Chapitre 6

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Le magasin du centre universitaire est bondé à cette heure tardive. Les étudiants se pressent pour acheter des vêtements hors de prix estampillés NSU, avec la tronche de ce brave Rowdy bien en vue. J'ai pu louer la totalité des bouquins recommandés par le prof et il me faut bien deux voyages pour tous les trimbaler dans ma voiture.

Finalement, je monte au troisième étage déposer mon CV au Flo, en priant pour que le job de serveuse soit toujours dispo. C'est quasiment l'heure de la fermeture quand je slalome entre deux hauts tabourets. J'atteins une magnifique grande bringue qui se donne des airs de proprio. 

Pleine d'espoir, je lui tends mon CV.

— Je voudrais postuler...

Elle chope mon CV avec une jolie moue dédaigneuse, elle se prend pour qui celle-là ? C'est sans doute la serveuse en chef, il faut reconnaître qu'elle est absolument superbe... longs cheveux de jais et sublimes yeux bruns. 

— Tu as de l'expérience ? interroge-t-elle d'une voix grave, carrément sexy pour une meuf.

— Pas vraiment, mais je suis très motivée, je réponds sans trop réfléchir.

Cette fille me donne l'impression qu'il est nécessaire d'être la huitième merveille du monde pour nourrir des étudiants plutôt pressés de se remplir le ventre.

 Et elle me signifie plus ou moins de dégager.

— Je ferme dans quelques minutes, repasse en fin de semaine pour un entretien.

Ça m'a l'air mal parti, surtout que je n'ai pas fini.

— Euh... j'aurais bien pris quelques "onion rings".

Incroyable, elle se montre super gentille tout à coup. J'obtiens le statut de cliente à présent, comme si je devenais subitement sacrée. 

Je me suis dépêchée de retourner à ma voiture avec les fabuleux "onion rings" de chez Flo, me disant que ce serait sympa d'en offrir à Wesley, et aussi à ses amis natifs. Au cas où le fameux Jay serait présent, j'espère bien qu'il s'étouffera avec.

Je n'ai vraiment pas de chance !

Je fais la connaissance d'un mec hyper cool et il faut que ce soit le meilleur pote d'un véritable malade mental. Que je le veuille ou non, ce connard risque de circuler dans les parages de Wesley. Je dois apprendre à me contrôler face à ce type, éviter de rester figée comme une idiote devant lui, surtout s'il me refait le coup des prunelles de velours et de la bouche en cœur. 

Quand je pense que j'ai viré Dan parce que je n'avais plus du tout envie de faire l'amour. Je croyais que le désir sexuel était mort au fond de moi, enfoui profondément sous des pelletées de terre avec mes parents et ma sœur. 

Pourtant, ce putain de natif a réveillé une sorte de bête qui dormait quelque part, celle qui s'ennuyait un peu quand Dan lui roucoulait des mots tendres. Je voudrais me filer des tonnes de baffes pour ça... j'ai la nausée rien que d'y penser, mais il me plaît. 

Je le trouve incroyablement beau.

Comment le cul et le cerveau d'une fille peuvent être à ce point en total désaccord ? Le pire, c'est que ce salopard se doute plus ou moins que je le kiffe grave. Et ça le fait bien marrer ou alors ça l'énerve... au choix. Dans les deux cas, je passe pour la reine des losers, une saleté de marmite en ébullition menacée d'explosion imminente.

J'ai trouvé la fraternité Phi Sigma Nu, grâce au plan de Wesley, et je me gare devant. J'entasse comme je peux un maximum de bouquins, avec les "onion rings" tout en haut de la pile. J'ai lu deux ou trois trucs sur cette fraternité particulière, elle encourage les jeunes natifs à se lancer dans les études supérieures et rêve de dépasser les frontières tribales qui séparent la communauté amérindienne depuis des siècles. Vue de l'extérieur, la maison des Phi Sigma Nu n'affiche rien d'autre que ses trois lettres grecques. Je cherche des yeux quelque chose qui ressemblerait à une sonnette...

Danse dans mon coeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant