Aziar #Lui et l'autre monde (Terminé "Nouvelle version")

Chapitre 20

La sensation de flotter, des hurlements, des protestations, une fenêtre qui se brise, le chant des grillons qui m'apprend qu'il fait encore nuit, et une course précipitée me balançant dans tous les sens.
Voilà, comment je suis extirpée de mon sommeil.
Je me demande, durant quelques secondes, si je suis plongée en plein rêve, mais au vu du paysage nocturne qui défile sous mes yeux, je prends conscience que non. Tout est bien réel.
Je suis enroulée et prisonnière dans ma propre couverture, tenue dans la gueule d'un loup immense et sombre qui semble profondément plongé en pleine crise de panique.

— Kenan ! Mais bon sang, que fais-tu ?! m'écrié-je, en percevant sa vive angoisse se dégager de lui par radiation.

Il ne souhaite même pas communiquer avec moi et sa voix ne se répercute pas dans ma tête comme à chaque fois qu'il est loup. Seule sa course effrénée brise le silence inquiétant dans lequel il se mure.
Je ne sais pas ce qu'il cherche à faire et le savoir dans cet état me stresse un tant soit peu. Je m'interroge quant à savoir ce qui a pu se passer lors de mon sommeil pour le faire agir de la sorte.
Il court à une telle vitesse que le paysage devient flou devant mes yeux. Il traverse les forêts, les prairies et notre vallée se trouve vite bien loin derrière nous, à tel point que je ne vois plus les lumières des dernières habitations depuis un bout de temps déjà.

— Kenan, dis-je calmement afin de l'apaiser, je ne sais pas où nous allons, mais il m'est de plus en plus désagréable d'être ballottée dans cette position. Tu es en train de me rendre malade. Je peux très bien monter sur ton dos.

Mes paroles, évoquant mon inconfort, ont le don de le faire réagir et ralentir jusqu'à s'arrêter totalement devant un lac au milieu d'impressionnantes montagnes. Cette vision de nuit est fabuleuse, je n'ose imaginer ce que ce serait de découvrir ce paysage de jour. Sûrement à couper le souffle.
Il cherche précautionneusement un tas touffu d'herbes afin de ne pas me blesser en me déposant avec délicatesse. Je m'extirpe immédiatement de ma prison de draps.

— Explique-moi, murmuré-je, en réussissant enfin à me faufiler hors de ma couverture.

Kenan reprend forme humaine et bien évidemment, aucun vêtement ne vient le couvrir. Encore.

— Je ne permets pas l'idée que tu puisses repartir de notre monde. C'est un risque que je ne suis pas prêt à prendre, soupire-t-il, en fixant le lac sombre devant nous.

Je m'approche de lui avec précaution et pose avec douceur ma main sur son épaule. Il tourne son visage torturé dans ma direction, et plante ses magnifiques prunelles noires et luisantes de douleur sur moi.

— Je ne te quitterai jamais Kenan. Je ne comprends pas comment tu en es venu à croire ça, dis-je en drapant ensuite sa taille de la couverture. Je dois me rendre auprès de Viviane. C'est ce qui a été convenu quelques heures plus tôt.
— Je sais ce que Dame Viviane attend de toi, m'avoue-t-il en fixant son regard sur l'eau sombre du lac.
— De faire de moi sa nouvelle Morgane.

C’est ce que tout le monde semble penser, mais pas moi qui trouve cela peu plausible. Je préfère m’en tenir à mon intuition.

— Non. De retrouver son amour éternel et de le mener jusqu'à elle.

Cela confirme qu’il faut à tout prix que je me fasse confiance et suive ce que tente désespérément de me dire une part très enfouie de mon esprit.

— Merlin ? On parle bien de Merlin, n'est-ce pas ?
— Parfaitement.
— Je ne vois pas où est le problème Kenan. Pour te dire, je suis même rassurée que Tante Bleuenn et Aodren se trompent sur ses réelles motivations à vouloir me rencontrer.
— Il est hors de question que tu retournes là-bas, réitère-t-il, buté comme pas permis.
— Donc, c'est réellement ça qui t'inquiète et ce à quoi tu pensais en restant silencieux ? Kenan, je devais y retourner d'une manière ou d'une autre afin de récupérer Rory.
— Oui, mais pas de te lancer dans une mission pour cette dame du lac. Maintenant que tu m'es revenue, je ne veux plus te voir t'éloigner de moi.
— Mais Kenan…
— Tu ne comprends pas ! Je ne peux pas revivre ça ! m'avoue-t-il, en laissant répercuter sa colère et sa peur entre les montagnes qui nous encerclent.