Cinq jours plus tard, alors que l'aube se levait, mes parents et moi étions dans la salle d'accueil du Green Point Center, l'endroit où j'allais séjourner pour un temps encore indéfini.
Le trajet avait été interminable. Tout du long, j'avais dû lutter contre moi-même pour contenir ma nervosité. Nous avions quitté Riverside près de quatre heures plus tôt, alors qu'il faisait encore nuit noire et maintenant on nous faisait patienter depuis plus d'une demi-heure.
Je devais me contenir pour tenir en place.
De quel droit nous faisaient-ils attendre ?
Tout ce qui se passait depuis mon « jugement » par l'Ordre n'était qu'une mauvaise blague.
Les jours précédents, j'avais communiqué avec Elsie et Dan par message. Mais je n'avais pu les revoir.
Je n'étais pas encore otage de l'Ordre que j'étais déjà en prison et je supportais de moins en moins ce sentiment.
D'ailleurs, depuis peu, tout m'agace. Je m'impatiente pour un rien et j'ai de plus en plus de mal à supporter l'inactivité.
Ma mère posa sa main sur ma jambe. Elle me sourit faiblement.
Elle voulait me rassurer, je le sais, mais son attitude fit monter une boule de rage dans ma gorge.
— Tout va bien se passer.
Mais à l'éclat terne de ses yeux montrait qu'elle n'en croyait rien.
— Je ne vois pas pourquoi ils me forcent à venir ici. Je serais tout aussi bien à la maison.
— Nous en avons déjà parlé...
J'explosai :
— Mais rien n'est réglé. Tout ça...
— Ça suffit, tonna mon père.
Et c'est à ce moment précis que la porte s'ouvrit. Mon père soupira, ma mère se figea et je me contentai de défier du regard la personne qui entrait dans la salle d'attente.
— Monsieur et Madame Grey, Aleisha, bienvenue. Désolée de vous avoir fait attendre. Je suis Éléanore Brune, la gérante de Green Point.
La femme était blonde, vêtue d'un tailleur bleu marine hors de prix. A n'en pas douter, il devait s'agir de la directrice. Un sourire bienveillant flottait sur ses lèvres et une lueur de gentillesse brillait dans ses yeux.
Elle n'était pas du tout telle que je me l'imaginais. Elle ressemblait plus à une star de cinéma qu'à la gérante d'un centre pour chasseurs de démons psychotiques.
— Suivez-moi, dit-elle d'une voix chaleureuse. Vous êtes restés suffisamment longtemps dans cette pièce.
Elle nous entraîna à sa suite dans un labyrinthe de couloirs. Le bâtiment, étonnamment, était agréable et lumineux.
Malgré tout, mon sentiment de rage ne me quittait pas.
Je ne pouvais m'empêcher de trouver cet endroit et cette situation factice.
Notre trajet nous mena à un bureau spacieux aménagé dans l'un des étages supérieurs. Une large baie vitrée formait le coin du bâtiment et offrait une vue imprenable sur l'ensemble du centre.
La pièce était meublée avec goût, dans une sorte de sobriété élégante qui transpirait le pouvoir.
Éléanore nous invita à prendre place dans l'espace « salon d'affaires » et je pris place avec ma mère sur un canapé en cuir brun, tandis que mon père et Éléanore se partagèrent deux fauteuils.
Cet endroit me rendait nerveuse.
Cette femme me rendait nerveuse.
Je n'avais aucune envie d'être là et le fait d'y être forcée sans avoir le moindre mot à dire me hérissait.
Éléanore commença:
— Je suis vraiment désolée d'avoir appris la mort de Jennifer. Je vous présente toutes mes condoléances.
La mention de ma soeur me remit tout à coup les idées en place, après tout, si je me trouvais ici, c'était de ma faute. Je méritais ce qui arrivait. À vrai dire, je méritais bien pire qu'un séjour ici.
Mes parents la remercièrent et elle se lança dans une présentation détaillée du centre, évoquant les différentes activités offertes, l'accompagnement et aussi son taux très élevé de réussite.
Tout cela ressemblait à un discours bien rôdé, du genre de ceux que l'on trouve dans les publicités mensongères.
Quand elle eut terminé, Éléanore secoua ses cheveux trop brillants et demanda à mes parents si cela leur semblait convenir.
Évidemment, ils l'étaient, je pouvais voir sur leur visage qu'en l'espace de quelques secondes, Green point était devenu le meilleur endroit sur terre pour leur fille.
Éléanore se tourna vers moi et me demanda avec un sourire surfait :
— Et toi, Aleisha, qu'en penses-tu ?
Une de ses dents était légèrement ébréchée, il s'agissait d'une incisive, lui donnant un vague trait un peu vampirique.
Je haussai les épaules :
— Combien de temps devrais-je rester ici ?
— Cela dépendra de tes progrès, mais j'ai bon espoir que quelques mois seulement suffiront à faire disparaître tes pertes de contrôles.
Je détestai la façon dont elle fit référence à mes hallucinations.
J'avais été empoisonnée, je n'était pas folle.
— De toute façon, qu'il s'agisse de semaines ou de mois, je ne pense pas avoir le choix.
Le sourire d'Éléanore se figea une fraction de seconde, mais elle s'était déjà reprise.
— Bien sûr que si. Tu peux tout à fait intégrer un autre centre de l'Ordre si tu penses que Green Point ne te conviendra pas. Cependant, je pense que si tu souhaites retourner rapidement chez toi, cet endroit est le plus indiqué. Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous avons le meilleur taux de réussite.
Je me calai contre le dossier du divan et ne répondis rien.
Un ange passa et le malaise qui s'était invité dans la pièce était presque palpable.
— Bien, reprit Éléanore, si tout le monde est d'accord, je propose que nous passions au contrat.
Elle se leva pour aller prendre un dossier posé sur son bureau.
Je parcourus la pièce des yeux. Malgré le design, elle semblait vide et peu fonctionnelle. J'étais prête à jurer qu'Éléanore ne devait pratiquement jamais venir ici, sauf pour accueillir les nouveaux venus, comme aujourd'hui.
Quand elle reprit place près de nous, elle tenait à la main un ensemble de feuilles agrafées qu'elle sépara en deux tas distincts.
Elle passa en revue les différents accords et règlements avec mes parents, jusqu'à ce que ma mère demande :
— Et ceci, qu'est-ce que cela veut dire : « Nous accordons au centre, représentant officiel de l'Ordre, le droit de vie et de mort sur le séjournant. » ?
Aussitôt, Éléanore lui servit son sourire commercial:
— Il n'y a pas lieu de vous inquiéter, c'est la procédure habituelle. Tous les centres font signer cette clause, l'Ordre l'a rendue obligatoire. Il arrive malheureusement que dans certains cas extrêmes des personnes souffrant de contamination démoniaque perdent tout contrôle d'eux-mêmes et deviennent dangereux pour eux-mêmes, les autres patients et le personnel du centre. Mais nous parlons bien ici de cas extrêmes et je tiens à vous rassurer, nous n'avons jamais dû recourir à de telles extrémités ici. C'est simplement de la paperasserie élaborée par des bureaucrates, rien de plus.
Le stylo de ma mère hésita un instant avant de dessiner sa signature en bas du document.
Mon destin était scellé.
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Aleisha Grey - Démons intérieurs - Tome 1 - Wattys2019
ParanormalAleisha Grey est une jeune chasseuse de démons. Mais quand sa sœur se fait tuer par sa faute au cours d'une mission, sa vie bascule. Aujourd'hui, elle est confrontée à des visions démoniaques qui l'empêchent de tourner la page et de vivre normalemen...