tiens aux aguets. Nous venons justement de le croiser au niveau de la rue de l’aiguillerie et je l’ai évité en tirant mon fils dans une rue adjacente qui débouche sur d’autres ruelles du cœur historique de la ville.
Essoufflée, la main de mon fils agrippée à la mienne, j’examine les alentours afin d’être certaine qu’il nous a perdu de vue et que je puisse m’engouffrer dans le prochain tramway à l’approche. Ce dernier me mènera jusqu’à Euromédecine, un quartier nord de Montpellier où se trouve le domicile de ma tante.
Les passants ne cessent de pulluler tout autour de nous et je tente d’imaginer leur vie qui doit s’avérer beaucoup moins catastrophique que la mienne et ma situation actuelle. Ces derniers doivent mener une existence aux antipodes avec ce que je vis. D’ailleurs, ils ne manquent pas de porter sur moi un rapide coup d’œil interrogateur.   
J'ai l'allure d'une anorexique. Je vis continuellement dans le stress, l'angoisse et à travers des crises de spasmophilie. Je n’arrivais plus à me nourrir convenablement jusqu’à ce que je quitte mon appartement, car la boule qui avait élu domicile dans ma gorge, depuis de nombreuses années, m'empêchait tout bonnement d'avaler quoi que ce soit, m'étouffant même si je forçais trop à faire passer la nourriture.
Comme vous l'aurez sans doute déjà compris, c'était vraiment l'enfer pour moi.
Je suis apeurée et mon fils l’étant tout autant que moi, nous affichons des mines qui portent la preuve flagrante de notre émoi. Une chose que je suis certaine ne passe pas inaperçue dans chaque regard qui se pose sur nous.
Cependant, personne n’ose s’aventurer à nous questionner en s’assurant que nous allons bien. C’est souvent le cas. Les gens peuvent être témoins de votre détresse et ne pas agir en ne souhaitant pas se mêler de quelque chose qui pourrait se retourner sur eux et qui, finalement, ne les regarde pas.
Je rêve d’un monde où la solidarité règnerait en maître. Si seulement… Ce serait fabuleux pour tous les êtres, qui comme moi, vivent une existence stressante et effrayante.
J’ai eu assez de cran et le coup de pied mental nécessaire pour me dépêtrer de cette situation la semaine dernière, mais cela reste compliqué lorsque nous habitons toujours la même ville que notre ex. Ex tyrannique.
* *
Après un dernier tour de l'appartement, je m'étais agenouillée devant mon fils, âgé tout juste de sept ans et ayant déjà vu trop de choses anormales, faisant de lui un enfant précoce, et lui avais annoncé que nous partions.
Une fois nos ceintures bouclées, j'avais filé au milieu de la nuit, chez une de mes tantes, de la famille de ma mère. Elle ne savait rien de mon quotidien et cela faisait des années que je ne l'avais pas vue alors que nous habitions la même ville.
Mais vivre une vie telle que la mienne, sous le joug d'un homme mauvais, pousse à se couper, petit à petit, de tous les membres de sa famille et ainsi oublier que certains ne jugent pas et savent faire preuve de délicatesse et de discrétion.
C'est le cas de Tante Méry. La sœur aînée de ma mère, ayant fait le choix de vivre seule avec son unique fille. Elle-même ayant été battue par son ex dans le passé. Une fois qu'elle avait pu échapper à ses griffes, elle avait fait la rencontre d'un homme sympa avec qui elle avait donné naissance à ma cousine.
Trois ans plus tard, la fin de leur histoire ayant sonnée, ma tante a pris la décision de poursuivre sa vie sans homme. Ma cousine Sarah est désormais âgée de vingt ans, et ma tante ne s'est jamais plus intéressée à la gent masculine. Sa nouvelle voie empruntée lui allant comme un gant et la satisfaisant chaque jour qui passe.
Je m’étais donc retrouvée devant sa porte à une heure trente du matin. En réalisant que nous étions en pleine semaine et qu'elle devait se lever tôt le lendemain matin pour aller travailler. Je m’étais immobilisée, hésitant à frapper à sa porte ou retourner chez moi, ranger à nouveau, à la vitesse de l'éclair, toutes mes affaires et celles de mon homme avant son retour au risque qu'il s'en aperçoive.
Mais non, en voyant la mine fatiguée de mon fils, je ne pouvais pas continuer comme cela. Et puis, il y avait eu ce truc super mystérieux qui s’était produit. Comme une lueur d’espoir dans la nuit. J’avais été certaine, sur le moment, que je délirais, sûrement le cas, vu la fatigue qui m’éprenait ce soir-là, alors que non.
Devant moi l’esquisse d’un sentier lumineux était apparu. Ce dernier m’attirait d’une façon étrange, mais également avec bienveillance. J’avais pu ressentir un certain apaisement couler en moi. Une force, dans un certain sens. Je n’ai pas honte à avouer que c’est ce drôle de phénomène qui a suffi à ne pas me débiner.
Alors j’avais levé le poing et osé toquer chez elle.
Lorsque j’avais entendu sa voix, derrière la porte, cela avait sonné en moi telle une délivrance. Je l’avais rassurée en lui disant que ce n'était que moi. Le son de la serrure qui se déverrouille avait laissé place à son visage. Elle m’avait étudiée avec étonnement, mon garçon et moi.
Puis, comme une évidence, elle avait eu le pouvoir de tout comprendre en un seul regard. Elle avait déclaré par la suite :

— Allez, viens. Entre ma nièce. Je suis contente que tu sois passée.
— Tata, il est une heure et demie du matin. Je m'excuse de te réveiller…

Ma tante m’avait coupé d’un simple geste de la main et ma cousine était apparue à son tour et m'avait enlacée rapidement avant de s'occuper de mon fils. Elle lui avait tendu la main en une invitation et il m’avait lancé un regard interrogateur. D’un hochement de tête et un large sourire non feint, je lui avais ainsi prouvé qu’il ne risquait plus rien. Sa petite menotte s’était posée dans celle de Sarah et il avait disparu en sa compagnie avec joie.
Quelques minutes plus tard, installée dans la cuisine avec Tante Méry,  une tasse de café fumante entre les mains à laquelle je m’agrippais fermement, je lui avais tout déballé. Cela avait dû prendre une bonne heure, où elle m’avait regardée, complètement hallucinée par tout ce que j'avais pu vivre jusqu'à ce soir-là.

— Moi qui croyais que c'était un gars bien. Nous avions tout de même quelques doutes, car un gars bien rend visite à sa belle-famille de temps en temps et puis le peu que nous te croisions, on te voyait de plus en plus mince. Mais tu avais toujours le sourire. Maintenant je comprends mieux. Tu aurais dû venir plus tôt.
— Si j'avais su Tante Méry… Mais j'avais peur de déranger et honte d’afficher tous mes soucis.
— Quelle honte ?! s’était-elle exclamée.
— Je sais que tu n'es pas comme ça et que tu ne supportes pas ce que je me suis forcée à endurer, mais…
— Mais rien du tout ! Tu aurais dû venir ! Mais bon, on ne peut rien y changer désormais, alors tu vas me faire la promesse de ne pas avoir la faiblesse de te remettre avec lui. Parce que je l’ai vécu et je connais ce sentiment. Je sais que tu te dis « Oh, et puis zut, c'est le père de mon petit, je suis mal tombée et bien tant pis, il faut que j'assume et que je supporte cette vie parce que je n'ai aucun droit à le séparer de son enfant et blablabla… ». Et tu te trompes sur toute la ligne, d’accord ?! Mais tu le sais très bien au fond de toi. Ce sont de fausses raisons qui tournent en boucle dans notre crâne. Du grand n’importe quoi, si tu veux tout savoir.
— C’est vrai, avais-je reconnu dans un souffle.
— Ne me dis pas ça pour me faire plaisir. Ce mec, c'est une ordure ! Il n'a aucune empathie envers ton petit et encore moins envers toi. Alors, promets-moi de ne jamais y retourner. Julia, on n’excuse pas l’impardonnable. On ne lui trouve pas une tonne de raisons qui n’ont ni queue ni tête. Il n’y a qu’une seule et bonne solution et nous la connaissons toutes les deux. Promets-moi, avait-elle insisté.

Je l’avais longuement étudiée avant de hocher la tête. Tante Méry parlait en connaissance de causes. Elle était bien placée pour comprendre tout ce qui avait pu m’animer à cet instant-là. Je vivais avec une ordure, il ne passait pas un jour sans que je pleure de sa cruauté, et malgré cela partir, fuir, m’avait semblé effrayant alors que ça devait être tout le contraire. J’avais compris combien l’emprise psychologique pouvait être profonde avec des crochets acérés nous faisant croire que c’était nous, les victimes de tels montres, qui agissions mal.
Mais non, j’avais tout faux et, au fond, je le savais bien. Il fallait à tout prix que je cesse d’écouter cette voix pernicieuse, née seulement pour me foutre la trouille dès lors que le courage de m’en sortir pointait le bout de son nez dans mon esprit. Elle n’était que duperie et mensonge. Instaurée à force de violence physique et verbale, tant qu’elle était tout bonnement devenue une sorte de gardienne, taulier mental, prenant les rênes chaque fois que son pourri de maître, alias l’enflure servant de compagnon, s’esquivait pour mener à bien ses petites affaires.
J’avais secoué la tête en me pensant idiote, puis, avec détermination, j’avais planté mon regard dans celui ma tante. 

— Je te le promets Tata.
— Bien.

J'avais eu immédiatement l'impression qu'un énorme poids se libérait de mes épaules et disparaissait enfin à jamais. N’apparaissaient désormais que paix et bien-être pour la première fois depuis des années.
Mais quelque chose d’étranger avait subsisté dans mon corps. Cette étrange et coutumière sensation qui me hantait d’une curieuse façon. Inexplicable. Et ce sentier qui m’était apparu devant la porte de Tante Méry était subitement devenu plus imposant. Ce chemin m’attendait. Aussi bizarre que cela pouvait paraître, je le savais. Je le sentais… Et puis, qui était cet homme ? Cet inconnu à l’image toujours floue mais au regard bien réel ? Cette voix, était-ce lui ? Ou devenais-je folle, tout simplement ? Peut-être que je l’étais depuis un bail déjà…  

Aziar #Lui et l'autre monde (Terminé "Nouvelle version")Où les histoires vivent. Découvrez maintenant