Chapitre 20 - La proposition

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Le visage de Carnegie étincelait de satisfaction.
- Soyons bien clair, mademoiselle Grey, c'est de votre possible liberté dont nous parlons ici.
Mes oreilles bourdonnaient. J'étais encore libre ce matin même – en réalité ce n'était pas tout à fait exact. L'Ordre avait décidé pour moi il y a des jours maintenant.
- Aussi, je tiens à pouvoir compter sur votre totale coopération. Je ne tolérerai aucune insolence ni marque d'arrogance. J'entends bien n'avoir à faire qu'à votre entière soumission.
J'hallucinais. Je n'avais qu'une envie, bondir sur lui et lui griffer le visage. J'étais rapide, sans aucun doute plus qu'eux trois.
Pourtant, je restai impassible, attendant la suite alors que mon cœur cognait à toute vitesse dans ma poitrine.
Comme il marquait une fois de plus un temps d'arrêt de manière à créer à nouveau un temps de silence inconfortable, je décidai de lui couper l'herbe sous le pied :
- Et bien ? Qu'attendez-vous donc de moi ?
Les yeux d'Éléanore se rétrécirent, ne ressemblant plus qu'à des fentes.
- Comme vous le savez, l'Ordre connaît des temps difficiles. La classe émergente possède de plus en plus de pouvoir et nous recherchons un moyen efficace de faire entendre raison aux sujets qui se montreraient un peu... rebelles.
- Vous voulez dire que vous êtes à la recherche de mercenaires ?
Il pinça les lèvres, visiblement dérangé par ma vision des choses.
- Je n'appellerais pas cela comme ça. Disons plutôt que l'Ordre a besoin de s'entourer de personnes convaincantes.
- Par convaincantes, vous voulez dire « létales » ? Vous voulez faire de moi votre assassin ?
Tous trois me jaugèrent. Carnegie poursuivit :
- C'est une manière de voir les choses, bien qu'elle ne soit pas politiquement correcte. Je crois que vous devriez voir cela comme une opportunité : celle de gagner votre liberté et de pouvoir vivre totalement libérée de l'Ordre. Si vous l'acceptez, votre retraite serait accordée d'ici cinq ans et vos parents en bénéficieraient aussi.
- Et si je refuse ?
- Je crains que vous n'ayez pas trop le choix, surtout si vous tenez à votre sœur.
J'éclatai de rire, un rire nerveux, malsain.
- La bonne blague. Jennifer est morte.
- Pas tout à fait.
À nouveau, la rage me submergea.
- Je l'ai vu. J'ai vu son corps, vous n'allez pas me dire que cela aussi, c'était une hallucination.
J'avais parlé trop fort, mais dans cette salle insonorisée, mes cris avaient à peine élevé le ton de la conversation.
- Ce n'est pas Jennifer que vous avez vue. Il ne s'agissait pas de son corps. Même vos parents l'ignorent. Le Garagon l'a enfermée dans un cocon, heureusement, il n'a pas eu le temps d'utiliser son corps pour y implanter ses larves. Votre sœur est toujours en vie, bien que plongée dans le coma.
Je restai stupéfaite.
- Pourquoi l'avoir caché ?
- Nous voulions d'abord nous assurer qu'elle n'avait subi aucune altération. Ensuite, quand il s'est avéré que vous avez été contaminée par du venin démoniaque, disons que votre sœur est devenue pour nous un moyen de nous assurer votre parfaite coopération.
Du chantage. L'Ordre tout craché, dans toutes ses bassesses.
- Si vous refusez, nous arrêterons le traitement de votre sœur et elle mourra. C'est aussi simple que cela.
Il osait qualifier ce chantage de « simple. » Soit je devenais leur jouet, soit ils nous briseraient ma famille et moi.
— Prouvez-moi que ma soeur est en vie.
Carnegie éclata de rire. À sa droite, Éléanore l'accompagna de son rire cristallin. Seul l'homme au costume gris ne changea pas d'expression.
— J'aime votre fougue. Nous vous permettrons de la voir si cela peut vous rassurer.
Voir Jennifer. Ainsi, ce pourrait être vrai ? Elle serait encore en vie...
— Cependant, ajoute Carnegie avec son sourire toujours collé à ses lèvres, notre proposition s'assorti d'une condition non négociable. Seuls ceux qui prouvent leur valeur seront choisis. Autrement dit, l'Ordre ne retiendra que les meilleurs. Pour les départager, des compétitions sont organisées à travers le monde entier. Vous intégrerez celle de Green Point et vous recevrez un entraînement particulier à cet effet. Seul celui qui remportera cette compétition servira l'Ordre.
— Et si je perds ?
Carnegie plissa les yeux. Il semblait s'amuser de cette situation.
— Il n'y a pas de perdants, mademoiselle Grey, pour la simple raison que la seule alternative à la victoire, c'est la mort.
Je frissonnai.
— Qui seront mes rivaux ?
— Des gens comme vous, des chasseurs qui présentent un potentiel.
— Comme moi, vous voulez dire des adolescents ? Des enfants ?
Il retint un rictus.
— Soyez sérieuse, un enfant ne serait pas assez fort pour pouvoir être un candidat sérieux. Mais pour répondre à votre question, on compte parmi vos opposants des criminels de toutes sortes, dont certains ont été jugés coupables de meurtre. Sachez cependant que nous vous considérons comme une des favorites de cette compétition.
La belle affaire !
Me voilà contrainte et forcée par l'Ordre de servir de chair à canon, et je devrais me sentir flattée de savoir que ces ordures pariaient sur moi.
Carnegie réattaqua :
— Vous ne dites rien. Cela signifie-t-il que vous refusez notre proposition ?
Je n'avais qu'une envie : lui faire ravaler son sourire suffisant.
— Non, pas du tout. Je ferai ce que vous me demandez, je veux seulement être sûre que vous prendrez soin de Jennifer et de mes parents si jamais je venais à décéder au cours de cette compétition.
— Si vous jouez le jeu, cela va sans dire. Nous savons que ces compétitions sont rudes et que les candidats sont mis à rude épreuve. Si votre mort n'est pas un acte d'abandon ou un suicide, l'Ordre tiendra ses engagements.
Ils avaient donc pensé à tout. Et j'étais prête à parier que chaque candidat devait faire l'objet d'un chantage similaire. Qui accepterait de risquer sa vie dans un tournoi aussi absurde sinon celui qui a quelque chose à perdre ?
Carnegie se frotta les mains.
— Bien, je pense que nous avons fait le tour de la question. Vous pouvez reprendre le cours de votre journée. Votre entraînement commencera dans une semaine.
— Et ma soeur ?
— Vous la verrez ce soir.
D'un mouvement de la main, il me congédia.
Au moment où je posais la main sur la poignée de la porte, Carnegie lança :
— Ne nous décevez pas, mademoiselle Grey.

Aleisha Grey - Démons intérieurs - Tome 1 - Wattys2019Où les histoires vivent. Découvrez maintenant