Chapitre 15

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Je reste interdite face à Kenan, toujours immobile devant notre lit. Ses yeux, aussi noirs que les miens, ne cessent de me fixer. Ne sachant quel comportement adopter, je décide de ne rien dire et de le laisser, plongé dans ses propres réflexions.
Cette situation est des plus délicates, songé-je.
Je peux voir d'ici ses tourments et concevoir facilement que de se trouver face à la personne que l'on aime plus que tout, et la sachant totalement amnésique, sans aucun souvenir d'une vie à deux, doit s'avérer extrêmement compliqué à gérer. Surtout quand cette personne qu'on a tant attendue, se trouve dans notre lit et à moitié nue.
Je vois combien ça lui coûte de ne pas faire les trois pas qui le séparent de moi. S'il ne souffre plus de mon éloignement, c'est un tout autre supplice qui le ronge dorénavant. Celui de devoir se forcer à garder ses distances avec moi.
Voir cet homme incroyablement beau et au physique semblable aux statues des divinités grecques, me donne des bouffées de chaleur et m’occasionne une certaine gêne face à cette situation. Je sais pertinemment que mes joues doivent être plus que rosées.
Soudain, le gargouillement de mon ventre rompt le silence dans lequel nous étions plongés, ce qui a le don de faire réagir Kenan qui fronce les sourcils en inspirant l'air.

— Tu ne t'es pas nourrie, affirme-t-il en crispant de façon frénétique ses mâchoires, puis se détournant de ma petite personne.

Il se rend jusqu'à notre armoire avant d'en extirper un short, qu'il enfile devant moi sans aucune once de timidité.
J'avais, jusqu'alors, pensé que je me souvenais clairement de son timbre, mais je m'aperçois à l'instant, en venant de l'entendre à nouveau, que j'étais vraiment loin du compte. En effet, sa voix qui se répercute dans tout mon être, est la plus belle des mélodies pour mon ouïe et a le don d'éveiller en moi des choses impensables.

— Je…hum… Je n'ai rien trouvé à cuisiner dans les placards. Et je n'ai pas vu de frigidaire.

Il fronce d'autant plus les sourcils et, sans une parole, quitte la chambre. Étonnée par son comportement et complètement chamboulée par les effets de sa présence, je m'empresse de descendre du lit, et pieds nus, m'aventure à sa suite. Je ralentis le pas quand j’aperçois des traces de pieds boueuses sur quelques marches en bois des escaliers et qui, en arrivant au rez-de-chaussée, prennent la forme de pattes de… loup, réalisé-je désormais à l’arrêt devant ces empreintes.
Je me rabroue pour sortir de ma torpeur de prendre en pleine face sa véritable nature. Cependant, maintenant que je me trouve en bas, la maison est bel et bien vide.
Mince ! Il s'est barré sans rien me dire et ça a le don de me foutre une claque. Je ressens son départ comme si on venait de m'administrer un coup de poing magistral. Toutefois, mon inquiétude est de courte durée lorsqu'il revient environ dix minutes plus tard, avec un lapin semblant fraîchement tué.

— Où te l'ais-tu procuré ? osé-je lui demander.

Planté devant moi, ses prunelles ne me lâchent à aucun instant. Il semble fournir l’immense effort de ne pas cligner des yeux, comme si se le permettre lui ôterait des secondes précieuses de m’avoir face à lui.

— Dans le bois derrière la maison, me répond-il en me le tendant.

Je le récupère en le remerciant et remarque qu’il semble à nouveau dans l'attente quand je reste campée là. Si ce qu’il attend est que je me charge de l’animal, comment fais-je pour le préparer sans une gazinière ou même le stocker sans frigo dans le coin ? Il continue de me fixer curieusement et moi, je me sens de plus en plus mal à l’aise.

— Je ne sais pas où le mettre et puis je n'ai jamais dépouillé un lapin, admets-je enfin avec gêne.

Je poursuis en lui fournissant davantage d’explication.

─ Chez moi, on l'achète déjà prêt à cuisiner, il n'y a plus qu'à le faire cuire.
— Tu es amnésique à ce point, soupire-t-il, plus pour lui-même alors que son regard semble lointain désormais.

Aziar #Lui et l'autre monde (Terminé "Nouvelle version")Où les histoires vivent. Découvrez maintenant